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03 / 04 / 2020 | 121 vues
Amine Moussaoui / Membre
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Coronavirus : nouveau risque de fracture sociale

En termes médicaux et distanciés, nous serions tous égaux face au coronavirus puisque celui-ci ignore les distinctions sociales. De même que pour les conséquences en cas de contamination, puisque l’évolution vers une forme sévère, plus forte chez les gens dits à risques (âgés ou malades), peut aussi bien se manifester à Neuilly qu’à Bobigny.
 

En revanche, en termes d’implication dans la gestion de cette crise, c’est la logique inégalitaire qui prédomine entre ceux qui, sur le terrain, tiennent la première ligne et ceux de l’arrière. On pense en premier lieu à ceux dont le métier impose une présence sur le terrain : les médecins, les infirmiers et les policiers. Certes, ils ont choisi leur métier et, pourrait-on dire, en assument le risque. Est-ce le cas pour la caissière, le livreur de colis et l’éboueur ? Pour beaucoup d’entre eux, on peut en douter. Paradoxalement, on redécouvre le rôle essentiel de ces métiers, souvent méprisés, mais qui se trouvent érigés au rang de héros.
 

Pour l’immense majorité, ceux qui demeurent confinés (qu’ils exercent en télétravail ou subissent un chômage partiel), la différence s’apprécie surtout par rapport aux conditions de logement et, dans une moindre mesure, de la situation familiale. Bien sûr, on peut être cadre dirigeant avec une grande famille et cloîtré dans un appartement (même grand) et ouvrier sans enfant dans un pavillon de banlieue. Mais dans la grande majorité des cas, disons-le, le confinement remet chacun à sa place sociale. À mesure que la crise dure, ce sont les plus démunis qui subissent forcément le plus durement les effets de cette situation. Imaginez une famille de cinq personnes dans une HLM de trois pièces, dont tous les voisins sont dans une situation identique.
 

Malgré les apparences, une crise a de nombreuses vertus : elle mobilise les énergies, permet de nouvelles initiatives, engendre des solidarités et élargit le champ des possibles. À côté des gens abattus ou sidérés, certains s’activent sans compter pour faire face aux contraintes et urgences qui s’imposent à eux. Mais cette hyper-sollicitation et ce surrégime, même soutenus par des consciences individuelles généreuses, ne peuvent pas s'éterniser. L’épuisement viendra.
 

Or, pour tenir, ces gens ont besoin du soutien et de la reconnaissance des autres, particulièrement de ceux qui les dirigent et qu’ils ne voient que rarement en temps ordinaire. Il leur faut des signes concrets qui leur renvoie l’image de leur exceptionnalité, voire de leur héroïsme, au-delà des devoirs imposés par leur métier.
 

Viendra le moment où, la crise terminée, lorsque l’exceptionnel cèdera la place à la normalité (même si, compte tenu de l’ampleur de la crise, cette normalité sera forcément différente de celle qui l’aura précédée), d’autres logiques reprendront leurs droits. Mais que penseront alors ceux qui ont été surinvestis et exposés ? Selon qu’ils se seront sentis protégés ou non, soutenus ou non par leur organisation et ceux qui les dirigent, leur réaction sera diamétralement opposée. Le sentiment d’appartenance et la fierté l’emporteront dans un cas, la colère et le désengagement dans l’autre. Que pourrons-nous dire à ceux qui perdront leur emploi, surtout s’ils se sont eux-mêmes sacrifiés ? Les désinvestissements  et les plans d’économie des entreprises auront des conséquences sur tous les acteurs, sans que les efforts engagés pendant la crise ne fournissent de garantie d’être alors épargné.
 

Si la question du type d’emploi occupé et celle du logement exacerbent les inégalités face à la crise sanitaire, il sera essentiel de ne pas en rajouter sur le terrain des conséquences financières. Le gouvernement a prudemment « incité » les entreprises à faire preuve de modération dans leur distribution de dividendes. Certains dirigeants ont annoncé la suppression de leur bonus ou réduit leur rémunération. Ceux qui ne tiendront pas compte de cette dimension seront responsables d’une aggravation peut-être irrémédiable des fractures qui minent, dans la durée, l’efficacité des entreprises en légitimant le désengagement durable des salariés. Ce sera aussi une condition, ou non, d’une sortie efficace de la crise le moment venu.
 

La crise est un amplificateur de ce qui préexistait et une loupe de notre société. Elle peut aussi être un soubresaut pour faire avancer les pratiques, les modes de gouvernance, voire (rêvons un peu) la solidarité.

 

Xavier Alas Luquetas

Yves Bassens

Emmanuel Charlot

François Cochet

Éric Goata

Christian Mainguy

Jean-Luc Odeyer

Alexis Peschard

Jean-Louis Ringuedé

Laurence Saunder

Administrateurs de la Fédération des intervenants en RPS (FIRPS)

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