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15 / 06 / 2021 | 120 vues
paul santelmann / Membre
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Jeunes et apprentissage : y voir plus clair

La dernière réforme de l’apprentissage menée par le gouvernement a dépossédé les conseils régionaux de leur responsabilité de régulation du système au profit d’un « pilotage » par les branches professionnelles, d’une libéralisation de l’offre de formation et d’un mode de financement « au contrat » des CFA. Cette réforme est présentée comme « débureaucratisation » du système (amorcée en fait dès 1987 avec la diminution des modalités de contrôle administratif des entreprises et des CFA) supposée faciliter l’augmentation du nombre d’apprentis. En fait, la réforme de l’apprentissage a consisté à le rapprocher du dispositif paritaire du contrat de professionnalisation dont les caractéristiques premières ont été l’absence de toute régulation de l’offre de formation et une sélectivité croissante des jeunes.
 

La nouvelle donne demeure pourtant fortement encadrée par l’État (France Compétences) et par un rôle de subordination des branches professionnelles disposant pas des moyens d’un pilotage territorialisé de l’appareil de formation concerné, seul moyen de maintenir des priorités en termes de public, de besoins en compétences et de certification professionnelle. En réalité, maîtriser l’apprentissage est intimement lié à une compréhension du rapport à l’emploi des jeunes ; or le développement de l’apprentissage et des contrats de professionnalisation n’a guère fait bouger ce rapport depuis trente ans.

 

État des lieux

Les impulsions gouvernementales relatives à l’alternance et l’apprentissage datent des années 1980 et visaient plusieurs objectifs : qualifier les jeunes qui avaient échoué à l’école, réduire le chômage des jeunes en privilégiant l’accès à l’emploi et améliorer l’adéquation entre la formation des jeunes et les besoins en qualification des entreprises. Globalement, il s’agissait de renforcer la relation des jeunes au travail et de mieux impliquer les entreprises dans cet enjeu. Ainsi, en vingt-cinq ans, le nombre d'entrées dans les contrats d'alternance et d'apprentissage a quasiment doublé et est passé de 279 000 à plus de 550 000 (voir tableau ci-dessous).

Tab2

 

Mais cette progression des contrats en alternance a-t-elle amélioré l’emploi des jeunes ? Les 16-25 ans sont environ 8 millions ; fin 2019, 735 500 d’entre-eux étaient chômeurs (catégories A, B et C), dont 482 800 en catégorie A (inscrit sans activité partielle) [1]. Le taux de chômage des jeunes est souvent mis en avant (25 %) sachant qu’il et calculé sur la base de la population active (en emploi ou recherchant un emploi) qui n’atteint pas 3 millions pour cette population. Les autres (plus de 5 millions) sont majoritairement en formation initiale, en stage ou sans emploi mais pas inscrit à Pôle Emploi, c’est-à-dire « inactifs » selon les critères statistiques de l’INSEE.


En fait, les jeunes s’éloignent de l’emploi et du monde du travail depuis des décennies et beaucoup d’entre-eux se retrouvent plutôt dans une sorte de zone grise d’exclusion du marché du travail. Le poids des jeunes dans le monde du travail s’est donc considérablement dégradé malgré l’augmentation du nombre de bacheliers, la massification de l’enseignement supérieur, le développement de l’apprentissage et, plus globalement, des dispositifs post-scolaires de formation des jeunes.
 

Si 3,5 millions de jeunes exerçaient un emploi dans les années 1980, ils ne sont plus que 2,2 millions aujourd’hui alors que le nombre d’emplois est passé de 21,2 millions [2] à 27,2 millions. En clair, la part des jeunes dans l’emploi est passée de 16 % à 8 %. Quant à la qualité de l’emploi des jeunes, elle s’est également dégradée puisque les CDD, les emplois précaires, les processus de déqualification et les contrats en alternance sont désormais majoritaires dans l’emploi des jeunes. On peut estimer que seuls environ 500 000 jeunes ont un CDI correspondant à leur niveau ou spécialité d’études. Cette situation est d’ailleurs confirmée par la dégradation continue de l’adéquation entre spécialités de formation et emploi exercé chez les jeunes notamment au niveau V et IV. La surqualification à l’embauche accentue évidemment ce phénomène.

Quant à la répartition des jeunes (15 à 24 ans [3]) par secteur d’activité, elle traduit des disparités importantes (voir tableau ci-dessous) qui justifierait des politiques sectorielles plus affirmées.

 

Tab3

 

En effet, dans certains secteurs, le poids plus importants des jeunes reflète souvent le poids des contrats précaires ou d’apprentissage et pas une relation plus solide à l’emploi. Cette situation laisse l’hypothèse que l’apprentissage et l’alternance n’ont pas consolidé le rapport à l’emploi et au travail des jeunes et qu’ils se sont plutôt substitués aux CDI ouverte. Il y aurait donc lieu d'affiner cette hypothèse en analysant l’évolution des types de contrats de travail par secteur et par territoires sur les trente dernières années plutôt que de s’extasier sur la progression de l’apprentissage et de l’alternance indépendamment de la place des jeunes dans l’emploi.

 

Pénalisation croissante des jeunes peu diplômés

 

Par ailleurs, le développement des formules d’alternance n'a pas résolu le sous-emploi et le décrochage d’une grande partie des jeunes issus des milieux populaires. Certes, l'alternance sous contrat de travail a positivement influencé l’implication formative des entreprises. De plus en plus de tuteurs et de formateurs occasionnels se sont mobilisés dans le cadre de l'accompagnement des stagiaires, des apprentis, des jeunes en contrat de professionnalisation ou, tout simplement, des nouveaux embauchés. Cette dynamique a induit un enracinement de l'encadrement formatif au sein des TPE : en 2014, les entreprises de moins de 50 salariés ont accueilli 290 000 jeunes dans ces dispositifs où l'on se forme en centre de formation et en entreprise [4].
 

En 2019, les contrats de professionnalisation ne concernaient que 48 300 jeunes de niveau CAP ou non diplômés sur 218 700. En fait, 166 100 alternants peuvent être considérés comme le public cible d’une politique publique tournée vers les jeunes peu qualifiés, soit 30 % de l’ensemble. Pour autant, il faut analyser la répartition des apprentis au sein des centres de formation.
 

Au 31 décembre 2018 [5], les centres de formation d’apprentis accueillaient 448 100 apprentis, soit une hausse de 4,2 % par rapport à 2017. La répartition des apprentis par niveau de diplôme est désormais marquée par un poids grandissant de l’enseignement supérieur.

 

T4

 

Si les effectifs d’apprentis dans l’enseignement secondaire sont en hausse (+ 1,8 %), la croissance de l’apprentissage se focalise surtout dans l’enseignement supérieur long (licence, master et ingénieur) avec une hausse de + 8,5 % et des effectifs supérieur au niveau III (BTS et DUT). La hausse des entrées en apprentissage entre 2017 et 2018 concerne particulièrement le secteur du bâtiment, des moteurs et mécanique automobile (1 097 entrées), de l’informatique (905 entrées), des échanges et gestion (820 entrées) et du commerce et de la vente (783 entrées). En revanche, le secteur alimentation-cuisine (- 489 jeunes), l’accueil et l'hôtellerie (- 427 jeunes) et celui des forêts, espaces naturels, faune et pêche (- 340 jeunes) sont en baisse. Les secteurs de la production restent majoritaires en termes d’entrées en CAP et Bac pro en formant près de 70 % des apprentis. En revanche, dans le supérieur, le rapport s’inverse au profit des spécialités de services (près de 60 % des apprentis).
 

Structurellement, l’apprentissage reste marqué par une disparité garçons/filles au détriment de ces dernières dont les effectifs ont diminué de 0,5 point par rapport à 2017 (32,7 % en 2018). Cette part des filles varie selon le niveau et la spécialité du diplôme préparé. En tendance, la part des filles augmente avec le niveau du diplôme préparé et la prédominance des spécialités de services. Mais les filles demeurent minoritaires (26,1 %) au niveau V. Elles pèsent 47,8 % des effectifs au niveau licence mais au niveau master, cette part n’est plus que de 38,0 %.

 

[1] DARES, Résultats, avril 2021, n° 16.

[2] Olivier Marchand, Élisabeth Martin-Le Goff. « L'emploi en 1985 : les signes d'une amélioration », Économie et statistique, n° 187, avril 1986.

[3] INSEE références, édition 2020, travail-emploi.

[4] En revanche, les entreprises moyennes de 50 à 250 salariés, insuffisamment développées en France, ont une part marginale et stagnante dans l'accueil des apprentis et des alternants. En 2018, ces entreprises n’ont accueilli que 29 300 apprentis sur 302 000.

[5] Note d’information de la DEPP n° 19, 30 juillet 2019.

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