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30 / 10 / 2012 | 2 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« La cohabitation entre contrats collectifs et contrats individuels en santé n’est pas facile, au sein du mouvement mutualiste »

Interview de Patrick Sagon, président de la Mutuelle Générale.

Pensez-vous que l’économie sociale et solidaire soit un modèle d’avenir ?

L’économie sociale et solidaire est incontestablement un modèle d’avenir. C’est pourquoi elle doit enfin être reconnue comme un secteur économique à part entière doublé d’un modèle social spécifique permettant de concilier activité économique et utilité sociale.

La santé complémentaire est certainement le creuset idéal pour qu’elle révèle toute son efficience. En effet, la santé est une dépense incontournable pour répondre à la fois au besoin individuel de chacun et à l’intérêt, y compris économique, de tous.

Or, la vocation des mutuelles historiques est uniquement de créer de la richesse collective. Elles peuvent inscrire leur stratégie dans la durée au seul bénéfice de leurs adhérents puisque, n’ayant pas d’actionnaire, elles n’ont pas la contrainte d’une rentabilité immédiate.

Pourtant, n’assiste-t-on pas à une uniformisation des règles prudentielles et fiscales dans le secteur de l’assurance santé/prévoyance ?

Oui, les mutuelles historiques évoluent désormais dans un environnement totalement banalisé sur le plan législatif et réglementaire et commun à tout le secteur de l’assurance : uniformisé en matière prudentielle avec la future directive européenne solvabilité II ; également sur le plan fiscal avec la fiscalisation dès 2012 (l’impôt sur les sociétés), sans compter les taxes qui sont passées de 1,75 % à 13, 27 % en 10 ans et dont la répercussion sur la cotisation d’une complémentaire de santé est inévitable.

Ainsi, le différentiel de taxation entre les contrats solidaires et responsables (sans sélection médicale) et ceux qui ne le sont pas n’est plus discriminant aujourd’hui. Cela se traduit par une accélération de la captation du bon risque par les assureurs qui espèrent abandonner aux mutuelles historiques les populations les plus défavorisées, les personnes âgées et les familles nombreuses, toutes plus consommatrices de soins.

C’est pourquoi il est nécessaire de préserver les spécificités du modèle mutualiste par des règles spécifiques afin d’encourager les pratiques vertueuses et la solidarité qui doit s’exprimer entre les générations, entre les biens portants et les malades, envers les personnes à revenus modestes ou celles en situation de rupture professionnelle, familiale ou sociale. Seules, ces règles spécifiques permettront de s’affranchir du consumérisme et du « courtermisme » qui touchent désormais aussi les complémentaires de santé.

Le développement des contrats collectifs est-il une bonne chose ?

Dans le contexte économique délétère actuel et sans provocation aucune, il faut admettre que la cohabitation entre contrats collectifs et contrats individuels en santé n’est pas facile, au sein du mouvement mutualiste.

Si l’on fait preuve d’un peu d’objectivité, cela s’explique par divers facteurs.

La consommation de soins est distribuée suivant une courbe en forme de « U » : la première branche du « U » va de la naissance à l’adolescence, puis entre 16 ans et 65 ans, nous trouvons « le bon risque », avec statistiquement une faible consommation de soins, et enfin à partir de 65 ans on retrouve une croissance exponentielle des dépenses, qui forme la deuxième branche du « U ».

Les contrats collectifs obligatoires ont été principalement mis en œuvre dans les grandes entreprises, avec une participation moyenne de l’employeur de 60 %. Ils couvrent de fait une population statistiquement en bonne santé (la partie horizontale de la courbe en « U » évoquée précédemment) et proposent des garanties plutôt haut de gamme qui ont eu immanquablement un effet inflationniste sur les prix, notamment en optique, dentaire et dépassements d’honoraires.

Au passage à la retraite, la disparition de la participation employeur couplée à l’augmentation légale « loi Evin » de 50 % au maximum du prix de la complémentaire santé antérieure, conduit la quasi intégralité des retraités ayant bénéficié jusqu’alors d’une couverture de santé obligatoire d’excellent niveau, à l’abandonner au profit d’une garantie « low cost » ; et ce, de surcroît à un moment inopportun puisque la probabilité d’être malade devient beaucoup plus importante à partir de 60 ans.

Ainsi, d’un point de vue purement objectif, les avantages fiscaux et sociaux associés à ces contrats n’ont finalement servi qu’à couvrir une population faiblement consommatrice de soins.

Cette « aspiration » du bon risque par les contrats collectifs obligatoires a pour effet de fragiliser la solidarité intergénérationnelle et familiale portée originellement par les mutuelles historiques, les entraînant ainsi dans un cercle vicieux, celui d’être obligé de réajuster les cotisations et de subir corrélativement une hémorragie des adhérents à faible risque, cherchant à fuir des cotisations jugées trop élevées.

En s’ouvrant au grand public, la Mutuelle Générale n’a-t-elle pas renoncé aux valeurs mutualistes ?

Certainement pas sur son offre statutaire historique. Si la cotisation originelle de nos adhérents fonctionnaires historiques était vertueuse, puisque proportionnelle à la rémunération, elle est devenue forfaitaire en 1995 mais en maintenant des mécanismes élevés de solidarités familiales et intergénérationnelles, existants encore aujourd’hui.

En revanche, sur l’offre interprofessionnelle, parce que nous évoluons dans un contexte totalement banalisé, nous avons été contraints d’adopter une tarification à l’âge pour cette offre grand public. Si cela n’avait pas été le cas, les solidarités familiales et intergénérationnelles natives auraient généré un effet d’aubaine entraînant à très court terme un déséquilibre financier structurel.

Nous sommes ainsi devenus une mutuelle interprofessionnelle, sans pour autant renoncer à nos valeurs mutualistes.

Nous sommes une société de personnes à but non lucratif : les excédents réalisés permettent d’autofinancer les investissements nécessaires à l’activité, ainsi que nos obligations de provisionnements. Au-delà, ils sont redistribués en amélioration de prestations et services et en dépenses à caractère social pour nos adhérents les plus fragiles.

Ainsi, grâce à son fonds d’action sociale, la Mutuelle Générale a consacré plus de 13 millions d’euros à celles-ci en 2011. Elle réaffirme ainsi les principes d’entraide et de solidarité qui fondent son action.

Nous conservons également une autonomie de décision et de gestion qui scelle en particulier notre autonomie financière. Enfin, la représentativité des adhérents est au cœur du fonctionnement de la mutuelle et de ses instances de décision, en particulier l’assemblée générale annuelle qui est souveraine.


Dans le contexte de regroupement des organismes complémentaires, quelle est la stratégie de la Mutuelle Générale ?


On observe aujourd’hui un fort mouvement de concentration, en particulier chez les groupes de protection sociale et dans une moindre mesure dans la famille des mutuelles, afin d’atteindre la taille critique aujourd’hui indispensable pour assurer sa pérennité. La Mutuelle Générale devra immanquablement tenir compte de cette nouvelle réalité. Si le premier point de son ambition stratégique : « être une mutuelle interprofessionnelle de premier plan » est aujourd’hui atteint, reste pour elle à concrétiser le deuxième point de celle-ci : « devenir le pôle d’excellence santé d’un groupe d’assurance de personnes ».

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