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12 / 09 / 2019 | 516 vues
Jean Meyronneinc / Abonné
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Lutte contre la fraude fiscale : le nouveau service d’enquêtes judiciaires des finances ne doit pas cacher une forêt de détériorations

Début juillet, Gérald Darmanin, Ministre de l’Action et des Comptes publics, a inauguré le nouveau service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF).
 

Régulièrement dénoncée par les organisations syndicales de Bercy, la fraude fiscale prive l’État de ressources importantes chaque année. La loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 visait à augmenter les capacités d’enquête à disposition de l’autorité judiciaire en matière fiscale et douanière, en introduisant, parallèlement à un renforcement de l’arsenal pénal, l’affectation d’officiers fiscaux judiciaires au sein d’un nouveau service spécialisé dans la répression de la délinquance fiscale.
 

Placé sous la co-tutelle du directeur général des douanes et des droits indirects et du directeur général des finances publiques, ce nouveau service est dirigé par un magistrat de l’ordre judiciaire. Il peut notamment être saisi par le parquet national financier (PNF) dans le cadre de dossiers nécessitant une expertise fiscale, douanière ou financière.
 

Nouveauté de la réforme, en complément des moyens du Ministère de l’Intérieur, le SEJF peut être chargé de dossiers de présomption de fraude fiscale nécessitant une expertise fiscale de pointe et la mise en œuvre de moyens judiciaires d’enquête.


Le service d’enquêtes judiciaires des finances se compose de 266 enquêteurs habilités, dont 241 officiers de douane judiciaire et 25 officiers fiscaux judiciaires. Ces agents sont spécialement habilités à exercer des missions de police judiciaire et disposent de l'ensemble des prérogatives mises à leur disposition par le code de procédure pénale.
 

La journaliste Valérie Forgeront s'est penchée sur le sujet cette semaine pour la revue FO Hebdo. Elle souligne que la création du Service d’enquêtes judiciaires des finances, service dit d’élite consacré à la lutte contre la fraude fiscale ne fait pas oublier aux agents des finances publiques (DGFIP) et des douanes les difficultés dans leurs administrations respectives. Ces détériorations dues aux suppressions massives d’effectifs et aux restructurations intempestives mettent la réalisation des missions publiques en péril et dégradent les conditions de travail des agents. Elle entend aussi « remettre remet les pendules à l’heure ».
 

Quoique difficile à quantifier, la fraude fiscale en France induit chaque année un manque à gagner considérable pour l’État. Le montant de cette fraude (un millier de dossiers ont été transmis à la justice en 2018) est évalué à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, entre 60 et 100 milliards d’euros, indiquent certaines sources, tandis qu’un rapport de la Cour des comptes sur ce sujet doit être remis au gouvernement en novembre prochain.
 

Depuis des années, les gouvernements successifs affirment vouloir lutter contre ce fléau avec de nouveaux outils juridiques de contrôle et d’échange de données fiscales, y compris en renforçant les relations et la transmissions d’informations fiscales entre pays européens.
 

Certes, la lutte contre cette fraude fiscale et douanière se renforce mais dispose-t-elle de suffisamment de moyens ? Cette « police fiscale » annoncée par  le ministre comptera une quarantaine d’agents des finances publiques, officiers fiscaux judiciaires.
 

Le SEJF, l’arbre qui cache une forêt de détériorations ?
 

Pour l’instant seuls vingt-cinq y sont affectés, ayant reçu une formation à l’école des douanes. Les 241 agents du service national de douane judiciaire vont eux aussi être affectés à ce service d’un nouveau genre, qualifié par le ministère de « force d’élite ». Lorsque le service SEJF sera saisi (par exemple par le Parquet national financier), les agents vont pouvoir perquisitionner, géolocaliser, mettre en garde à vue, mener des auditions, mettre sous écoute et saisir les avoirs ou les biens qu’ils vont découvrir, explique Gérald Darmanin.
 

L’accélération du mouvement de lutte contre une fraude (TVA, impôts directs…) qui pèse lourdement sur les finances publiques, privant chaque année l’État de recettes fiscales dues, ne peut que réjouir bien sûr. Cependant, si le SEJF à compétence nationale est présenté comme la figure de proue des services fiscaux, ne serait-il pas l’arbre qui cache la forêt, la nouveauté médiatisée qui masque la détérioration des autres services ?
 

Prenant acte de l’arrivée de ce nouveau service, la fédération FO des finances se montre critique et replace la création du SEJF dans un contexte qui n’a rien de satisfaisant au plan du respect par le ministère des emplois et des missions de l’ensemble des services des secteurs de l’Économie et des finances.
 

Des services malmenés par les réformes
 

Le SEJF est-il suffisant ? Cette configuration ne sera pas celle qui permettra de trouver les 60 milliards tant espérés, non que la fraude n’existe pas mais uniquement car les moyens sont encore sous-dimensionnés face à l’ampleur de la tâche. De plus, ce ne sont que des transferts et non des créations d’emplois pour notre ministère, soulignait récemment Philippe Grasset, secrétaire général de la fédération des finances FO.
 

C’est là que le bât blesse, entre autres. Ainsi, Philippe Grasset indique que le projet de supprimer 40 000 postes de fonctionnaires censés combattre cette fraude perdure. Par ailleurs, la répartition sur tout le territoire de ce service du SEJF reste à optimiser et, enfin, que les 250 agents de l’administration des douanes s’interrogent encore à l’idée de ce basculement vers le ministère, sans autre explication qu’un comité technique de réseau très évasif et avec des textes légaux qui vont jusqu’à prévoir un éventuel basculement vers le ministère de l’intérieur.
 

En effet, la présentation de ce nouveau service ne fait pas oublier aux agents (tant des douanes que des finances publiques) les réformes structurelles qui mènent les services à des états désastreux au plan des moyens et des emplois depuis des années et au nom des économies à réaliser.
 

Depuis le mois de mars, les agents de la DGFIP ont ainsi effectué de nombreuses grèves et autres occupations de sites pour signifier leur opposition à une nouvelle restructuration territoriale des services des finances publiques et de leurs implantations dont le nombre serait divisé par quatre d’ici 2022. Ces services à part entière seraient, au mieux, remplacés par des points d’accueil qui plus est parfois itinérants. Concrètement, le maillage territorial de ces services publics est en recul et les services s’éloignent de plus en plus des citoyens/usagers.
 

Des administrations privées de dizaines de milliers de postes
 

La situation de l’emploi à la DGFIP inquiète aussi le personnel, de plus en plus surchargé de travail par la fonte chronique des effectifs. Depuis plus de dix ans et au prix d’une mise en péril des missions, cette direction perd 2 000 emplois par an en moyenne.
 

Du côté des services des douanes et droits indirects, la situation n’est pas plus glorieuse. Les agents se sont mis en grève au printemps dernier, fustigeant le manque d’effectifs et la dégradation continue des conditions de travail. En vingt ans et au fil de multiples fusions et restructurations de ses implantations territoriales, la douane (à laquelle l’État demande de participer activement à la lutte contre la fraude) a perdu plus de 6 000 postes.
 

De fait, tant à la DGFIP qu’aux douanes, face à une situation de services exsangues et à la difficulté pour les agents de continuer d’assurer les missions publiques, chacun regarde les annonces récentes en matière de lutte contre la fraude avec distance et méfiance. Il ne faut pas que cette nouvelle police fiscale devienne la vitrine du contrôle fiscal et signe la mort des services de vérification de la DGFIP et des Douanes dans le réseau, résume Philippe Grasset.

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