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25 / 09 / 2008 | 2 vues
Grégory Gamot / Membre
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Le temps des relocalisations en France est-il venu ?

Après les annonces spectaculaires de restructuration de grands groupes (1.000 emplois supprimés en France par Renault) et la crise financière, la question des relocalisations pourrait faire sourire en ce mois de septembre 2008. Et pourtant,elle a été clairement posée dans le monde anglo-saxon dès le mois de juin 2008 : le 5 juin, le Financial Times a publié un article "les producteurs ont perdu le goût d'aller à l'étranger" et le 18, le Wall Street Journal annonçait : "Plombés par les coûts de transport en hausse, les usines rapatrient les emplois à la maison". En août 2008, c'était au tour du magazine IndustryWeek de titrer : "Bienvenue aux productions de retour aux Etats-Unis".
 

Trois facteurs en faveur des relocalisations

 
Et même le plus célèbre cabinet conseil en stratégie, McKinsey, faisait paraître dans l'édition de septembre 2008 de sa revue, un article intitulé "Est-ce le moment de repenser les délocalisations ?". Quels sont les arguments nouveaux avancés par ce cabinet qui a pourtant tant œuvré pour les délocalisations ? Trois facteurs: la hausse du prix du pétrole, un dollar faible et des salaires en hausse dans les pays à bas coûts, ce qui remet en cause l'intérêt des délocalisations. Le cabinet prend plusieurs exemples précis : depuis 2003, le prix du pétrole est passé de 28$ à près de 100$. Selon le département économique de la banque d'affaires américaine CIBC, en 2000, lorsque le prix du baril était autour de 20$, le coût du transport était comparable à une taxe de 3% sur les importations. Aujourd'hui, le chiffre est passé à 11%, le prix d'un container standard ayant triplé depuis 2000.
 
Avec un dollar faible, même les écarts salariaux avec la Chine se sont réduits : en dollar, l'inflation des salaires a été de 19% depuis 2003 en Chine contre 3% aux Etats-Unis. Un ouvrier payé 1740$ en 2003, gagne maintenant 4140$ ! Selon de savants calculs, le cabinet montre qu'il était encore rentable de produire un serveur informatique de moyenne gamme en Chine il y a trois ans, mais que ce n'est plus le cas à cause des coûts de transport et des salaires supérieurs. Ce serveur peut maintenant être produit moins cher dans une usine plus proche des consommateurs, au Mexique par exemple, où les coûts logistiques et salariaux sont plus favorables.
 
Le cabinet estime que les responsables de production devraient essayer d'avoir la mesure la plus juste possible de l'ensemble des coûts (on croit rêver en lisant la liste donnée par le cabinet) : coûts des matières premières, coûts des inventaires, coûts de gestion des retours et autres coûts cachés, qui ne sont  "typiquement pas pris en compte" lorsque l'on compare seulement les frais logistiques et salariaux... Il y a donc tout lieu de parier à la lecture de cet article que la tendance est lourde, car a priori les trois facteurs évoqués (prix du pétrole, dollar et salaires en hausse) ne vont pas s'inverser ou s'améliorer rapidement !
 

Une tendance croissante

 
Les articles du Financial Times et du Wall Street Journal vont dans le même sens, avec quelques raisons supplémentaires avancées à l'aide d'exemples précis. Le Financial Times cite ainsi le représentant de producteurs suisses qui estime qu'il s'agit d'une tendance croissante : "j'entends de plus en plus de sociétés revenant en arrière à cause de coûts croissants et du risque d'être copié". Le journaliste prend l'exemple de Nucan, une société anglaise qui s'est ruée en Pologne pour tirer parti des coûts plus avantageux. Mais quand leur fournisseur polonais a délocalisé une partie de sa production, la qualité a baissé et Nucan a décidé de relocaliser la production en Grande-Bretagne, quitte à ce que les coûts soient deux fois supérieurs. Le spécialiste londonien du cabinet d'audit international Deloitte confirme que des entreprises parties produire en Chine reviennent, soit en Grande Bretagne, soit plus souvent en Europe de l'Est. Un chercheur français cité dans l'article, aurait estimé que moins d'un pourcent des sociétés auraient délocalisé leur production à l'étranger et qu'autour de 10% de celles-ci auraient commencé à revenir dans leur pays d'origine.
 
Où en est-on en France ? Il est assez difficile d'avoir une mesure juste du phénomène. Les exemples sont pour le moment peu nombreux, souvent modestes (concentrés sur une toute petite partie des productions), mais tout de même très instructifs. Un journaliste de Libération s'était intéressé en janvier 2007 au cas de Samas, le spécialiste européen du mobilier de bureau. Après cinq ans de délocalisation en Chine, celui-ci aurait fait ses comptes et aurait relocalisé une partie de sa production dans l'Oise : "50% de l'écart de coût a été trouvé dans l'amélioration du process. On considère qu'on gagnera les 50% restants grâce à la baisse des coûts de transport". La coopérative d'opticiens, Atoll, a décidé de relocaliser la production de 4% de ses lunettes (en tout 40.000 paires) fabriquées en Chine dans le Jura. Selon le communiqué de l'entreprise "produire en France reviendra 50% plus cher qu'en Asie, mais c'est aussi un choix pour une meilleure qualité". Le groupe Décathlon a annoncé son intention de regrouper à Lille recherche et développement, conception, commerce et usine d'assemblage de ses vélos, ce qui devrait se traduire par 300 embauches (mais la production reste à l'étranger et l'assemblage en France).
 
Plus largement, je ne vois pas pourquoi la France ne suivrait pas la tendance observée dans les pays anglo-saxons, d'autant qu'elle ne manque pas d'atouts comme l'a une nouvelle fois montré l'étude de KPMG, "Choix concurrentiels 2008", qui compare les coûts d'implantation des entreprises à l'échelon international: la France apparaît comme le premier pays européen en termes de compétitivité, devant l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Le cabinet remarque que de 2006 à 2008, "la perte de compétitivité de la France vis-à-vis des Etats-Unis n'est que de 8%, malgré une baisse du dollar de 24%", grâce à d'autres atouts (dixit les auteurs de l'étude) !
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