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14 / 09 / 2009 | 14 vues
Ariel Dahan / Membre
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Avancées du droit du travail en Chine

La Cour d'Appel populaire de la province de Zhejiang a jugé à deux reprises qu'une employée non-mariée et enceinte ne pouvait être licenciée sur le fondement de la transgression du dispositif impératif de planning familial chinois. En d'autres termes, l'employeur ne peut exciper de l'illicéité de la grossesse de sa salariée au regard du planning familial chinois pour la licencier.

Préambule

La Chine est dotée d'un dispositif législatif imposant certaines contraintes en matière familiale, notamment l'obligation d'être marié et de se limiter à un enfant unique. La violation de ces règles entraîne en général la perte de nombreux droits sociaux.

Faits

C'est dans ces conditions qu'une salariée, « Xiao Li » (est-ce son vrai nom ?) a été licenciée courant octobre 2007 après avoir informé son employeur de sa situation de grossesse « illégitime » (car non-mariée).

  • En première instance, la juridiction du travail a validé son licenciement pour le motif que son état de grossesse célibataire violerait les règles du planning familial et la priviait par conséquent de la protection du Droit du Travail.

La Cour a par ailleurs précisé que la question de la violation des règles du planning familial devait être jugée séparément de celle relevant du droit du travail.

En février 2008, la Cour d'Appel populaire a annulé cette décision et a réinstallé Xiao Li dans ses droits salariaux, considérant que l'employeur n'avait aucun droit de mettre fin à l'emploi et que le droit du travail devait s'appliquer à ce cas. La Cour a par ailleurs précisé que la question de la violation des règles du planning familial devait être jugée séparément de celle relevant du droit du travail.

Après la naissance de l'enfant, l'employée a de nouveau été licenciée pour avoir pris un congé non-autorisé. En effet, la mère a demandé à bénéficier du congé de maternité, lequel congé lui a été refusé par l'employeur.

Nouveau contentieux en janvier 2009, Xiao Li invoquant l'illégalité du refus du congé de maternité et réclamant ses salaires impayés, des dommages et intérêts ainsi que le bénéfice de l'assurance sociale.

Le Tribunal de première instance a rendu une décision partiellement en sa faveur. Sur son appel, la Cour d'Appel populaire de Zhéjiang a continué sa précédente jurisprudence. 

Jugé :

  • que le licenciement était illégal
  • que Mme Xiao avait droit à son congé de maternité ainsi qu'au bénéfice de l'assurance sociale
  • que Mme Xiao n'avait pas droit aux salaires impayés correspondant à la période de congé
  • qu'elle avait droit à des dommages et intérêts (30 000 Rmb).

Analyse

Incontestablement, la Chine se rapproche de la situation d'un État de droit Cette décision apparaît comme un coup de tonnerre dans la vision manichéenne que l'Occident peut avoir de la Chine. Incontestablement, il existe des droits, et incontestablement, la Chine se rapproche de la situation d'un État de droit. (Notamment en ce qu'un justiciable peut les invoquer et obtenir gain de cause en justice). Elle est intéressante également au regard de la rapidité de la décision par rapport aux faits :

  • Première instance et appel ont été contenus dans le délais de la grossesse de Xiao Li... Des délais qui laissent rêveur face à l'assommante lenteur de certaines juridictions sociales de la région parisienne.


Enfin, cette décision est intéressante également parce qu'elle montre un pan du droit chinois qu'il est difficile de connaître : la protection sociale chinoise et le planning familial.

On aurait d'ailleurs pu penser que la violation des règles du planning familial aurait disqualifié Xiao Li dans ses droits aux prestations sociales. Bien au contraire, la Cour d'Appel l'a maintenue dans ses droits (probablement pour le motif qu'elle avait déjà cotisé pour bénéficier de ces droits).

  • En revanche, contre toute attente, alors même que le licenciement a été jugé illégal par la cour, que la Cour reconnaît que Xiao Li avait droit au congé, et que des dommages et intérêts ont été prononcés, les salaires ne seront pas dus !


On ne peut que regretter de ne pas connaître la motivation complète des juges pour avoir rendu un jugement qui pourrait s'apparenter à un jugement de Salomon. Sans doute était-il préférable pour Xiao Li de percevoir des dommages et intérêts importants (30 000 Rmb) et d'avoir droit aux prestations sociales, plutôt que de percevoir son salaire ? D'autant que le salaire constitue une charge déductible pour l'employeur, alors que les dommages et intérêts constituent une dépense non-déductible ainsi qu'une réprobation morale très forte conte son comportement.

Ce qui me fait dire que cette décision est importante au regard du droit chinois. Qui, avouons le, n'est tout de même pas le droit le plus libéral qui soit. Ne serait-ce qu'à l'aune de ses règles concernant le planning familial.

Il est difficile de comparer cet arrêt avec le droit français. La seule comparaison pourrait se faire avec plus de 31 ans d'écart, lors d'une série d'arrêts rendus en faveur de professeurs d'écoles religieuses catholiques, dont le comportement familial n'était pas conforme à la règle qu'elles enseignaient (divorce, grossesse hors mariage...). Mais il a largement été admis en France que le comportement des personnes dans leur sphère privée ne pouvait avoir d'incidence dans leur sphère professionnelle. Notamment l'arrêt rendu par la Cour de Cassation, Assemblée plénière du 19 mai 1978, n° de pourvoi : 76-41211 .

 

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Une remarque sur le sujet précis et une autre sur le fond.

Tout d'abord, cette information est intéressante car c'est l'opposition entre droit relatif à la famille (dispositions législatives relatives à "l'enfant unique") et le droit du travail qui est en jeu.

C'est aussi assez important car c'est dans la province cotière située au sud de Shanghai, certainement plus évoluée politiquement que les provinces du centre et de l'ouest. Bref, une des régions les plus économiquement dynamiques.

Remarque sur le fond:

Le code du travail chinois existe et parait protecteur en quelques points. Si on fait de la sémantique pure, côté "droit du travail", la R.P. de Chine est un état de "droit", mais très ...symbolique et relativisé par sa non-application (et son irrespect par les autorités y compris celles en charge de le faire appliquer).

Cette attitude est à rapprocher du respect du droit d'auteurs très "relativisé" dans le monde chinois.

Certaines organisations associatives dirigés par des militants démocrates et syndicalistes proches des syndicats hong-kongais et progressistes travaillent sur le terrain à dispenser aux salariés la connaissance du code du travail.

Ce dernier, s'il était appliqué dans sa forme et son esprit, permettrait de réelles avancées pour les droits sociaux des travailleurs chinois.

Ce serait "l'état de droit" plein et entier!

Rémi AUFRERE

(ancien assistant d'une confédération syndicale française

secteur Europe/International, chargé notamment de l'Asie)