Sidérurgie : briser l'illusion
Comment ne pas penser à ceux qui forgent, jour après jour, notre industrie, et dont l’avenir est aujourd’hui très incertain. La production d’acier constitue l’acte de naissance en 1951 de la première communauté européenne. Secteur vital pour l’industrie, elle se retrouve une fois de plus au cœur des inquiétudes. A nouveau, des milliers de salariés voient leur avenir s’assombrir.
Une fois encore, notre continent et notre pays hésitent face à la nécessité de défendre une industrie stratégique.
Depuis 2008, la production d’acier dans l’Union Européenne a chuté de 30 %, entraînant la disparition de près de 100 000 emplois. ArcelorMittal réduit ses capacités en France, British Steel ferme ses derniers hauts-fourneaux au Royaume-Uni, ThyssenKrupp supprime massivement en Allemagne…
Ce ne sont pas des faits isolés : c’est toute une filière, socle historique de l’Europe industrielle, qui vacille.
Les causes sont identifiées : concurrence déloyale de l’acier chinois à bas coût, explosion des prix de l’énergie, sous-investissements chroniques, inertie politique.
Pendant que la Chine subventionne massivement sa sidérurgie et écoule ses excédents sur les marchés mondiaux, l’Europe continue d’appliquer des normes qu’elle est seule à respecter.
Ce choix, au nom d’un dogme de concurrence pure et parfaite, se traduit en désindustrialisation, précarisation et in fine en affaiblissement stratégique. Il est temps de briser l’illusion et de voir la vérité nue.
Nos aciéries vieillissantes doivent se moderniser et se décarboner. C’est une urgence climatique autant qu’économique.
Mais la transition énergétique, indispensable, suppose des choix politiques clairs : un soutien massif, mais conditionné, aux investissements, une protection intelligente de notre marché intérieur, une tarification énergétique adaptée. Le projet européen pour l’acier, dévoilé en mars, contient des éléments positifs mais reste insuffisant. Il faut aller plus loin.
Penser en termes de souveraineté industrielle ne relève pas de l’hérésie, mais de la nécessité. Sans acier, pas d’éoliennes, pas de trains, pas d’automobile, pas de défense.
Le protectionnisme intelligent n’est pas un gros mot. Il est temps d’assumer des politiques qui protègent, non celles qui affaiblissent. De faire primer les emplois industriels sur les importations low-cost. De privilégier le travail, la compétence et l’indépendance plutôt que la soumission aux flux mondiaux incontrôlés.
Notre avenir industriel se joue aujourd’hui. L’ignorer serait, une fois de plus, sacrifier l’industrie, les salariés, et finalement l’Europe et la France elles-mêmes