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17 / 09 / 2019 | 276 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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De la simplexité au syndrome vicariant ! Comment apprécier le travail des experts en santé et sécurité au travail ?

« The LADY DOTH PROTEST TOO MUCH METHINKS » Hamlet de SHAKESPEARE
(La dame fait trop de serments !)

 

La mère de Hamlet fait trop de protestations pour être sincère. Pour ne pas être hypocrite ! Pour ne pas cacher quelque chose, en l’occurrence les circonstances de la mort de son défunt mari, le roi. Le père d’Hamlet. Celui-ci a été empoissonné. La voie est libre pour la mère qui peut ainsi épouser l’oncle de Hamlet ! L’oncle depuis des années aspire à la couronne. D’où les tourments de Hamlet qui vit cette tragédie fomentée par le couple indigne.

 

Cette forme de « protestation » se rencontre souvent chez les dirigeants ou les divers responsables à la suite de constats réalisés par un expert ou à la suite d’un rapport interne.  Réaction qui pourrait être interprétée parfois trop rapidement comme un excès d’indifférence au malheur d’autrui, ou encore comme un déni des faits si ce n’est comme la manifestation d’un désir pour cacher une vérité.

Toute « protestation » ne doit pas conduire sur le plan méthodologique à s’exonérer de la réflexion sur le travail qui est mis en discussion. Le travail d’un expert ou d’un sachant est toujours soumis à une tentative d’instrumentalisation.
A dire vrai il semble donc stimulant de convoquer la littérature pour se poser cette question de fond et de manière décontractée : « Etre ou ne pas être ? …. Expert ? »  Telle est la question !

Qu’est-ce qu’un bon rapport d’expert ?

On peut se poser aussi la question autrement « Qu’est-ce qu’un bon expert ? » Car en paraphrasant André Malraux qui parlait alors des artistes on doit constater que dans ce monde des experts se trouvent rassemblés des « imposteurs et des impuissants » mais ce monde fort heureusement est  habité aussi par  « d’authentiques créateurs de vérité »  c’est-à-dire  des femmes et hommes, honnêtes intellectuellement qui recherchent la vérité.  

Tel est ainsi l’enjeu de nombreux débats car les rapports délivrés par des experts sont légions dans notre pays. Parfois des experts auto proclamés peuvent mettre à mal les réputations les plus établies. Ruiner les vies les plus exemplaires. Les exemples ne manquent pas sur ce type de dérives. Dans le film « La vérité si je mens » second de la série, chacun se souvient de cet expert mandaté par le directeur d’une centrale d’hypermarchés pour apprécier la taille de vêtements livrés par un sous-traitant! L’expert avec une totale mauvaise foi, rejette après essayage, les robes au prétexte d’un soi-disant problème de taille ! Ce faisant il anéantit de facto le petit fournisseur. Dans ce film mémorable l’avocat de la défense demeurait lui aussi en connivence avec la direction de la centrale d’hypermarchés. Cette dernière voulant ruiner le fournisseur pour récupérer ses créations. Derrière les radicalités qui s’expriment de manière outrancière se cachent souvent d’autres intérêts dans les rapports d’expert. 
 

  • Déjouer les tentatives d’instrumentalisation et de manipulation


Car on juge l’expert au produit qui ressort de son investissement sur le terrain. L’expert doit toujours exercer ses principes de vigilance et de clairvoyance. Gerard Neyret ingénieur Centralien, doté d’une expérience exceptionnelle, il a construit par exemple la centrale à cycle combiné gaz de Islamabad au Pakistan a travaillé à mes cotés pendent plus de vingt ans. Il me disait toujours avant de prendre sa retraite « Je crois en deux choses : en mon œil droit et en mon œil gauche ! » Et il ajoutait toujours « Je recoupe sans cesse les informations sur le terrain car c’est ainsi que l’on peut tenter de rendre compte d’une vérité ! La vérité c’est complexe à appréhender ! Et on n’a pas droit à l’erreur ! Il y a trop d’enjeux dans notre métier ! »

Cette rigueur intellectuelle doit toujours accompagner un expert afin de lui éviter les tentatives d’instrumentalisation. Il semble essentiel de prendre de la hauteur et de rappeler les bases de ce métier.

Que ce soit un rapport voué à l’interne, ou à l’externe, il convient de se poser cette question centrale.
Un rapport se doit de rendre compte de la réalité au plus près pour permettre au lecteur d’appréhender celle-ci au mieux, de penser de manière autonome, de se forger une opinion, d’analyser les enjeux en ayant les principales cartes en main pour se faire son propre jugement.

Rendre compte de la réalité est bien sur délicat, subtil parfois. Nous savons depuis toujours que toute représentation peut être signifiante mais aussi déformante. C’est pourquoi le métier d’expert existe.

L’expert est celui qui par sa compétence (rapportée à du temps et conditionnée par des moyens d’investigation) va rendre compte de cette complexité en recherchant les axes essentiels et structurants, en traquant quelquefois les 10 % qui permettent de tisser un fil d’intelligence entre les faits.  

L’expert doit cerner son sujet en faisant en sorte que l’accessoire ne menace pas cet essentiel. En se donnant les moyens par une pensée synthétique cohérente de rendre intelligible l’analyse du « quotidien » qui s’estompe avec la fuite du temps.
Pour ce travail de synthèse de la complexité on peut parler d’un concept de simplexité, il convient de recouper systématiquement les faits, les écrits, les témoignages des personnes au cœur de l’expertise et les ressentis de ceux un peu plus éloignés pour rendre intelligible les situations de travail.

Un bon rapport est celui qui reste inattaquable car solide et ancré dans le réel. Cela suppose donc de totalement recouper les données recueillies, de les relativiser le cas échéant, pour leur donner un statut d’information. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici qu’une simple donnée non recoupée n’est pas une information. Seuls les faits, les écrits, leur cohérence peuvent déjouer les tentatives d’instrumentalisation et de manipulation que subissent les experts.  Ce d’autant que des enjeux sont lourds dans les dossiers traités et induisent d’éviter les approximations, les flous, les interprétations unilatérales ou hâtives.   

Le métier d’expert s’avère difficile, exposé et très exigeant en raison de son caractère répétitif et de la mobilisation intellectuelle, physique continue qu’il impose. Ce métier dans le domaine de la santé et de la sécurité peut être aussi intense par les sollicitations émotionnelles qu’il impose. Le métier d’expert en prévention des risques psycho sociaux ou risques professionnels est exposé au traumatisme par procuration. Ce que l’on nomme aussi traumatisme vicariant. L’expert qui est confronté de par sa fonction à des situations émotionnelles extrêmes, à des vécus de victimes douloureux peut par empathie voir s’installer chez lui des changements qui sont à la fois subtils et profonds. Le récit d’évènements dramatiques sur des dossiers très exposés comme celui par exemple des crises suicidaires à France Telecom il y a dix ans ; peut conduire à une perte de lucidité. Sur ce dernier dossier pour mener à bien ce travail nous avions dû retirer plusieurs experts de la rédaction des préconisations et des rapports finaux. L’expert qui porte une charge émotionnelle est confronté bien entendu à la fatigue.
 

  • L’écoute n’est pas sans effet sur l’écoutant
     

La encore l’exigence suppose une forme de mise à distance pour ne pas perdre de la lucidité dans le jugement. Ce qui n’empêche par la manifestation de l’humanité. Quelquefois les meilleurs experts échouent dans leur analyse. Passent à côté de l’essentiel. Cela arrive évidemment dans tous notre métier.  Tous les experts dans tous les métiers ont connu quelques impasses. Ce matin un site internet de médecine relatait une enquête effectuée chez les médecins. Un médecin sur sept reconnaissait des erreurs quotidiennes. Pour autant la médecine n’a jamais été aussi évoluée.

Pour se prémunir contre ce risque l’expert doit et c’est la une qualité fondamentale faire preuve d’une exigence morale et d’une intégrité intellectuelle irréprochables. L’expert doit savoir écouter, douter de lui-même au moins un peu. Et réanalyser son logiciel de certitudes.  Il doit accepter comme tout chercheur de vérité la critique et vérifier si celle-ci est fondée. Il doit aussi bien sur défendre son dossier s’il estime que ce dernier tient la route.

L’expert sérieux ancré dans ses bases, sera en recherche avant la remise de ses conclusions définitives d’une confrontation honnête sur les arguments avancés par chaque partie prenante. En réintégrant au besoin certains faits, en corrigeant quelques insuffisances ou bien des manques dans l’argumentation, en recoupant les données pour leur donner une objectivité certaine afin de s’éloigner d’un simple discours critique, hors sol, ou parfois dénonciateur si ce n’est victimaire. Rapport  qui pourrait apparaitre assurément comme idéologique. Bien considérer la souffrance réelle doit conduire à étayer les faits et les témoignages pour s’inscrire en position de prévention.

Certains experts, empruntent quelquefois des raccourcis rapides et s’exonèrent de ces impératifs. En raison d’un prisme de facilité, soit encore par manque de temps ou de moyens pour établir la rédaction de leur livrable. Soit par pur esprit militant pour étayer une démonstration à priori de thèses, ou pour régler des comptes en raison d’un ressentiment passé. Soit par insuffisance professionnelle.

Ce type de rapport lorsqu’il est rendu demeure alors faible, friable et très insuffisant !  Incapable de qualifier au plus près les faits il ouvre parfois vers des interprétations subjectives qui créent une artificialité basée sur un discours souvent victimaire et unilatéral.  Ce type de rapport est à condamner pour toute la profession. Ce type de rapport ne répond en général que très partiellement aux questions posées, il engendre le doute alors qu’il était censé ouvrir sur une capacité de réflexion et rendre compte des faits.

Le véritable expert exigera de lui-même une rigueur dans l’expression et la rédaction afin de respecter la vérité. Il traquera les faits pour étayer éventuellement des ressentis et rendre compte de la complexité. Il doutera de lui-même pour s’éviter des raccourcis faciles mais mensongers. Il cherchera derrière les apparences et les discours, les faits pour tracer un rendu permettant de mettre en débat les situations de travail et prévenir les situations délétères.

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