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03 / 12 / 2012
Eric Verhaeghe / Membre
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Complémentaire de santé et sécurisation de l'emploi : à contre-courant ?

Sans grande surprise, les organisations patronales ont déposé sur la table de la négociation relative à la sécurisation de l'emploi un projet d'accord qui s'ouvre par la généralisation de la complémentaire de santé. Cette mesure forte, emblématique pour les salariés des TPE et des PME, était réclamée depuis longtemps par les organisations syndicales, notamment par la CFDT.

Pourquoi cette mesure est-elle surtout emblématique pour les TPE-PME ? Parce que, selon une étude publiée par l'IRDES en juillet 2012, près de 94 % des entreprises de plus de 250 salariés offraient une complémentaire de santé à leurs salariés, quand un tiers seulement des TPE offraient le même avantage.

Inévitablement, l'amélioration de la condition des salariés oblige donc les partenaires sociaux et les pouvoirs publics à prendre position.

De façon assez surprenante, le texte proposé par les organisations patronales répond au sujet en s'appuyant essentiellement sur la négociation de branche, à travers une formulation un peu byzantine qui mérite d'être lue de près.

  • « Les branches professionnelles devront ouvrir des négociations en vue de permettre à tous les salariés qui, à la date de signature du présent accord, ne relèvent pas encore d’une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais de santé tant au niveau de leur branche que de leur entreprise, d’accéder à une telle couverture. Cette négociation vise à instaurer une cotisation minimale à la charge de l'employeur et du salarié, destinée à financer un ou plusieurs contrat(s) collectif(s) de remboursement de frais de santé pour les salariés non encore couverts, les branches laissant aux entreprises la liberté de choix du ou des organismes d’assurance et de la définition des garanties ».  


Cette rédaction appelle quelques commentaires pour comprendre les dessous de cette affaire.

L'enjeu de la liberté de l'entreprise


Depuis plusieurs années, les institutions de prévoyance ont gagné de nombreuses parts de marché grâce à des accords négociés au niveau des branches. Ces accords comportent souvent des clauses dites de migration obligatoire, qui obligent les entreprises de la branche déjà signataires d'un accord de prévoyance collective à le dénoncer pour rejoindre l'accord collectif de branche.

Cette modification en profondeur du marché a beaucoup profité aux institutions de prévoyance rattachées aux fédérations AGIRC-ARRCO. Ces institutions sont en effet très souvent bénéficiaires des désignations de branche, où siègent des négociateurs proches de l'AGIRC-ARRCO. Au contraire, les assureurs classiques, souvent leader dans les contrats d'entreprise, ont beaucoup perdu du fait de ces clauses de migration.

En prévoyant que les accords de branche destinés à couvrir les entreprises pas encore couvertes devront laisser les entreprises libres de choisir leur assureur, l'accord interprofessionnel prend donc position en faveur apparente des assureurs privés. Les clauses de migration devraient être interdites.

La rédaction proposée par le MEDEF n'exclut pas néanmoins la possibilité d'un accord de branche, ce qui devrait continuer à profiter aux institutions de prévoyance.

La question délicate des garanties

Assez naturellement, les partenaires sociaux auront la tentation de guider le contenu des contrats en fixant à l'avance le contenu des garanties offertes aux salariés.

La négociation parle de contrats repères, suggérés de longue date par la CNAM pour harmoniser l'intervention des complémentaires santé. Ce sujet paraît assez naturel : tout salarié doit bénéficier d'un socle minimal de garantie.

Toutefois, les définitions des garanties à offrir aux salariés, qui doivent être formulées par un groupe de travail technique, seront l'objet de toutes les attentions. Les partenaires sociaux cherchent-ils à créer une sécurité sociale complémentaires ? Ou bien laisseront-ils l'imagination et la concurrence s'exprimer ?

Sur ce point, la faculté qu'ont les négociateurs d'entreprise à faire évoluer les garanties offertes risque de souffrir d'un trop grand encadrement du marché par les partenaires sociaux.

Retour à la branche ?

Les mauvais esprits pourraient y voir une contradiction forte.De façon assez étonnante, alors que l'ensemble de l'économie de l'accord vise à déporter, encore obscurément, le dialogue social vers l'entreprise, les dispositions de l'accord en matière de complémentaire de santé donnent un rôle très central à la branche. Les mauvais esprits pourraient y voir une contradiction forte.

Certes, les raisons pour lesquelles ce choix s'opère sont compréhensibles. La mesure vise à pallier les insuffisances d'accords collectifs d'entreprise et il paraît assez naturel de confier ce rôle à la branche. En outre, les entreprises qui ne sont pas couvertes par des complémentaires de santé relèvent largement des branches où les TPE et les PME sont majoritaires et ont besoin de la branche pour négocier.

N'empêche... Il est difficile de ne pas se dire que la France manque encore une belle occasion de structurer le dialogue social d'entreprise partout où cela est possible, à commencer par les PME. Celles-ci pourraient bénéficier d'une généralisation du mandatement et prendre ainsi l'habitude de négocier en interne ce qu'elles aiment confier aujourd'hui à leur branche.

Pour parvenir à ce stade, il faut évidemment constater l'inutilité de ces dispositifs compliqués d'élection sur étiquette au niveau des branches dans les PME et permettre aux salariés de participer au destin collectif. Cette évolution indispensable au management des entreprises mériterait d'être épaulée par le MEDEF.

Au final, l'élaboration de la loi à partir de l'accord qui devrait être signé début janvier ne manquera pas de donner lieu à un lobbying nourri de la part des diverses forces en présence. Le diable de l'accord se cachera en effet dans les détails de la rédaction.

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