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28 / 07 / 2017 | 58 vues
Didier Cozin / Membre
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La formation professionnelle est un co-investissement, pas une épargne personnelle

Dans cette ex-grande nation industrielle qu'est la France, il est difficile de se débarrasser des schémas et mentalités du passé. Parmi ces schémas obsolètes, on trouve celui d'une formation professionnelle qui rimerait avec les mots épargne, comptabilisation et consommation (d'heures de formation)

Les pouvoirs publics annoncent une nouvelle réforme de la formation en 2018 mais ils ne s'interrogent pas sur les raisons de l'échec de la précédente.

En 2013-2014, les partenaires sociaux et les pouvoirs publics avaient créé un système devant moderniser la formation en comptant ses heures ex nihilo : le compte personnel de formation (CPF)

Le CNEFOP nous apprend qu'en 2016, seuls 175 000 salariés ont pu se former via leur CPF, soit 1 % des salariés du secteur privé.

Pire encore, cette trouvaille technocratique en forme d'usine à gaz aura conforté l'illusion et le conformisme en formation (illusion sur l'argent, le temps et la comptabilisation de la formation).

La formation sans intervention de l'employeur est un fantasme professionnel et un exercice scolaire sans intérêt pour un adulte.

En juillet 2017, le CEREQ a publié une courte étude qui devrait refroidir les ardeurs de ceux qui placent les comptes et compteurs individuels, comme l'avenir de la formation et du social en France.

Qu'apprend-on de cette étude intitulée « La formation en entreprise face aux aspirations des salariés » ?

« Être « acteur » de sa formation suppose de pouvoir connaître et choisir une formation en accord avec ses aspirations, exprimer ses souhaits, se faire entendre etc. Le contexte de l’entreprise et ses pratiques en matière de formation et, plus largement, de gestion des ressources humaines y jouent un rôle majeur. Ils traduisent les possibilités d’un dialogue entre l’employeur et le salarié autour de l’évolution professionnelle de ce dernier. (...) De surcroît, le fait d’être informé des possibilités de formation et d’évoquer ses besoins de formation lors de l’entretien professionnel augmente aussi bien les chances d’effectuer une demande de formation que le souhait de se former ».

En résumé, pour les travailleurs en poste (heureusement encore majoritaires par rapport aux chômeurs), seule une politique pro-active de l'entreprise des instances de dialogue, des choix et opportunités formation favorisés par l'employeur offrent aux gens les moins qualifiés la capacité et l'occasion de se former.

Dans le système individuel de formation des salariés, les abandons sont innombrables car l'employeur n'y a pas été associé (et n'y trouve pas son compte).

Le système de comptage individuel et de pseudo épargne de formation nuit gravement à la formation des salariés les moins qualifiés.

Alors que les pouvoirs publics font des compteurs l'alpha et l'oméga des futures réformes sociales (CEC, CET, CPF, CPA...), le système conçu en 2014 tourne en rond, moins de 1 % des salariés ont utilisé leur CPF et 1 milliard d'anciennes heures de DIF seront perdues en 2020.

Un compte personnel de formation qui pourrait avoir tout faux

Non seulement l'architecture et le fonctionnement du CPF ont été improvisés et mal pensés mais le concept même d'une comptabilisation d'heures de formation est stupide.

Comme nous le dit Idriss Aberkane, la connaissance est le produit de deux termes : l'attention (être attentif) et le temps (consacré à apprendre).Comment une formation pourrait-elle avoir un effet professionnel si l'employeur n'y est pas associé ?

Si le temps consacré à apprendre doit désormais être pris sur le temps libre, un chômeur devrait avoir un pouvoir d'achat de connaissances bien supérieur à un travailleur (à temps plein). Pourtant, il n'en est rien. Les chômeurs sont inoccupés par nature et ils apprennent moins que les travailleurs pas parce que les travailleurs accapareraient tous les budgets mais parce qu'aucun employeur ne leur demande d'apprendre (sauf rares et précieuses promesses d'embauche contre une formation).

Comment une formation pourrait-elle avoir un effet professionnel si l'employeur n'y est pas associé ?

L'effet social et professionnel d'une formation hors sol de l'entreprise (en cachette presque comme le prône le CPF avec le salarié « autonome »).

Il est quasi nul et si la formation est de moins en moins efficace en France, c'est parce que d'une part le chômage s'est durablement installé dans notre pays et que d'autre part la plupart des entreprises n'ont pas de projets de développement.

La formation individuelle se traduira au mieux (pas toujours tant les abandons sont nombreux) par l'obtention d’un titre parmi les 17 000 certifications « éligibles » au CPF mais cette démarche (positive en soi) restera le plus souvent vaine car inadaptée au travail (même parfois contre-productive avec du ressentiment, du découragement ou de l'incompréhension mutuelle avec l'employeur).

L'entreprise est un espace collectif et collaboratif, la formation est au service des performances collectives, pas une quête strictement individuelle.

L'entreprise est un collectif : on ne se forme pas seul et on n'apprend pas seul. Le management, la direction et les collègues participent (ou non) de cet écosystème éducatif encore largement inconstruit en France.

Le type des formations mises en œuvre via le CPF (totalement individualisées et très souvent calquées sur l’école) ne débouchera sur rien : ni promotion, ni prise en compte des nouvelles compétences acquises (à supposer qu’elles existent tant le CPF a d'accointances et de similitudes avec l'Éducation nationale), ni même encouragement à poursuivre l'effort de formation.

Tout le projet du CPF a été idéologique, superficiel et bâclé : une formation hors sol de l’entreprise, avec la seule volonté  de l’individu, le tout non financé dans un compteur technocratique.

Ce CPF, qui prétendait laisser l'individu seul face à ses apprentissages (avec cet appui illusoire du Conseil en évolution professionnelle) est un échec aujourd’hui et il le restera demain tant cette « innovation » sociale est éloignée des capacités, des envies et des besoins des salariés en poste.

Jusqu'en 2014, le droit individuel à la formation (DIF) associait l'employeur et son salarié sur le développement des compétences.

Ceux qui avaient conçu et instauré le DIF (en 2003-2004) savaient que seul un dialogue constructif, social et éducatif entre l'employeur et son salarié pouvait produire du sens et favoriser les apprentissages professionnels.

Le DIF était une co-volonté et co-décision avec un employeur qui portait et encourageait les efforts individuels d'apprentissage de son salarié.

Le CPF, lui, n'est qu'une aberration sociale, conceptuelle, organisationnelle et financière. D'ailleurs, moins de 1 % des entreprises ont conclu un accord pour le mettre en œuvre en interne.

Ce n'est qu'en abandonnant cette fausse piste de la comptabilisation d'heures de formation que l'on pourra de nouveau responsabiliser le corps social sur la formation, pas en l'encapsulant dans des compteurs de virtuelles heures de formation.

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