Participatif
ACCÈS PUBLIC
18 / 06 / 2019 | 947 vues
Theuret Johan / Membre
Articles : 61
Inscrit(e) le 04 / 09 / 2017

Il est temps de changer le modèle de la santé au travail dans la fonction publique

L'Association des DRH des grandes collectivités territoriales mène une réflexion et des actions s’inscrivant dans la durée sur le champ de la prévention et du maintien dans l'emploi des agents publics : évaluation annuelle de l’absentéisme dans la fonction publique territoriale, journée d’études dont celle de décembre 2018 consacrée à la prévention de l'inemployabilité et aux contributions aux réformes.

À ce titre, l’association a remis sa proposition de pacte de confiance en faveur des agents au gouvernement fin 2018, laquelle intègre une contribution sur l’amélioration des conditions de travail et la prévention sur les axes suivants :
 

  • développer la transversalité médicale pour mieux prévenir la pénibilité, notamment par la mise en place d’entretiens de santé au travail infirmiers (ESTI) sur le même modèle que dans le secteur privé ;
  • améliorer l’accompagnement des reconversions pour raisons de santé en étudiant la création d'une mission commune entre les CDG et le CNFPT pour mutualiser le risque de reclassement pour invalidité et concevoir une ingénierie commune qui assure efficacement l’équité de traitement entre agents des petites et des grandes collectivités ;
  • fluidifier le fonctionnement des instances médicales en désignant un médecin agréé par l’Agence régionale de santé placé auprès des centres de gestion, en mettant fin aux contre-expertises médicales pour les CLM-CLD par un médecin agréé ;
  • réformer l’organisation et le financement de la prévention et du risque de maladie en mettant un organisme en place qui prenne le risque de santé en charge pour la FPT. Alimenté par une cotisation des employeurs qui sera notamment modulée sur la base de la sinistralité comme des mesures de prévention qu’ils auront chacun initiées. Cela permettra non seulement une répartition du risque sur l’ensemble des employeurs cotisants mais aussi une professionnalisation de la gestion du risque maladie.
     

Dans le cadre des discussions actuelles sur l'évolution de la fonction publique, l'ADRHGCT a formalisé sa contribution écrite suite à son audition, le 6 juin dernier, par la mission parlementaire menée par Charlotte Lecocq sur la santé au travail dans la fonction publique.
 

La contribution repose sur ces axes. Elle résulte des réflexions des DRH basées sur leurs expériences de terrain.

 

À travers cette contribution, l’association poursuit un objectif de simplification du système de gouvernance et des modes opératoires et elle plaide pour davantage d’efficacité, la prévention contribuant à la santé des agents, elle-même facteur de performances du service public.

 

Ressources et outils au service de la prévention
 

Créer les conditions pour conforter la pluridisciplinarité


Depuis la loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail, la notion de pluridisciplinarité des équipes de santé au travail est instaurée. Afin de concrètement mettre ces équipes pluridisciplinaires en œuvre, le partage des tâches est à revoir entre des médecins de prévention, de moins en moins nombreux, et les autres membres de l’équipe afin de développer les synergies et les complémentarités en matière d’actions de prévention, notamment par la mise en place d’entretiens de santé au travail infirmiers sur le même modèle que dans le secteur privé.
 

Une modification des textes en ce sens permettrait un accompagnement plus adapté des agents et des collectifs de travail laissant les médecins consacrer leur temps principal aux situations exposées et aux interventions sur le terrain avec une équipe de professionnels d’infirmiers de santé au travail, d’ergonomes, d’ingénieurs de prévention, d’assistants sociaux et de psychologues du travail (cf dispositions du Code de santé publique (art. L4311-1) et Code du travail (livre VI, titre II, chapitre III, section 4 « Personnel infirmier » et sous-section 1 art. 4623-29 à 31) : entretien de santé au travail infirmier et actions sur le milieu du travail).
 

Dans ce cadre, il conviendrait de redéfinir les modalités d’exercice de la médecine de prévention dans la fonction publique territoriale et de revoir la fréquence des visites périodiques en particulier.


Proposition :

  • tous les 4 ans si entretien de santé au travail infirmier intermédiaire tous les 2 ans. On peut envisager un système dans lequel le médecin délègue une partie de son travail à l’infirmier, y compris sur la temporalité des visites ;
  • tous les 3 ans pour les mineurs, les travailleurs handicapés et les pathologies particulières ;
  • tous les 2 ans pour les métiers à habilitation particulière en cas d’entretien de santé au travail infirmier intermédiaire tous les ans. Notons une précision sur ce point : les métiers supposant une habilitation ne nécessitant pas nécessairement un examen médical tous les deux ans, on peut envisager que l’infirmier intervienne plusieurs fois. Pour certains métiers de la filière de la sécurité (le port d’armes), il serait utile de disposer d’une véritable expertise psychotechnique à renouveler régulièrement. 


Il serait pertinent de :
 

  • définir les surveillances médicales renforcées (SMR) et d'ainsi préciser la liste des « pathologies particulières » ;
  • définir un seuil d’effectifs imposant aux collectivités de se doter d’infirmiers du travail ;
  • instaurer des visites de pré-reprise (mise à disposition) ;
  • systématiser les visites de reprise après arrêt de travail de plus de X mois (définir la durée de cet arrêt) ;
  • ré-interroger les parcours de formation des médecins de prévention, aujourd’hui très longs (4 ans dans le cadre d’une reconversion) et peu compatibles avec les besoins des collectivités : avec une formation qualifiante d’un an pour accompagner les reconversions et des diplômes universitaires orientés sur les « risques professionnels et postes de travail »
  • refondre la médecine agréée et mieux l’articuler à la médecine de prévention. Les champs de compétences des médecins agréés nécessitent d’être redéfinis pour améliorer la lisibilité de leurs attributions et rendre le traitement des situations des agents efficace. Cela passe notamment par la révision des déclarations d’aptitude à l’embauche (article 10 du décret 87-602) et dans la suite de la carrière.
     

À l’heure actuelle, les textes prévoient qu’un agent doit être convoqué en médecine agréée et en médecine de prévention lors de l'embauche. On peut raisonnablement s’interroger sur le sens de l’aptitude délivrée par le médecin agréé nonobstant le problème posé relatif à la rupture du secret médical par l’énumération par le médecin agréé de pathologies sur le certificat qu’il adresse à l’employeur. On peut également s’interroger sur le coût financier de ces consultations d’aptitude pour l’employeur. Ces visites d’embauche d’aptitude pourraient être supprimées ou réservées aux agents relevant d’un cadre d’emploi exposant à des risques professionnels entrant dans la liste des risques particuliers.
 

Dans la suite de la carrière de l’agent, le médecin agréé serait sollicité lors de chaque renouvellement et recyclage d’aptitude technique/habilitation/agrément (ex. : CACES) et également sur demande de l’employeur voire du médecin de prévention.


Réformer l’organisation et le financement de la prévention et du risque maladie
 

Alors que la pénibilité, l’usure professionnelle et le recul de l’âge de départ en retraite plaident pour un renouvellement et un approfondissement des politiques de santé au travail à même de lutter contre un absentéisme croissant, les moyens qui y sont alloués ne cessent de décroître. Il est donc temps de changer de modèle.
 

Sur le même modèle que la retraite (mutualisée et gérée par la CNRACL), il conviendrait d'instaurer un organisme qui prenne le risque en santé pour la fonction publique territoriale en charge. Alimenté par une cotisation des employeurs qui sera notamment modulée sur la base de la sinistralité comme des mesures de prévention qu’ils auront chacun initiées, cela permettra non seulement une répartition du risque sur l’ensemble des employeurs cotisants mais aussi une professionnalisation de la gestion du risque de maladie.
 

L’association mène actuellement une étude pour mesurer les effets de cette réforme qui intègrera les coûts financiers actuels (coûts des reclassement, des actions de prévention et des assurances activées), sans mesurer les coûts sociaux témoignant d’un échec des dispositifs existants.
 

Des programmes de prévention et de santé au travail ambitieux, qui seront suivis d’effets tangibles et de résultats mesurables notamment sur l’absentéisme, émergeront à ces conditions.
 

Améliorer l’accompagnement des reconversions pour raisons de santé
 

L’article 22 du projet de loi de transformation de la fonction publique autorise par ailleurs le gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de dix-huit mois, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à, notamment, renforcer la formation en vue de favoriser l’évolution professionnelle des agents les moins qualifiés, des agents handicapés et des agents les plus exposés aux risques d’usure professionnelle.
 

Alors que les salariés du secteur privé ont, grâce à leur organisme collecteur, accès à des parcours de formation incluant la prise en charge de la formation et de la rémunération, les agents publics, eux, dépendent des possibilités financières et des critères propres à leur employeur, alors qu’ils sont susceptibles de muter plusieurs fois dans leur carrière et, pour certains, appelés à exercer le même métier pénible, pendant de longues années. Aussi, l’égalité en matière de développement des compétences, de maintien dans l’emploi et de reconversion des agents publics n’est-elle aujourd’hui pas assurée. C’est d’autant plus vrai que la prise en charge d’une partie de leur rémunération reste posée. Une réflexion approfondie, en lien avec le rôle du FIPHFP et du Fonds national de prévention, est actuellement menée sur ce point sensible par l’association afin de proposer un modèle ajusté.
 

Garantir :

  • un niveau partagé de qualification des acteurs de la prévention : d’autant plus nécessaire avec la perspective d’une fusion des instances, en maintenant une obligation de formation des membres du comité social unique (à travers un cycle commun pour représentants de l’administration et des organisations syndicales) ;
  • une offre de services harmonisée sur le territoire en intégrant au socle commun du périmètre des missions des centres de gestion les fonctions d’inspection sur la santé et la sécurité au travail ;


Porter les enjeux de la prévention au juste niveau


En fixant une obligation de débats, préalables aux orientations budgétaires, sur la politique de prévention de la collectivité. Aujourd’hui, à part les éléments relatifs à la politique en matière d’égalité professionnelle, les débats portent uniquement sur des données en lien avec le temps de travail, les effectifs et la rémunération (cf. dispositions du CGCT). Les leviers principaux de la politique de RH sont exclus du périmètre. Ce rapport sur la prévention et la santé au travail serait débattu en amont dans le cadre de la future instance commune et, le cas échéant, dans la commission spécialisée.


Eléments de réflexion concernant le fonctionnement des instances :


Simplifier l’organisation et le fonctionnement des instances médicales et de la médecine agréée, rationnaliser les moyens d’action et autoriser la mutualisation des services de médecine de prévention et de médecine préventive pour faciliter la prise en charge des agents publics notamment.
 

Concernant ces instances, on observe aujourd’hui la difficulté à trouver des médecins agréés qualifiés avec lesquels travailler. Les jeunes générations de médecins ne sont pas formées à la réparation juridique du dommage corporel et ne se montrent pas (ou peu) intéressés par la médecine agréée qui ne constitue pas à proprement parler une spécialité.


Si le double système de médecine agréée-médecine de prévention doit perdurer dans le secteur public, il est important et urgent d'instaurer une véritable politique publique pour mener le renouvellement des médecins agréés dans toutes les spécialités. Les modalités de rémunération des médecins semblent aujourd’hui inadaptées et doivent faire l’objet d’un ré-évaluation. Ce constat s’applique à l’ensemble des dispositions relatives au paiement et à la rémunération des membres des instances médicales.


L’activité des instances médicales (commission de réforme et comité médical) représente un volume important pour toutes les structures en charge du secrétariat de ces instances.
 

Concernant la commission de réforme

  • Composition

    Le texte prévoit la présence d’un médecin spécialiste en commission « s’il y a lieu », au regard des dossiers présentés. Cette disposition est souvent interprétée par le juge de manière stricte et des décisions ont pu être annulées suite à un avis de la commission de réforme rendu en l’absence de médecin spécialiste. Cette disposition pourrait être supprimée.

 

  • Fonctionnement
     

Des mesures de simplification pourraient être prises, par exemple :
 

  • supprimer l’avis du médecin de prévention pour les accidents de trajet ;
  • l’allocation temporaire d’invalidité (ATI) pourrait ne plus être soumise à la CR. Sa détermination se ferait sur rapport du médecin agréé directement à la Caisse des dépôts. La CR serait l'instance de recours ;
  • aujourd’hui, un certain nombre de saisines adressées à la commission de réforme relève uniquement du domaine médical. Les représentants du personnel peuvent difficilement peser dans le débat. On pourrait dresser une liste des saisines relevant uniquement du médical et les soumettre à une instance composée d’un binôme médecin de prévention et médecin agréé
  • concernant les avis sur l’imputabilité au service des maladies professionnelles, une composition restreinte pourrait être envisagée : médecin agréé, médecin de prévention et représentant de l’administration ;
  • une réflexion mérite également d’être ouverte sur la représentation des employeurs au sein de la commission. À l’heure actuelle, ce sont des élus. Peut-être faudrait-il envisager des administratifs (DG ou DRH) ?

De façon alternative ou complémentaire le schéma suivant pourrait être envisagé :

  • un examen entre spécialistes du domaine médical sur tout ce qui relève des maladies professionnelles ;
  • s’agissant des accidents de service, certains éléments devraient a priori sortir du champ d’action de la commission de réforme (la partie enquête interne qui détermine par exemple le lieu ou l’heure de l’accident). Elle n’aurait à connaître que des aspects médicaux, à savoir l’adéquation ou non des faits et les conséquences médicales. Dans ce schéma, la commission de réforme pourrait devenir une instance de recours saisie uniquement lorsque la collectivité ne reconnaît pas l’imputabilité d’un accident ou d’une maladie, à condition que la collectivité ait préalablement diligenté une expertise.
     

Enfin, concernant les commissions de réforme placées auprès des centres de gestion, il conviendrait d’aller au bout de la logique de transfert et de donner pouvoir au président du centre de gestion pour l’organisation de la commission et la désignation des membres, en remplacement du préfet. Il serait également utile de systématiser le rôle de médecin secrétaire placé auprès de l’instance, comme pour le comité médical, pour faciliter les échanges entre médecins notamment.
 

Concernant le comité médical :
 

  • Composition
     

La rigidité de la composition de l’instance (un président, un vice-président et des médecins membres généralistes et spécialistes) complique aujourd’hui l’organisation des séances. Il convient de réinterroger la présence de médecins spécialistes. Il faudrait a minima prévoir de suppléants au président du comité médical. On peut également envisager une réforme complète et une suppression de l’instance, au profit d’un médecin agréé référent, désigné par le président du centre de gestion, chargé d’examiner les dossiers au fil de l’eau, sur le modèle du médecin conseil de la Sécurité sociale. Dans cette hypothèse, il conviendra de veiller à préserver la transparence du fonctionnement et les droits des agents. Le comité médical dans sa composition actuelle ferait alors office d’instance de recours.
 

Dans ce cas, il serait alors intéressant de fixer le dossier de saisine a minima. Actuellement, par exemple un simple certificat médical sans précisions explicite ne suffit pas à exclure la demande. À l'avenir, cette situation justifierait alors un rejet de la demande.
 

  • Compétences et fonctionnement :
     
    • quelle que soit la réforme envisagée, il convient de supprimer la contre-visite systématique auprès d’un médecin agréé. Le médecin secrétaire pourrait seul se prononcer sur la nécessité d’une contre-visite au regard des pièces présentes au dossier. Ces contre-visites systématiques sont l’un des facteurs majeurs de l’embolie des secrétariats des comités médicaux à l’heure actuelle ;
    • les motifs de saisine du comité médical doivent faire l’objet d’un ré-examen :
      • il paraît pertinent de maintenir un avis pour les octrois et les prolongations de congés (avec une exception peut-être pour la prolongation du CMO au-delà des six mois qui serait examiné par l’expert en direct et qui permettrait aussi d’envisager une saisine plus rapide, trois mois par exemple) ;
      • sur la reprise, on pourrait se contenter d’un avis du médecin agréé et d’un avis du médecin de prévention sur l’aménagement du poste. Il serait envisageable de calquer ce qui a été instauré il y a deux ans sur la reprise à TPT : saisine de l’instance uniquement en cas de désaccord entre les médecins ;
      • sur la disponibilité d’office, on peut se contenter d’un avis convergent du médecin agréé et du médecin de prévention. Si les avis divergent, le comité médical demeure l’instance de recours ;
      • compte tenu de l’évolution des pathologies, il convient de mettre à jour la liste des pathologies ouvrant droit à CLM et CLD ;
      • une réforme du CLD serait bienvenue : supprimer le congé de 5 ans, au profit d’un congé de 3 ou 4 ans, avec des droits qui se régénèrent ;
      • on pourrait aussi aller jusqu’à la suppression du CLD et maintenir le CLM uniquement.
         

Concernant le comité médical et la commission de réforme, on pourrait explorer la piste de la création d’une seule et même instance avec une composition à géométrie variable selon les motifs de saisine.
 

Quant au reclassement spécifiquement, il convient de prévoir le maintien de l’avis d’une instance sur le reclassement pour inaptitude. Néanmoins, il serait intéressant de mettre fin aux doubles saisines des instances (CR et CM) pour le même motif. Deux pistes sont alors envisageables :

1. saisine de la commission de réforme si l’inaptitude fait suite à un accident de travail ou une maladie professionnelle ou saisine du comité médical pour toutes les autres raisons ;

2. saisine du comité médical pour toutes les demandes relatives au reclassement (laisser aussi cette possibilité à la commission de réforme.

Pas encore de commentaires