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21 / 12 / 2012 | 17 vues
Regis Granarolo / Membre
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Précarité, concurrence déloyale : les conséquences du contrat de projet et du contrat intermittent

Les dernières séances de négociation sur la sécurisation (flexibilité) de l’emploi sont prévues les 19 et 20 décembre. Trois syndicats (la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC) sont sur le point de valider deux propositions de « dernière minute » du MEDEF : une extension du contrat de travail intermittent aux entreprises de moins de 50 salariés et surtout la création d’un « contrat de projet à durée indéterminée », une vielle revendication du patronat jusqu’ici toujours rejetée par les syndicats de salariés.

Les maigres compensations offertes en retour par le patronat sont sans commune mesure avec la précarité maximum qui concernera potentiellement des millions de salariés travaillant en mode projet (tels que les prestataires de services), sans compter la concurrence abusive que ces contrats pourront engendrer vis-à-vis des centaines de milliers de professionnels autonomes (indépendants, portage salarial) qui ont fait le choix d’une flexibilité assumée en contrepartie de revenus nettement plus élevés en période d’activité.

Par esprit de compromission, certains syndicats vont-ils « sacrifier » de nombreux travailleurs pour tenter d’obtenir un accord « globalement équilibré » avec le patronat ?

Le MUNCI entend combattre radicalement cette nouvelle flexibilité dans nos professions (…) et met en garde les syndicats de salariés contre un détournement durable des travailleurs à leur égard…

Danger pour les salariés

  • Précarité renforcée


L’organisation du travail s’effectue de plus en plus en mode projet pour des millions de salariés. Parallèlement, un nombre croissant d’emplois sont externalisés chez des sous-traitants, ou prestataires de services, sous forme de missions correspondant à des contrats commerciaux.

Ceci est tout particulièrement vrai dans notre branche des bureaux d’études techniques, dite branche Syntec-Cinov (convention collective n° 3018), qui est devenue la première branche professionnelle en France en nombre de salariés avec 700 000 ETP (voir tableau page 5). Il s’agit en effet d’une branche « fourre-tout » qui regroupe principalement les activités de prestations intellectuelles (services informatiques, édition logicielle, ingénierie, conseil, recrutement…) mais aussi les enquêtes et sondages, foires et salons etc.

Or, la principale valeur ajoutée (notamment par rapport à l’intérim) de nos sociétés de services réside dans le système de mutualisation des risques appelé « intercontrat » (ou « intermission ») qui assure la continuité du contrat et du salaire versé au collaborateur entre deux missions (période souvent mise à profit pour se former), ce qui permet d’avoir un taux de CDI élevé dans nos sociétés (95 %).

Qu’adviendra-t-il si nos sociétés de service, ou plus directement les donneurs d’ordres, décident d’embaucher au moyen de ces « nouveaux » contrats flexibles (le contrat de travail intermittent et le contrat de projet à durée indéterminée) plutôt qu’en CDI (ou plutôt que de faire appel à des prestataires de services en CDI) ?

De tels contrats pourraient développer fortement la précarité dans notre branche et dans nos métiers, ainsi que dans de nombreux autres secteurs, en faisant coïncider le contrat de travail avec le contrat commercial ou avec tout type de projet interne à l’entreprise (surtout en période de mauvaise conjoncture)…

Certes, le contrat de chantier existe déjà pour certaines activités, comme l’ingénierie et les travaux publics. Mais au lieu de permettre sa généralisation dans de nombreux autres secteurs d’activité, il s’agirait au contraire de mieux encadrer son recours étant donné l’utilisation abusive qui en est faite parfois dans certaines entreprises (telles que les SSII) où l’on travaille « de pratique habituelle » par chantier ou par mission (jurisprudence malheureuse de la Cour de Cassation…).

  • Qui plus est, de tels contrats entrent en opposition avec la nécessité de développer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pour lesquelles de nombreuses professions, telles que les nôtres, sont fortement demandeuses face aux exigences d’employabilité et de formation.


Quelles garanties pourra fournir un salarié en contrat de projet ou en contrat intermittent pour l’octroi d’un prêt bancaire ou la signature d’un bail ?

Il semble nécessaire de rappeler à certains que « le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail » (article 1 de la loi de 2008 portant modernisation du marché du travail) et que « les partenaires sociaux rappellent la priorité qu’ils accordent à la gestion prévisionnelle de l’emploi et au développement de l’emploi stable » (ANI du 24 mars 1990).

  • Multiplication des inégalités


Ces contrats précaires vont engendrer des inégalités faramineuses entre salariés selon les secteurs et les types de projets qui seront ou non éligibles, comme c’est déjà le cas avec le CDD à objet défini (exemple : CDD-OD : un premier accord de branche signé dans la banque mais pas pour les professions bancaires !), un contrat expérimental (beaucoup plus encadré : durée minimum de 18 mois, rupture possible seulement à la date anniversaire, contreparties diverses…) prévu pour 5 ans et qui n’a fait l’objet d’aucun bilan, contrairement à ce que prévoyait la loi de 2008 portant modernisation du marché du travail (article 6).

Inégalités également face aux licenciements : la rupture du contrat de projet se fera par un licenciement pour motif personnel, totalement injustifié, et non un licenciement pour motif économique.

Les partenaires sociaux vont-ils faire le choix d’élargir encore plus le fossé qui sépare les salariés à l’emploi relativement stable (grandes entreprises) avec tous les autres salariés (précaires et prestataires) chargés d’absorber les chocs de la conjoncture, telles des variables d’ajustement sur lesquels est reportée toute la flexibilité ?
Piqure de rappel : [étude] les sous-traitants, ces salariés de second rang….

Danger pour les professionnels autonomes

Ces contrats précaires se superposent abusivement à l’activité des professionnels autonomes tels que les travailleurs en portage salarial (un système choisi par un nombre croissant d’informaticiens).

Mais à la différence des salariés, les indépendants, eux, ont fait le choix de cette flexibilité voulue et assumée en contrepartie de revenus nettement plus élevés en période d’activité et d’une maîtrise d’œuvre autonome des projets clients.

Il n’y a donc aucune raison d’étendre au salariat la flexibilité déjà offerte aux entreprises par le recours aux professionnels autonomes.

Ceux-ci seront confrontés à une concurrence déloyale par ces nouveaux salariés en contrats précaires, contrats devenus beaucoup plus profitables à des sociétés ayant écarté par la même occasion tout partage des risques…

Un peu d'histoire patronale...
Le contrat de projet est un vieux « serpent de mer » du patronat. Un premier débat mouvementé sur ce contrat avait eu lieu fin 2003 dans notre branche sous l’impulsion du Syntec Informatique (membre actif du MEDEF), suscitant la désapprobation générale des syndicats de salariés. Fait historique sans précédent, une pétition (lancée par la CGT) contre ce contrat avait été signée par plusieurs dizaines de milliers d’informaticiens refusant de devenir des « intermittents de l’informatique »…Un sondage public sur notre site avait montré que 85 % des informaticiens étaient opposés à ce contrat. Après un détour par le rapport Virville, et après avoir été finalement écarté par le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, ce projet de contrat est réapparu en 2008 pendant les négociations sur la « modernisation du marché du travail », ce qui a finalement donné lieu au CDD-OD dans la loi portant modernisation du marché du travail. Ces dernières années, plusieurs lobbies (par exemple, Institut Montaigne, Croissance Plus ou encore Ethic…) et responsables politiques (par exemple, François Bayrou) ont ensuite proposé un « contrat de travail unique à droits progressifs » (un CDI pouvant être rompu à tout moment par l’employeur sans justifier de motifs économiques ou disciplinaires en s’acquittant d’indemnités de licenciement en fonction de l’ancienneté du salarié). Plus récemment : les entreprises de services veulent toujours plus de flexibilité sur le marché du travail (rapport 2012 de la CPCS : commission permanente de concertation pour les services). L’idée peut paraître séduisante mais, dans la pratique, il y aurait peu de différences entre ce type de contrat et le contrat de projet : le CTU est un contrat précaire déguisé en CDI…

Positions et actions du MUNCI

Pour le MUNCI, il n’y aucune raison d’accroître exagérément la flexibilité sur le marché du travail en raison des (nouveaux) outils offerts à nos employeurs : rupture conventionnelle (qui se pratique le plus souvent à l’initiative de l’employeur), prêt de main d’œuvre à but non lucratif (par exemple, groupements d’employeurs, système des détachements dans l’industrie des jeux vidéos…), chômage partiel etc.

Il importe au contraire de développer la GPEC et la GRH dans les branches et les entreprises, notamment les PME.

  • Plutôt que de généraliser les contrats précaires à certaines catégories de salariés, il serait plus juste d’autoriser des accords de compétitivité-emploi au niveau des entreprises et éventuellement d’assouplir à la marge les licenciements et les PSE.


Pour finir, rappelons que lorsque la croissance était au rendez-vous entre 1997 et 2001, personne ne réclamait plus de flexibilité… Faut-il sans cesse ré-écrire le droit du travail en fonction de la conjoncture ?

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