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27 / 04 / 2009 | 21 vues
Elsa Fayner / Membre
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Inscrit(e) le 22 / 09 / 2008

” Elle n’a pas d’enfants ou plus exactement elle en a trente, ceux qui travaillent là”

Chronique de Marie-José Hubaud, médecin du travail, auteure de “Des hommes à la peine” (La Découverte, octobre 2008), écrite pour Et voilà le travail.

Au bord de la rivière, il y avait une usine abandonnée, je passais devant chaque lundi, quand j’allais à la fonderie. Trois bâtiments qui ne se touchaient pas mais qui avaient été reliés par des passerelles métalliques au niveau du premier étage, ça se voyait à la ferraille qui pendait et aux trous dans les murs. Le feu avait dévoré un pan entier de la charpente et le mur à un bout était à moitié effondré. Le bâtiment du milieu avait deux béances sur les côtés, les fenêtres et la porte avaient disparu, on aurait dit une tête mutilée, orbites vides et oreilles coupées. Les murs avaient perdu leurs couches de ciment, par larges plaques, comme un peau qui desquame laissant à vif le derme rouge des briques empilées. Dans un coin du parking, un monceau de ferraille et de vieux pneus à moitié calcinés était envahi par les ronces, un engin de levage était enfoui là, sa fourche levée comme deux bras suppliants tendus vers le ciel.

À chaque fois que je passais devant « La Fabrique », comme je l’appelais dans ma tête, je me disais qu’il fallait que je me renseigne sur l’histoire de cette usine, déformation professionnelle, curiosité de médecin du travail, et puis quand j’arrivais à la fonderie, j’oubliais. J’avais en général d’autres chats à fouetter et, de toute façon, la majorité des ouvriers qui travaillaient là venaient du Mali, ils ne savaient rien de l’histoire de la région. Un jour que j’étais en avance, je m’étais garée devant le vieux portail rouillé, je n’avais pas vraiment l’intention d’aller plus loin, mais d’un autre côté je ne voyais pas pourquoi je serais restée dans ma voiture alors qu’il n’y avait ni interdiction d’entrer, ni cadenas, ni rien.

De près, les bâtiments étaient différents, on aurait dit qu’ils retenaient leur souffle, qu’ils attendaient un signe pour se remettre à respirer, un son plutôt, un appel, la sirène.

Un long hululement suivi de deux coups brefs,
Ils arrivent par petits groupes, ils plaisantent, ils écrasent leur cigarette sous le talon de leurs lourdes chaussures,
Voilà le chef, le contremaître avec sa blouse bleue, un carnet à la main,
Il traverse la cour d’un pas rapide, le geste bref,
La porte de droite du bâtiment central est ouverte, armoires métalliques grises, un banc en bois, et juste à côté la pointeuse surmontée de l’horloge ronde et blanche.
De l’autre côté, c’est le hangar immense où les machines-outils sont alignées, les unes à côté des autres, toutes ces planches !
Poussière de bois, odeur de colle épaisse, âcre, mais sans solvants,
Cloueuses, scies verticales ou à bandes, des poulies, des courroies, des palans.
Ici on fabrique des boîtes, de toutes les tailles, de toutes les formes, des boîtes en bois.
 
 
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