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27 / 11 / 2025 | 18 vues
Valérie Forgeront / Membre
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Projet de loi anti-fraudes : un déséquilibre dans ses cibles ?

L e Sénat a adopté le 18 novembre le projet de lutte contre les fraudes fiscales et sociales, présenté à la mi-octobre par le gouvernement qui a érigé cette lutte en enjeu majeur et a souhaité que le projet de loi soit examiné dans le même temps que les projets de textes budgétaires (PLF et PLFSS) pour 2026.

 

Le plan anti-fraude, qui doit être désormais débattu à l’Assemblée, vise (notamment par des échanges de données entre services, des contrôles plus poussés et l’accès aux données fiscales et sociales aux caisses d’assurance maladie, d’assurance vieillesse et d’assurance retraite) à récupérer des recettes fiscales et sociales à hauteur de 2,3 milliards d’euros en 2026.

 

Quelque 1,5 milliard pour la fraude fiscale, 800 millions pour la fraude sociale.

 

Cela apparaît comme une goutte d’eau face au montant estimé des fraudes, soit 13 milliards d’euros pour la fraude sociale (avec, selon l’Urssaf, entre 7,3 et 9,2 milliards d’euros du fait de fraudes aux cotisations par les entreprises) et de 80 à 100 milliards pour la fraude fiscale.

 

Le texte du projet, qui se focalise particulièrement sur la fraude sociale, a été durci par le Sénat, lequel a mis notamment les chômeurs dans son viseur. Il est ainsi question de permettre à France Travail de contrôler le lieu de résidence des allocataires (lesquels doivent être domiciliés en France selon la loi déjà existante), cela par la consultation des relevés téléphoniques ou encore des fichiers des compagnies aériennes.

 

Des mesures visant la formation (pour la certification des CPF), d’autres prévoyant une suspension des allocations chômage ou de prestations sociales en cas de doute de fraude… Il s’agit d’accélérer le passage de la suspicion à la détection, de la détection à la sanction et de la sanction au recouvrement, a martelé la ministre de la Santé, Stéphanie Rist, devant le Sénat.

 

Le non-recours aux prestations sociales reste fort

 

Pour le Conseil d’État, le projet ne contient pas de réforme d’ampleur des outils de lutte contre les fraudes, entre autres fiscales. La Défenseure des droits appelait, elle, dès le 31 octobre, à « un rééquilibrage du projet de loi entre répression de la fraude et protection des droits des usagers.

 

La lutte contre la fraude ne peut se faire au détriment de ces droits et notamment du droit à des moyens convenables d’existence et des droits de la défense, sous peine d’aggraver le phénomène déjà massif de non-recours aux droits sociaux ».

 

En 2023, selon la Drees, le non-recours aux prestations sociales, dont le RSA, dépassait 30 %. La Confédération FO  revendique pour sa part, en matière de fraude sociale notamment, le renforcement des sanctions contre les entreprises, qui obtiennent la première place sur le podium des fraudeurs.

 

En matière de fraude fiscale, la confédération souligne qu’il serait temps de s’attaquer réellement à la lutte contre l’évasion fiscale (fraude, optimisation) des grands groupes et très hauts patrimoines, champions de l’évitement fiscal.

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Les médias ont été prompts récemment à se saisir des résultats de la lutte contre la fraude en matière de prestations de retraite… Quitte à oublier certains chiffres. Le 25 novembre dernier, la Caisse nationale d’Assurance vieillesse (CNAV) communiquait sur sa campagne 2024 (portant sur les données de 2023) de lutte contre ce type de fraude sociale. 

 

Il s’agit pour l’Assurance retraite de garantir le paiement à bon droit des prestations retraite et préserver le caractère solidaire du système en prévenant et détectant les fraudes, soulignait fort légitimement la CNAV, indiquant que plus de 9 000 collaborateurs sont formés pour détecter et signaler les suspicions de fraude.

 

En complément, environ 100 salariés sont spécifiquement dédiés aux enquêtes, tandis qu’un millier d’agents réalisent des contrôles réguliers. Alors que 15 millions de retraités perçoivent des prestations (dont 1,5 million résidant à l’étranger), la fraude est-elle massive ?

 

Un montant, qui aurait doublé depuis 2017, a particulièrement été médiatisé : 188 millions d’euros. Mais il n’est en rien celui estimé (à partir d’un échantillon de 5 000 retraités, précise la CNAV) spécifiquement pour l’année 2023.

 

Seulement 22 retraités sur 5 000…

 

Ce montant de 188 millions – qui par ailleurs est à mettre en pendant de celui portant sur le total annuel des prestations versées, soit 160 milliards d’euros – renvoie aux fraudes et comportements fautifs évités. Il évoque ainsi des montants qui auraient pu être versés à tort sans détection de la fraude. Cela entend traduire – calculé à partir de l’espérance de vie des retraités – ce qui aurait pu être versé à ces derniers (pension personnelle, de réversion, minimum vieillesse…) pendant le reste de la durée de leur retraite. Ce montant est donc virtuel.

 

Dans la réalité, pour 2023, la caisse estime que la fraude (ou erreurs dans les déclarations) concerne 0,13 % des retraités, cela comprenant les anciens travailleurs indépendants. Et cette fraude totale est estimée à… 76 millions d’euros, soit environ 0,054 % des dépenses de 2023.

 

La CNAV indique : Après analyse définitive, il apparaît que seuls 22 retraités de l’échantillon statistique [sur 5 000, NDLR] ont fraudé. Il s’agit uniquement de retraités bénéficiant du minimum vieillesse (ou Aspa) ou d’une retraite de réversion. Une fraude particulièrement dérisoire, donc.