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21 / 04 / 2015 | 2 vues
Didier Cozin / Membre
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Le compte personnel de formation, un dispositif prématuré et déjà mort-né

Le compte personnel de formation ne sera ni le pilier de la formation ni même celui d'une réforme mort-née.

Alors que la réforme de la formation a réussi à bloquer la plupart des formations en France en trois mois, alors que le compte de formation est remis en question par le pouvoir politique lui-même (qui invente des comptes à ne plus savoir quoi en faire), un premier bilan s'impose et il est catastrophique : en France, du fait de la réforme et depuis janvier 2015, la formation et l'éducation sont devenues extrêmement rares et hautement complexes.

  • Du fait d'une école de la République qui ne fait plus son travail et abandonne 20 % d'une classe d'âge sans éducation ni instruction,
  • du fait d'un apprentissage chutant fortement (malgré les prétentions à le développer)
  • enfin, dernière pièce de ce sinistre puzzle éducatif, via une formation professionnelle démantelée, victime à la fois des incohérences des partenaires sociaux, des insuffisances des pouvoirs publics et d'une incompétence généralisée.

L'acte de décès du CPF est fixé au 22 avril prochain, moins de 4 mois après sa naissance !

Début avril en effet, le cabinet du Premier Ministre présentait une nouvelle trouvaille sociale pour le pays : le compte personnel d'activité (CPA). Ce compte vise à tracer divers droits sociaux dont ceux à la formation (mais évidemment pas ceux, bien plus hypothétiques, des futures retraites).

Il rend le CPF caduque, avec lequel il ferait évidemment doublon.

Le CPA entraîne donc ipso facto la mort du CPF car non seulement il ne servirait à rien de comptabiliser deux fois les mêmes droits à la formation mais surtout parce que le CPF a démontré par l'absurde, en trois mois de sa courte existence, qu'il était incapacable d'organiser et de mettre en œuvre la moindre action de formation pour ses 23 millions de « bénéficiaires ».

Cette impuissance du CPF à organiser la formation ne vient ni de la nouveauté du dispositif ni de prétendus couacs informatiques (l'informatique a bon dos quand on est incompétent ou inconscient) mais d'erreurs manifestes et généralisées sur le diagnostic et les besoins de formations dans le monde du travail.

Le CPF, trois petits mois et puis s'en vont

En trois mois le CPF aura donc permis à une seule personne (sur 23 millions de « bénéficiaires ») de se former tout en paralysant les OPCA, les organismes de formation et les projets éducatifs des entreprises de notre pays (depuis la TPE jusqu'à la grande société de main d'œuvre).

Désormais et quels que soient les probables efforts des communicants du ministère du Travail ou les réunions d'innombrables et inutiles commissions (les FPSPP, COPANEF, COPAREF, CREFOP, CPNEFP...), le CPF, ex-phare de la réforme de la formation n'éclaire plus en rien la formation et le travail en France en ce début de XXIème siècle.

Les raisons d'un fiasco hexagonal qui pourrait être retentissant

Le CPF va terminer son tour de piste (au plus tard fin 2016) car ce chantier a été improvisé et bâclé par un État qui promet tout et n'importe quoi sans plus tenir aucune promesse.
Aujourd'hui, aucun sursaut organisationnel ou financier ne peut plus sauver le CPF pour cinq raisons fondamentales.

1) Un dispositif de formation qui n'en était pas un

Prétendre remplacer le droit à la formation (DIF) par un simple compteur d'heures pour égréner année après année des heures de formation impossibles à réaliser a été l'erreur fondamentale de la loi du 5 mars.

Pour partir en congés payés les salariés n'ont pas besoin d'un compteur tenu par l'État, pour partir en formation il en est de même, ce n'est pas un compteur qui apportera la formation mais bien la restitution du droit à la formation des salariés.

2) Un monstre CPF devenu irrattrapable

De ce chantier bâclé, sans plan d'ensemble (aucun cahier des charges digne de ce nom), sans architecte compétent, sans processus fiables) le compte personnel est en perdition, un bâtiment vacillant qui ne pourrait être reconstruit sans des années d'efforts, des centaines de millions d'euros dépensés et la perte de la capacité de former les salariés avant des années.

3) Une corresponsabilité sur la formation qui était absente du CPF

Les formations pour les travailleurs dans le privé ne peuvent pas être déployées avec profit sans le recours à un employeur concerné qui a la capacité de sélectionner des formations, d'orienter et de conseiller son salarié, de contrôler la bonne excécution de la prestation tout en donnant du sens au projet professionnel.

Abandonner cet indispensable dialogue social sur la formation entraîne une déresponsabilisation de tout le corps social (le travailleur non qualifié qui perdra son emploi sans pouvoir se former et l'employeur qui ne prend plus en considération l'employabilité des plus fragiles).

4) Un compte personnel de formation déjà remplacé (dans 18 mois au plus tard) par le compte personnel d'activité

On ne voit dès lors guère l'intérêt d'épuiser les forces et les ressources (déjà plus de 30 millions d'euros dépensés pour un système inutilisable) de l'État alors que dans moins de 18 mois, un autre compte censé englober tous les droits des travailleurs portera également les droits à la formation des actifs.

5) Un DIF maintenu ad vitam æternam dans la fonction publique.

Pas avares de paradoxes les pouvoirs publics viennent de ré-inventer le DIF avec son déploiement dès 2015 pour les 500 000 élus locaux français.

Aurait-on compris que le CPF ne servira à rien et qu'il vaut mieux reconsidérer et réhabiliter un DIF connu et reconnu plutôt que de s'épuiser à faire vivre un dispositif superflu et condamné à courte échéance ?

Le CPF, un système tout neuf mais daté et qui ne peut tuer le droit à la formation

La formation n'est pas la procrastination, rien ne sert d'accumuler des heures de formation comme on accumule des euros sur un compte épargne.

La formation dans la société de la connaissance est une dynamique face au flux d'informations et de connaissances, on se forme tout au long de la vie et pas uniquement durant l'enfance ou une fois pour obtenir une qualification manquante.

Les travailleurs ne pourront patienter des années pour qu'un CPF insécurisant et inadapté permette à 1 % des salariés de se former.

Si moins de 10 % des cadres français parlent couramment anglais, si 22 % des adultes ont un niveau extrêmement bas de littératie (compréhension d'un texte simple en français), si la fracture numérique obère nos chances de rebond dans la société de la connaissance, il faut que les pouvoirs publics admettent leur formidable erreur de casting de 2014.

Vouloir décloisonner les apprentissages professionnels et recourir à des formations certifiantes était une idée simpliste et inconsistante car le monde du travail ne dispose pas de centaines (ou milliers) d'heures pour (se) former.

Le DIF pour tous et ses 20 ou 24 heures annuelles est un objectif encore acessible et valide pour les travailleurs : des formations courtes, facilement activables, sans formalisme particulier et qui sont adaptées aux besoins actuels de l'entreprise et du travail.

Le mieux est l'ennemi du bien, le CPF était un ambitieux mais très prétentieux compteur de formation, il ne pouvait se substituer au modeste et simple DIF pour contribuer à former et à éduquer tout au long de la vie.

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