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05 / 05 / 2009 | 1 vue
Boukhia Pauline / Membre
Articles : 1
Inscrit(e) le 16 / 04 / 2009

Compte rendu de séance chez BPI : « Mais, nous sommes obligés de signer ? »

Année 2008. Après un licenciement particulièrement traumatisant, je suis inscrite depuis peu aux Assedic pour la première fois de ma vie;  je suis convoquée par un message téléphonique laissé sur mon répondeur « de la part de l’Assedic », à une séance animée par BPI, dans le quatorzième à Paris.

Aucune autre explication, j’effectue quelques recherches sur internet et je me dis que Bernard Bruhnes cela paraît sérieux, qu’il s’agit probablement de coaching, de formation. En tout état de cause au vu de l’ambiance lors de mes visites à l’ANPE et aux Assedic je sais qu’il est téméraire de ne pas répondre, sans discuter, à une "convocation".

Les présentations

Je me présente, nous nous retrouvons une vingtaine de convoqués, visiblement dans des locaux loués pour l’occasion. D’ailleurs, l’on nous signale rapidement que « les prochaines fois, les rencontres se dérouleront ailleurs ».

Sont là deux intervenants de BPI qui ne se présentent pas nommément, et un représentant de l’ANPE qui n’interviendra jamais.

Le seul intervenant de BPI qui s’exprime affiche une insolente confiance en lui, quelque peu écrasante dans son costume de grand prix.

Je suis frappée de constater que nous sommes tous d’un âge oscillant entre la quarantaine et la cinquantaine.

L’intervenant de BPI nous expose avec fierté la puissance de son groupe multinational.

Je commence à m’interroger sur la logique exacte de cette « convocation »…

J’aurai assez vite la réponse, par déduction puisque l’intervenant n’a pas la courtoisie de le faire d’emblée et simplement.

  • Car il nous passe ensuite, très brièvement, la parole. Pas pour un tour de table de présentations, mais juste pour que nous annoncions nos âges, à commencer par les femmes. J’apprécie fort peu cette muflerie, d’autant que je ne sais toujours pas pourquoi je dois supporter cette séance curieuse et qui commence à être désagréable.

À partir de cet instant, la « machine BPI » se met en marche et révèle sa nature.

 

« Pourquoi êtes-vous là d’après vous ? »

L’intervenant se campe fièrement devant nous et pose à la cantonade la question que nous nous posons tous : « Pourquoi êtes-vous là d’après vous ? »

  • « Et bien parce que l’Assedic pense que vous avez de fortes chances de rester au chômage longtemps ! ».
Cela devient intolérable… Mais le poids de l’Assedic et de l’ANPE, présente et muette, n’incite pas à se comporter en citoyen libre et digne de respect… Patientons.

«  Donc vous risquez de rester inscrits très longtemps si vous ne trouvez pas trés vite un job, si vous vous marginalisez, si vous vous excluez du marché de l’emploi en restant chez vous ».

Et là nous sommes quelques un(e)s pris à partie directement :

« Vous Monsieur pourquoi vous risquez fortement ne pas trouver vite ? »
Le monsieur affirme, quelle humiliation : « à cause de mon âge ? »

« Bingo ! oui monsieur bravo car en France il y a beaucoup de discrimination sur l’âge ! Et vous Madame, en dehors de votre âge pour quelle raison risquez vous fortement ne pas retrouver, seule ? »

Je n’ai pas besoin de répondre à ce goujat que rien n’embarrasse : « A cause de votre sexe et oui là aussi il y a discrimination, et ça se cumule ! ».

Il ne va pas jusqu’à évoquer la couleur de peau de certains des participants mais nous avons tous compris pourquoi nous sommes là, du moins nous le comprenons (enfin) complètement lorsqu’il porte l’estocade : « Si vous recherchez seuls, enfin avec l’ANPE mais c’est pareil ce n’est pas leur qualité première, vous ne réussirez pas à passer ces barrages de la discrimination et vous resterez longtemps au chômage. Avec nous, vous avez vos chances de vous en sortir très vite ! ».

« Mais, nous sommes obligés de signer ? »

Il expose alors un catalogue, qui me semble bien bas de gamme, des avantages de son cabinet par rapport à l’ANPE ou l’APEC et autres organismes auxquels nous avons déjà recours : mise à disposition d’ordinateurs, de fax, conseil pour rédiger son CV, suivi plus personnalisé que l’ANPE –moins de personnes à suivre par conseiller- , initiation à internet, etc.

Rien qui me paraisse bien sérieux.

Enfin vient l’argument réel : « Mais surtout nous, nous vous boostons, nous ne vous laissons pas souffler, nous vous relançons sans cesse, nous vous demandons des comptes sur vos entretiens, des debriefings etc. jusqu’à ce que vous trouviez. Attention ce n’est pas à nous de chercher pour vous, nous nous sommes là pour vous booster, pas pour chercher pour vous !  Car ce qui importe c’est que vous preniez très vite un emploi, même si c’est un CDD ou autre [nous y voilà !!], il faut que vous reveniez très, très vite dans le bain sinon c’est fichu ».

Et voici la raison ultime de notre présence : « Donc nous vous distribuons le document suivant à signer: cela ne change rien, vous touchez vos Assedic comme avant, simplement vous n’êtes plus dans le circuit de l’ANPE c’est nous qui vous convoquons etc. c’est à nous que vous devez des comptes quant à vos recherches actives d’emploi. Et ceci même après avoir signé un contrat car ne croyez pas que nous vous laissons tomber alors, nous vous suivons pendant six mois pour être sûrs que vous ne craquez pas, que vous vous accrochez à votre nouveau job ! »

Question d’un participant : « Mais, nous sommes obligés de signer ? »

  • Long silence embarrassé de l’intervenant qui regarde le représentant de l’ANPE puis, de très mauvaise grâce « Heu non mais vous avez compris c’est mieux pour vous, vous y avez tout intérêt et d’ailleurs si vous ne voulez pas signer, vous devez signer un autre document que nous transmettrons aux Assedic pour leur expliquer que vous avez renoncé à notre aide… »

La menace est claire… Il est midi, ce n’est probablement pas un hasard… pour ma part j’ai un rendez-vous, cela fait près de deux heures que je suis sans discontinuer dans cette pièce, portes closes, devant lesquelles un intervenant se poste.

De toutes façons, nous ne sommes plus des citoyens libres : pour pouvoir quitter la pièce nous sommes obligés de signer quelque chose !

Certains signent de bonne grâce, d’autres renâclent, d’autres finissent par céder pour pouvoir partir : une femme qui m’avait dit en aparté « je ne veux pas quitter l’ANPE, je n’ai pas confiance en lui » signe et me dit « Je dois partir, de toutes façons, nous verrons bien ».

Je n’ai rien signé, ayant réussi à me faufiler entre les pièces d’un dispositif pourtant bien conçu, pendant que les intervenants se concentraient sur les récalcitrants déclarés, passant devant le représentant ANPE qui me demande « vous avez remis votre document signé ? ».

Je réponds faussement  « Oui », je suis libre !

  • J’ai plus tard relu ce document, qui mentionne notamment, entre autres énormités, que le signataire s’engage (les engagements de BPI étant inconsistants…) à « Transmettre à votre consultant référent une copie de tout contrat de travail » !!


Outre le fait que cela est attentatoire au respect de la vie privée et contractuelle (qu’en penserait l’entreprise contractante du salarié qu’elle embauche?), mais l’on se demande : en quoi cela peut-il être utile au Groupe BPI… ??

Pour ma part j’ai retrouvé rapidement un emploi de haut niveau.

Et aujourd’hui, devant l’explosion du chômage et l’implosion de l’ « Agence Emploi » j’ai constaté que les BPI et autres vont se tailler la part du lion dans la masse des chômeurs jetés sur le pavé de la crise, et j’ai une pensée pour eux.

Car depuis j’ai eu confirmation que ces officines sont surtout spécialisées dans l’orientation des chômeurs vers l’emploi précaire, et que BPI par exemple est l’actionnaire de référence de plusieurs cabinets de recrutement : que penser d’un opérateur privé qui se substitue au service public, et qui joue sur tous les tableaux pour gagner beaucoup d’argent sur la misère des gens. Car j’ai eu confirmation que BPI gagne « par tête de chômeur » désinscrit grâce à leur « boost » entre 3000 et 5000 euros, voire peut-être plus si le recrutement passe par leur propre agence de recrutement ?

J’ai eu le sentiment de m’évader en sortant de cette pièce close, et d’échapper au triste spectacle que j’ai vu autour de moi à cette époque, celui des gens qui entrent dans le cercle de l’emploi précaire (intérim, CDD) et n’en sortent jamais plus. Tout cela parce que leurs cotisations chômage ne sont une « assurance » que quand ils n’en ont pas besoin, ensuite…

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1) il est naturel qu' un salarié de BPI s'exprime sur le sujet mais il serait plus transparent encore qu'il se signale comme tel dans son commentaire, cela éviterait de se poser des questions sur la déontologie "au coeur des préoccupations" de cette entreprise qui revendique par ailleurs disposer de ses propres cabinets de recrutement et d'interim 
2) je ne sais s'il y a "beaucoup d'amalgames faits" dans l'article mais il semble y en avoir davantage dans le commentaire qui, effectivement, confirme et au-delà l'article: 

- "le service public de l'emploi n'est plus en mesure de proposer aide et conseil" : LES TERMES SONT ENGLOBANTS, CLAIRS ET SANS DETOUR, on est en totale continuité avec l'intervention de votre collègue consultant BPI qui a "manqué de tact" pas seulement avec les femmes de l'assistance donc mais aussi avec le pauvre représentant de Pôle Emploi, dénigré publiquement! Ce commentaire confirme donc bien qu'il y a là un discours officiel, non circonstanciel, de BPI: cette agressivité ce dénigrement, ouvertement revendiqué, des 45.000 salariés de Pôle Emploi est à l'unisson du dénigrement traumatisant des chômeurs quand ils sont convoqués par BPI, du moins dans mon vécu

- "la conjoncture actuelle n'autorise pas une position attentiste: chaque opportunité d'emploi, précaire ou non, doit être saisie"; là aussi c'est une confirmation de l'article: BPI (notamment, il n'est pas le seul probablement) est une machine à pousser et MAINTENIR les gens dans les agences d'intérim, sans état d'âme (et certainement en toute déontologie): tout pour que vous ne soyez pas inscrit à Pôle Emploi!

- cette conception clairement revendiquée démontre bien que le salarié n'est pas bénéficiaire d'une assurance à laquelle il a pourtant cotisé et qui lui permet de disposer d'un minimum de temps pour retrouver un véritable emploi pérenne: cette conception est la négation même de l'assurance chômage française, on est plus dans une optique américaine: pas d'assurance, pas de temps pour se retourner, aucune formation, on prend n'importe quoi, tout de suite.
Mais en France quand on est rentré dans la précarité, on n'en sort pas facilement, le cabinet Grant Alexander recrute-il beaucoup de CDI qui sortent de l'intérim? Quel pourcentage?
 
Et même: actuellement l'interim étant en panne, et il constitue bien le commentateur professionnel le confirme, le moteur de sortie des chômeurs du dispositif, comment ces agences vont-elles réussir à faire sortir les gens des statistiques de chômage, lesquelles vont redevenir un enjeu politique, au détriment des intérêts de court et long terme des chômeurs? Je plains ces personnes, de tout coeur.

Au-delà de ses amalgames, le commentaire est donc plus démonstratif que l'article: il y a bien volonté de profiter financièrement du démantèlement des missions publiques non seulement de Pôle Emploi mais aussi du concept même de l'assurance chômage. C'est le débat.