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14 / 11 / 2025 | 30 vues
Eric Gautron / Abonné
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Projet de loi sur la lutte contre la fraude sociale et fiscale: un goût d'inachevé

Notre organisation syndicale a été auditionnée  par la Commission des affaires sociales du Sénat le 27 octobre. L'occasion de faire part de nos observations sur ce sujet important.


Notre organisation revendique depuis plusieurs années une loi ambitieuse pour combattre les fraudes qui, par leur ampleur, pénalisent lourdement le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale.


La France est un des rares pays à ne pas disposer d’estimation officielle de la fraude. Si quelques annonces ont été faites par les gouvernements précédents, nous ne disposons toujours pas à la différence de pays comparables d’évaluation rigoureuse du phénomène.


Ce projet de loi semble mettre sur un pied d’égalité fraude sociale et fraude fiscale. Ce parallèle est parfaitement spécieux au regard des estimations des enjeux financiers et de nature à alimenter les populismes et à habiller une politique de restrictions de droits.


Pour rappel, la seule fraude fiscale est estimée entre 80 et 100 milliards d’euros par an (1).

La part attribuable aux usagers n’en représente qu’un peu plus du tiers (34%) quand l’essentiel de la fraude sociale est le fait des professionnels de santé, des entreprises et des travailleurs indépendants.


La fraude sociale, quant à elle, est évaluée par le HCIPS (2) en moyenne à 13 milliards d’euros par an, dont la majeure partie incombe aux entreprises (entre 7,3 et jusqu’à 9,2 milliards de fraude aux cotisations).

 

Contrairement aux idées reçues, les assurés sociaux n’en représentent qu’un tiers (entre 2,8 et 4,4 milliards d’euros), le reste étant imputable aux professionnels de santé (1,3 à 1,7 milliard d’euros) (3).


Notre Confédération  attendait donc un projet de loi à la hauteur de ces enjeux, permettant de récupérer cette manne financière et de préserver notre modèle social ainsi que nos services publics.

 

Malheureusement, ce ne sera pas le cas.


En effet, le gouvernement anticipe un rendement supplémentaire de 1,5 milliard d’euros en 2026, (sur 20 milliards de recouvrement en 2024) — une estimation jugée « peu crédible » par le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP).
 

Ce manque d’ambition, dans le contexte budgétaire actuel, est bien loin de la mobilisation générale indispensable pour s’attaquer véritablement à la fraude fiscale et sociale et à l’optimisation fiscale agressive, qui sapent le fondement du consentement à l’impôt, minent la cohésion sociale et alimentent un périlleux ras-le-bol fiscal. Hors de proportion également avec les 211 milliards d’aides aux entreprises sans condition ni contrepartie.


Notre organisation syndicale  est favorable aux mesures prévues dans ce texte, notamment :
 

 

  • Sur le volet fiscal concernant : Le décloisement des échanges d’informations, le durcissement des sanctions pénales, extension des obligations déclaratives, amélioration du recouvrement et renforcement de l’action pénale sous réserve des garanties déjà prévues entre administrations ou opérateurs concernant l’habilitation, la traçabilité des informations transmises pour préserver le secret fiscal et la protection des données individuelles.

 

  • Sur le volet social concernant : la flagrance sociale, la solidarité financière entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant, la saisie des assurances vie, coordination des OSS, les sanctions de la fraude contre les AT/MP, la lutte contre la fraude à l’assurance maladie, les échanges d’information entre AMO-AMC, l’extension du droit de communication, la lutte contre la fraude des organismes de formation professionnelles. Combiné à l’article 4 du PLFSS qui renforce le pouvoir des organismes de recouvrement, cet arsenal constitue une avancée.


Néanmoins, force est de constater que ces mesures restent insuffisantes pour assurer un recouvrement efficace.

 


Sur le volet fiscal :


D’abord, notre organisation syndicale dénonce une contradiction majeure entre les ambitions affichées et les moyens alloués à l’administration fiscale.


En 2025, le ministère de l’Économie et des Finances a subi 523 suppressions d’emplois, et le PLF 2026 en prévoit 598 de plus. Depuis 2008, plus de 33 000 postes ont été supprimés, soit le quart de ses effectifs dont plus de 4 000 sur la seule sphère du contrôle fiscal.


Les services sont « à l’os », les agents épuisés, et les missions de contrôle entravées. Nous demandons   donc la fin de ces coupes et la reconstitution urgente des effectifs. De plus, le texte évacue la question de
l’évasion et de l’optimisation fiscale des grands groupes et des très hauts patrimoines.


Nous avons également tenu à  souligner l’imprudence qu’il y aurait par ailleurs à s’en remettre trop largement aux vertus encore largement virtuelles de l’intelligence artificielle qui, à ce stade, peine à rivaliser avec l’efficacité de la connaissance fine du tissu économique et social des agents en charge des contrôles et alimente à son tour la réduction des effectifs gagée par son déploiement.


Sur le volet social :


Les mesures sont tout aussi limitées. Hormis l’article 21 sur la flagrance sociale et quelques dispositions concernant les flottes de transport ou les donneurs d’ordres, rien n’est prévu pour alléger les contraintes pesant sur les inspecteurs de l’URSSAF ni pour empêcher les faillites volontairesdestinées à échapper au recouvrement.


L’exemple des Jeux Olympiques l’illustre parfaitement : à l’initiative de notre organisation syndicale, qui a porté cette revendication devant le Directeur général de l’URSSAF CN et son Conseil d’administration, des contrôles ont été menés sur 841 sociétés.

 

Résultat : 93 entreprises redressées pour un préjudice total de 46 millions d’euros, soit 500 000 € par dossier. Pourtant, la majorité de ces sommes n’a pas été recouvrée, ces sociétés ayant été placées en liquidation dès novembre 2024.


Pour rappel, le HCFIPS (4) dans son rapport de septembre évalue le montant de la fraude à 13 milliards, pour seulement constatée 2,1 milliards et 600 millions réellement recouvrés.


Ainsi  devient-il  essentiel :

 

  • de réduire les contraintes réglementaires qui pèsent sur les inspecteurs de l’URSSAF et d’accélérer les procédures de lutte contre le travail dissimulé ;
  • de prévoir des dispositifs efficaces contre les entreprises qui organisent leur insolvabilité;
  • et de renforcer les moyens humains et matériels des tribunaux judiciaires, dont les délais, de 2 à 3 ans, facilitent ces pratiques frauduleuses.

 


Outre ces revendications, nous  préconisons  pour lutter efficacement contre la fraude aux cotisations :
 

 

  • Renforcer le devoir de vigilance du donneur d’ordre : en lui permettant un accès direct via un portail sécurisé aux documents à vérifier (immatriculation du sous-traitant, attestation URSSAF). Cette simplification renforcerait sa responsabilité, en lui donnant la possibilité de télécharger lui-même les attestations grâce au numéro SIRET du sous-traitant. Ainsi, le donneur d’ordre ne pourrait plus se retrancher derrière l’inaction de son sous-traitant pour se soustraire à ses obligations de vigilance.

 

  • la création d’une base de taxation des activités illicites et la transmission systématique des revenus évalués par la justice et l’administration fiscale aux organismes sociaux sous réserve du respect du secret fiscal et des règles auxquelles sont déjà soumises les agents de la DGFiP (traçabilité des consultations des données en lien avec les opérations de contrôle par les agents habilités et sous contrôle de l’autorité judiciaire) ;

 

  • L’anonymisation des mises en demeure URSSAF en cas de travail dissimulé (comme le prévoit déjà le projet de loi pour la formation professionnelle) ;
     
  • un accès aux fichiers des cartes grises pour les inspecteurs du recouvrement URSSAF;
     
  • un renforcement des sanctions en matière de contentieux URSSAF ;

 

  • et enfin, des moyens supplémentaires humains et matériels, notamment via l’utilisation de l’intelligence artificielle et du big data pour la fraude internationale et la fiabilisation des données.


Notre confédération  regrette enfin que certains secteurs sensibles soient ignorés : la fraude au financement des crèches privées, des Ehpad, ou encore celle de certains professionnels de santé (arrêts de travail ou prescriptions injustifiées). Ces fraudes, financées en partie par la solidarité nationale, constituent une véritable double peine pour les finances de la Sécurité sociale.


De même, le projet de loi occulte totalement la question des autos-entrepreneurs. Beaucoup d’entre eux ne déclarent pas la totalité de leur chiffre d’affaires ou retardent leurs déclarations afin de rester en dessous des seuils du régime micro-social, qui offre des conditions plus avantageuses que celles du régime classique. Initialement destiné à encourager la création d’activité, ce régime est parfois utilisé comme un moyen de concurrence déloyale, en raison de son cadre social et fiscal plus favorable.


Pour nous , au-delà d’une certaine durée d’activité et en fonction du niveau de chiffre d’affaires, les auto-entrepreneurs devraient être automatiquement transférés vers le régime réel. Une telle mesure contribuerait à une meilleure équité contributive entre les différentes formes de société et limiterait les risques de fraude tout en continuant à soutenir les créateurs d’entreprise.


Enfin, notre organisation syndicale  est fermement opposée à l’article 27 du PJL, qui supprime la quotité saisissable de l’ARE, garantissant un minimum vital. Cette protection est indispensable pour assurer aux personnes en difficulté un revenu décent, équivalent au RSA, même en cas de fraude.


De plus, elle  exprime de fortes réserves sur la saisie administrative à tiers détenteur (SATD) confiée à France Travail, qui pourrait entraîner des saisies arbitraires et disproportionnées, portant atteinte aux droits fondamentaux des allocataires.

 

Rappelons  enfin que la fraude à l’assurance chômage ne concerne qu’environ 1 % des demandeurs (5) : il est donc essentiel de ne pas se tromper de cible !


Pour FO, ce projet de loi, bien que comportant des avancées, laisse un goût d’inachevé.

 


1) Rapport parlementaire – Gestion des finances publiques : Lutte contre l’évasion fiscale, loi de finance pour 2025
2) HCFIPS – Lutte contre la fraude sociale état des lieux et enjeux, Juillet 2024 / HCFIPS – Observatoire du travail dissimulé – réunion du 10.11.2022 / voir aussi : Cour des comptes – la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, septembre 2020
3) Rapport d’information, n°901 du Sénat – Sécurité sociale : la boîte à outil du SénatAnnexe 2 - Circ. n°199-2025

4) HCFIPS – Lutte contre la fraude sociale état des lieux et enjeux, juillet 2024
5) Source UNEDIC

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