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19 / 07 / 2018 | 45 vues
Didier Cozin / Membre
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CPF et chômeurs : incompatibilité et inutilité

Une étude publiée par la DARES en juillet 2018 démontre que le compte personnel de formation (CPF) est un gadget pour les chômeurs (tout en restant sans réel intérêt pour les salariés non qualifiés).

Le compte personnel de formation, ce vacillant successeur du droit à la formation, est une nouvelle fois critiqué et remis en cause par une étude officielle de la DARES (après une précédente enquête de l'IGAS qui assimilait le CPF à un parcours du combattant).

La DARES (qui dépend du Ministère du Travail) juge le CPF « inéquitable et trop complexe ».

Que nous apprend la DARES sur le CPF pour les chômeurs ?

Les heures de CPF acquises par les chômeurs (souvent précaires) ne permettent pas d'organiser les formations longues dont ils ont besoin.

  • « En 2016, près de 60 % des PRE ayant utilisé leur CPF n’avaient acquis aucune heure sur leur compte ». Le nombre d’heures détenues par les bénéficiaires est ainsi bien inférieur à la durée des formations réalisées permettant de conclure que le CPF vient le plus souvent en complément ou en « déduction » d’un financement majoritaire (dispositifs de Pôle Emploi ou du Conseil régional), pour une part restant limitée ».
  • « Au final, du point de vue des conseillers, le CPF est peu déterminant sur l’accès à la formation des personnes en recherche d’emploi ».

Le CPF n'est pas une assurance de formation mais un simple réceptacle d'heures (ou d'euros) de formation.

Ce qui avait été présenté en 2014 comme une quasi assurance de formation (« vous cumulez des heures durant votre contrat de travail et les réalisez durant votre chômage ») participe d'un triple malentendu.

  • Le CPF ne concerne et n'intéresse que les salariés les mieux insérés ; ce sont eux qui disposent de comptes CPF pleins et qui sont capables de les utiliser au mieux.
  • Le CPF, acquis au rythme de 24 h par an (rien pour les indépendants ou les jeunes sans travail, très peu pour les précaires ou les CDD), ne permet pas de réaliser des formations longues (la plupart du temps un chômeur ne dispose pas d'heures de formation, il n'en acquiert aucune durant son chômage).
  • Le CPF envoie un signal délétère aux salariés en poste : « attendez de vous retrouver au chômage pour vous préoccuper de votre formation et de vos apprentissages ».

Les deux erreurs fondamentales de la « réforme » de 2014 sont d'avoir mêlé la formation des chômeurs à celle des salariés en poste et avoir déssaisi les employeurs de la formation. Pour des raisons financières (trouver des budgets de formation supplémentaires pour former les chômeurs), statistiques (faire passer les chômeurs en catégorie C) et d'affichage social (tout chômeur devenant miraculeusement stagiaire de la formation), les pouvoirs publics ont voulu mêler trois dossiers différents sous le terme générique de formation :

  • la formation continue des salariés en poste (qui réclament d'abord des formations courtes pour s'adapter à leur métier et développer leurs compétences) ;
  • la formation des chômeurs qui ont besoin de reconversions professionnelles (donc longues et parfaitement impossibles avec le CPF) ou de reprendre les bases de leurs compétences (et, là encore, le CPF reste un gadget quasi-inutilisable) ;
  • la formation professionnelle initiale (désormais incorporée à la nouvelle réforme de la formation) : au lieu d'acter l'échec des lycées professionnels qui devraient être privatisés (sous le contrôle des entreprises et des branches professionnelles), on se contente de les renflouer avec de l'argent des entreprises.

La France dépense 120 milliards en « politiques de l'emploi » dont moins de 6 milliards sont des dépenses de formation pour les chômeurs.

Le fond du problème de la formation des chômeurs réside dans le peu d'argent public ou privé disponible pour les former (une fois rémunérations et aides versées).

Lors des PSE, 90 à 95 % des fonds servent à indemniser les salariés perdant leur emploi, ni pour leur formation ni pour leur accompagnement.

Face à la formation, la préférence française pour le chômage

Notre pays a fait du chômage (à l'instar de ces compteurs de formation ou d'activité) un espace de stockage et de relégation de certains adultes et de leurs problèmes éducatifs.

Au lieu de prendre les actifs en charge dès la survenue du chômage (comme cela se pratique au Danemark, par exemple), nous avons développé (à grands frais) des systèmes qui gèrent, comptabilisent et organisent les files d'attentes des chômeurs tout en nuisant au développement de leurs compétences.

Le chômage massif n'est pas une fatalité.

En France, le chômage massif et long est dû à l'inadaptation de nos systèmes scolaires et universitaires ainsi qu'à l'inadaptation de notre modèle social (subventions du travail non qualifié, réduction du temps de travail et un système d'indemnisation fonctionnant à guichet ouvert (« j'ai cotisé, j'y ai droit ») qui enferme les travailleurs non qualifiés dans le déclassement et l'immobilisme social).

La complexité actuelle du système du CPF n'était pas une fatalité.

« Un système complexe, induisant des ruptures d’égalité entre les individus », DARES.
La complexité à laquelle les salariés (prétendument acteurs de leurs parcours) et les PRE sont confrontés n'est pas une fatalité mais un choix délibéré du pays.
Cette complexité a été méthodiquement construite par les partenaires sociaux (qui font des promesses tout en se sachant incapables de les tenir) reprise par le Parlement (qui a ajouté plusieurs couches de complexité et de lourdeurs au système imaginé par les syndicats) et enfin étendue par les pouvoirs publics (Ministère du Travail et Caisse des dépôts en tête) qui ont été incapables de simplement mettre en œuvre un compteur impensé et trompeur.

La complexité se déploie à tous les niveaux et seuls les plus éduqués peuvent s'y retrouver.

  • Se former sur quoi quand on est seul à la manœuvre et que 20 000 certifications (mal renseignées, absentes de certaines branches ou dans certaines régions) sont « accessibles » au CPF ?
  • Se former avec quel organisme de formation et selon quelles modalités quand l'employeur fait défaut ou que Pôle Emploi est mal équipé (et financé) ?
  • Se former mais à quel moment : quand on a du travail, quand on perd son travail ou quand on en retrouve un ?

Prétendre que les travailleurs sont des acteurs de leur parcours professionnel ne suffit pas.
Ces choix sont complexes et lourds de sens et seul l'employeur (si la personne travaille) ou des conseillers de haut niveau peuvent aider et accompagner les travailleurs les moins qualifiés.

Pour des années encore, le CPF restera une mauvaise réponse à de bonnes questions. Si chacun comprend que la descente aux enfers économiques de la maison France est d'abord due à un faible niveau d'éducation, aux faibles compétences et à la dégradation de notre capital humain (notamment après la crise de 2008), les tentatives de flexisécurité introduites depuis les lois de 2009 (puis 2014 et désormais 2018) ne peuvent qu'échouer car le travail fait système aujourd'hui avec l'éducation et la responsabilisation (des travailleurs comme des employeurs).

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