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28 / 10 / 2013 | 1 vue
Didier Cozin / Membre
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La réforme de la formation est-elle déjà un échec ?

Selon l’OCDE, plus d’un adulte sur cinq (21,6 %) en France présente en lecture des performances égales ou inférieures au niveau le plus élémentaire, contre un sur vingt au Japon (4,9 %) et un sur dix en Finlande (10,6 %). Pour les  niveaux de compétences les plus élevés (niveau 4 et 5 en littératie et numératie), seuls 8 % des adultes français (âgés de 16 à 65 ans) se situent aux deux plus hauts niveaux, contre 12 % en moyenne dans les pays de l’OCDE participant à l’enquête.

Avec une école publique s’affaissant année après année (cf PISA) et où les adultes sont aussi à la peine (étude PIAAC précitée), il devient difficile de lutter à armes égales (économiques et éducatives) dans ce monde relié et globalisé où les télécom mettent en concurrence les pays, les organisations mais aussi les individus.

Pour maintenir nos acquis et nous développer, au lieu de sonner le tocsin et de décréter la mobilisation générale (donc aussi de l’Éducation nationale), notre pays a décidé de faire le plus facile, lancer une « grande » réforme de la formation (la troisième en dix ans).

Les pouvoirs publics ne semblent toujours pas avoir pris la mesure des blocages éducatifs qui existent en France et entraînent toutes les réformes dans le mur.

Les raisons sont assez simples.

  • La gardienne de tous les apprentissages en France va mal : peu de nos concitoyens conservent un bon souvenir d’une école où l’on décourage plus qu’on encourage et qui abandonne au bord de la route tous les ans près de 160 000 jeunes.
  • L’école et l’entreprise se sont opposées, l’école ne (re)connaît plus le monde du travail. L’entreprise est considérée comme un lieu d’exploitation, le travail manuel ou de production est méconnu et dévalorisé.
  • Notre pays ne sait toujours pas valoriser son capital humain : le culte du diplôme marque les individus pour toute la vie et empêche toute réelle promotion sociale et professionnelle.
  • Les entreprises les plus fragiles (celles qui emploient aussi les travailleurs les moins qualifiés) ne parviennent tout à la fois pas à payer des salaires chargés élevés, à respecter une règlementation lourde (le Code du travail compte plus de 8 000 articles) et à maintenir l’employabilité de tous leurs salariés.

Pour les pouvoirs publics, la formation est devenue de la bonne communication (chaque Président de la République en est de sa « grande » réforme six mois après son élection). Comme c’est un sujet consensuel, on la met en avant, on la dote de toutes les vertus (elle va résoudre le problème du chômage et miraculeusement restaurer notre compétitivité). On a fait en France de la formation un commode objet de négociation sociale puis de communication (il y a même un site ouvert depuis 2008, consacré en permanence à la réforme !).

Trois fois hélas, la formation ne fonctionne pas ainsi. La formation n’est ni de la communication, ni de la consommation ; elle fonctionne par imprégnation, par appropriation, par conscientisation.

Quand une nouvelle réglementation est mise en œuvre (et la formation tout au long de la vie promettait des changements profonds depuis 2003-2004), il faut de très nombreuses années avant que toutes les esprits, les règlementations, la jurisprudence et les processus soient compris et intégrés.

Si l’on prend ce malheureux DIF (malheureux parce qu’il a servi de monnaie d’échange lors du grand marchandage social de janvier 2013), celui-ci commençait à peine à être connu par les salariés et les employeurs, à être cadré par la jurisprudence, à être praticable dans les branches professionnelles. Ces dix dernières années d’expérimentation sociale vont donc été rayées d’un trait de plume par le patronat qui a souhaité faire tomber le risque financier, organisationnel et social que représentaient les promesses de 2003 quant à une formation professionnelle généralisée, accessible et équitable.

Certains ont pu croire que le compte personnel de formation, tel que présenté en janvier 2013, était généreux et universel :

  • un compteur universel (tous les actifs dès leur entrée sur le marché du travail),
  • un compteur attaché à la personne tout au long de sa vie professionnelle,
  • un compteur d’heures non limité par une somme d’argent,
  • enfin un compteur formation mis en œuvre rapidement (avant l’été 2013).

Il n’en sera rien et le dernier document du MEDEF (rendu public le 22 octobre) nous donne la vraie explication de texte. Le compte personnel de formation reviendra désormais à :

  • faire reposer exclusivement sur le salarié la responsabilité du maintien de son employabilité via le CPF et le CIF (« la mobilisation du compte personnel de formation relève de l’initiative du salarié », « l’évolution et la promotion professionnelles relèvent de la responsabilité du salarié ») ;
  • faire tenir les compteurs CPF par un organisme public et plus par l'employeur (« chaque personne a connaissance du nombre d’heures crédité sur son compte en accédant à un service dématérialisé d’information consacré ») ;
  • laisser gérer et financer les formations CPF par un organisme public (les FONGECIFS en l’occurrence) dès lors que l'employeur aura payé sa (faible) cotisation (« hors temps de travail, le salarié utilise librement son compte, l’allocation de formation n’est pas due »).

En gros, le droit à la formation disparaît (et on est en droit de se demander si la formation tout au long de la vie perdurera dans notre pays) et à la place, l'employeur botte en touche en se lavant les mains de sa coresponsabilité sur le développement des compétences et le maintien de l'employabilité.

Si les pouvoirs publics et les syndicats ouvriers comprennent ce que les mots veulent dire et ce qui a de grandes chances de se produire dans les prochaines années (une formation professionnelle bloquée, perdue dans les limbes de la complexité et sans aucun financement), ils doivent réagir au plus vite en réorientant le CPF.

  • Le compte personnel de formation n’est et ne sera jamais un droit (comme le DIF), ni même un dispositif de formation  (comme le CIF), il est juste un compteur qui doit « égrainer » les heures de formation de chacun.

Il est parfaitement vain de vouloir en faire le pivot (jadis pour le DIF on parlait de « phare ») ou même le cœur de la réforme.

De 5 à 8 millions de travailleurs sont peu ou non qualifiés (22 %, selon l’enquête de l'OCDE). Il serait totalement aberrant de leur retirer leur droit à la formation pour « rhabiller » la formation des chômeurs de Pôle Emploi (à quoi faut-il former les 3 à 5 millions de personnes sans emploi ? Personne ne le sait évidemment).

Pour permettre à tous les salariés de se former (pour les chômeurs et les jeunes sans qualification, c’est aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités), il faut conserver le DIF durant une période transitoire (sans doute au-delà de 2014).

Une solution existe : comme lors du passage à l’euro en 2002, quand un double étiquetage a été instauré, il faut que le DIF subsiste aussi longtemps que le compte personnel de formation ne sera pas prêt et totalement opérationnel pour tous (soit 28,5 millions d’actifs).

Le compte personnel de formation peut rester un « idéal » à atteindre (tous les travailleurs sécurisés sur leur avenir professionnel) mais en attendant ces temps éloignés sans doute, il est indispensable de ne pas lâcher la proie pour l’ombre, de permettre à tous les salariés ayant de 20 à 120 heures de DIF de réaliser leur formation sans attendre de longues années.

Notre pays a pris l’habitude de n’écouter aucun conseil, de se piquer de mots depuis de trop nombreuses années en formation, il doit prendre au sérieux les avertissements de l’OCDE, notre 22ème position (sur 24 pays étudiés) est un rang dangereux dans une économie devenue celle des connaissances et de l’information.
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