Participatif
ACCÈS PUBLIC
30 / 05 / 2017 | 17 vues
Plein Sens / Membre
Articles : 1
Inscrit(e) le 30 / 05 / 2017

Comment organiser les actions du CHSCT pour peser sur le fond des transformations ?

Le travail se transforme à coups de réorganisations mais aussi de façon plus diffuse et plus permanente. Le rôle de vigie du CHSCT est alors d’autant plus essentiel mais encore faut-il ne pas s’arrêter là pour peser dans les transformations à l’œuvre.

La matinée d’échange organisée le 2 mai par Plein Sens, en partenariat avec Miroir Social, a été l’occasion de partager les clefs de l’efficacité des actions dans un cadre à la fois plus contraint (notamment sur les délais des expertises) et plus complexe au regard des interactions économiques, sociales et environnementales.


« Un syndicat doit se donner les moyens d’investir des compétences dans la défense des conditions du travail » - Philippe Guiter, SUD-Rail.

La première des clefs passe par la capacité des représentants du CHSCT à se former pour bien maîtriser le cadre d’un exercice qui ne souffre pas d’approximation. Rédiger un avis argumenté sur une réorganisation ou une évolution ne s’improvise pas. De même que le PV qui doit être rédigé dans les meilleurs délais sur la base des objectifs qui avaient été fixés sur l’ordre du jour. Bien entendu, pas question d’accepter qu’une direction interdise la diffusion des PV de l’instance comme on peut parfois encore le voir. Alors que les délais de réalisation d’une expertise sont réduits dans le cadre des projets importants, mieux vaut ne pas perdre 15 jours à nommer un expert dans les règles de l’art. Intégrer les règles de désignation et le timing de celle-ci dans le règlement intérieur peut être très utile.

« La légitimité des prérogatives du CHSCT est au moins aussi importante que celle portée par le CE. Il n’y a donc aucune raison pour ce soit des militants sans expérience ou peu engagés qui y soient désignés. Un syndicat doit se donner les moyens d’investir des compétences dans la défense des conditions du travail. Ce sont aussi les DP et les élus du CE qui doivent se former aux bases de la prévention et des actions à suivre », souligne Philippe Guiter, ex-conducteur SNCF sur une ligne rattachée à la Gare Saint-Lazare et ancien représentant SUD-Rail au comité central des CHSCT de la SNCF, à la retraite depuis 2 ans mais toujours formateur militant très actif. L’investissement est rentable puisque SUD-Rail est devenu le premier syndicat à la Gare Saint-Lazare. « Il faut bien mesurer tout le travail de fond réalisé sur le terrain pendant plusieurs années par les équipes pour parvenir à fermer la gare une journée en 2009, à la suite d’un droit de retrait collectif de plus de 800 agents », tient à préciser Philippe Guiter.

La rigueur doit s’imposer sur un sujet aussi sensible que les conditions de travail. Le règlement intérieur du CHSCT du site GE Heathcare de Buc (Yvelines) où travaillent plus 1 800 cadres intègre ainsi la méthodologie de recueil des faits à appliquer en cas d’enquête interne après un événement grave. « Un avis bien pesé peut contribuer à placer les cadres dirigeants devant leur responsabilité et à agir », considère Raymond Ribeill, le secrétaire CFDT du CHSCT d’un site où ce syndicat à la majorité absolue depuis plusieurs années. Cette rigueur ne peut que sonner aux oreilles de l’inspection du travail qui y voit des pièces juridiques et qui assiste régulièrement aux réunions de l’instance. C’est ainsi que la DIRECCTE a adressé une mise en demeure à la direction de GE Heathcare pour que celle-ci se donne les moyens de faire de la prévention au regard de la dégradation des conditions du travail.

Faire bouger les lignes

« Le CHSCT est libre d’organiser ses moyens comme il l’entend » - Raymond Ribeill, GE Heathcare.Se former est une chose ; être rigoureux en est une autre mais cela ne suffit pas. Il s’agit aussi de « mouiller la chemise » pour faire bouger les lignes. C’est avant tout une question d’état d’esprit, quand il s’agit par exemple de prendre ses responsabilités, quitte à froisser une partie des salariés. Ainsi, quand la direction de la SNCF a annoncé le projet Sirius, visant à équiper tous les conducteurs d’un ipad connecté intégrant toutes les procédures actualisées, la majorité des agents concernés a plutôt vu ça d’un bon œil. D’autant que c’est censé remplacer plusieurs kilos de procédures papier. Reste que plusieurs CHSCT en ont retardé le déploiement, en soulevant notamment les risques induits par une logique de communication en temps réel. Ce sont aussi les CHSCT qui ont identifié le risque d’augmentation des agressions motivées par l’ipad. Mouiller la chemise, c’est « refuser de sous-traiter à la direction la rédaction des PV de réunions, comme cela se faisait avant notre arrivée », se souvient Philippe Guiter.

C’est aussi un état d’esprit que d’être capable de dépasser les positions syndicales des différents représentants au CHSCT pour afficher un « front commun » sur un sujet qui le mérite. Cela passe en premier lieu par la capacité du secrétaire du CHSCT de faire en sorte que tous les représentants partagent le même niveau d’information. L’innovation peut alors être à la clef. « En fonction des sujets à traiter, nous mettons en place des groupes de travail qui intègrent des salariés non élus. Ce mode de fonctionnement se trouve acté dans le règlement intérieur de l’instance », illustre Raymond Ribeill, dont le CHSCT se réunit une fois par mois, sur une journée. L’instance se livre là à un travail de fourmi. « Le CHSCT est libre d’organiser ses moyens comme il l’entend. C’est avec la stratégie des petits pas que nous avons réussi à négocier nos moyens », rappelle celui qui occupe le poste de secrétaire du CHSCT depuis 6 ans et à temps plein. Même si la CFDT est majoritaire, le secrétaire s’emploie à fédérer les autres composantes syndicales pour donner encore plus de poids à l’instance avec des résolutions votées à l’unanimité qui affirment sa force de proposition. À la SNCF, les CHSCT ont aussi réussi à obtenir de la direction le droit de restituer les résultats des expertises menées auprès de tous les agents, sur leur temps de travail. Un gage de légitimité sans pareil pour l’instance en tant que telle. Si l’ouverture est de mise envers les salariés, les élus du CE et les DP, pas question en revanche d’accepter une dilution des rôles. « Nous sommes opposés aux réunions communes entre CE et CHSCT que nous a un temps proposées la direction. Cela n’a aucun sens que d’organiser des sessions avec 40 élus », estime ainsi Raymond Ribeill. Tel est bien le risque induit par l’instance unique.

En prenant la complexité en compte

« Toute mon énergie vise à argumenter sur le besoin de recruter pour être en mesure de tenir les délais promis à nos clients sur les projets » - Étienne Corvaisier, Bosch.Le champ des conditions de travail est si large, si mouvant et si complexe que les représentants des CHSCT les plus engagés cultivent une forme d’insatisfaction permanente. Chez SUD-Rail, l’enjeu reste de trouver du soutien auprès des cadres auxquels la direction demande par exemple de prendre la main sur l’outil de diagnostic de la qualité de vie au travail de leur équipe alors qu’eux-mêmes ne sont pas forcément au mieux… Chez GE Heathcare, le CHSCT continue de buter sur la mesure de la charge de travail des cadres au forfait jour, même si des progrès ont été faits au niveau des services financiers avec une meilleure prise en compte des « coups de pression ». La tâche est forcément encore plus ardue quand les représentants les plus motivés se retrouvent minoritaires dans un CHSCT peut enclin à pleinement jouer son rôle, comme c’est le cas d’Étienne Corvaisier. Représentant CGT au CHSCT du siège de Bosch, cet ingénieur est à la peine pour mobiliser l’instance sur les enjeux.

« Toute mon énergie vise à argumenter sur le besoin de recruter pour être en mesure de tenir les délais promis à nos clients sur les projets. J’ai la chance que le responsable de mon département se batte aussi pour cela, quitte à y sacrifier sa propre santé. Nous venons d’obtenir 20 embauches, c’est une petite victoire », témoigne Étienne Corvaisier qui cherche à capter tous les éléments factuels susceptibles de nourrir son argumentation. D’où qu’ils viennent : tant des audits de la direction que des expertises des CHSCT. Une conviction : le CHSCT est l’instance par laquelle les représentants du personnel peuvent être en capacité de convaincre les cadres que l’organisation du travail méritent mieux.

« Dans le cadre d’une expertise, nous avons une forme de délégation de service public » - Nils Veaux, Plein Sens.
« Dans le cadre d’une expertise, nous avons une forme de délégation de service public. Nous devons dès lors livrer les analyses les plus objectives possibles afin de permettre à chaque représentant de se les approprier pour servir au mieux la logique d’action syndicale et de prévention du CHSCT. C’est toute la difficulté de l’expert que de préserver cette distance », considère Nils Veaux, directeur général de Plein Sens qui reste avant tout un cabinet d’étude sociologique et organisationnel. La tâche est d’autant plus complexe quand la direction motive ses projets de transformation par la sauvegarde de la compétitivité. Par exemple, lorsqu’une usine fait évoluer ses modalités de travail posté (3x8, 4x8, 5x8), l’impasse sur les conditions de travail, et l’avis du CHSCT, est tentante pour une direction qui va se borner à proposer des contreparties aux contraintes imposées aux salariés. Selon Nils Veaux, « il nous appartient dans ces conditions de faire en sorte que l’avis des représentants du CHSCT pèse véritablement dans la balance au-delà des contreparties concédées et débouche sur des actions d’aménagement et de prévention de la part de l’employeur en matière de qualité du travail et de santé des personnes ».

Pas encore de commentaires