Sécu : un curieux anniversaire !
Le 4 octobre 2025 sera la date du 80ème anniversaire de la promulgation de l’ordonnance créant la Sécurité sociale.
Diverses commémorations seront (ou ont déjà été) organisées d’initiative syndicale, politique ou mutualiste.
Mais huit décennies après où en sommes-nous ?
Que reste-t-il de l’œuvre révolutionnaire née du programme du Conseil national de la Résistance et portée par Ambroise Croizat et Pierre Laroque ?
Que reste-t-il d’une Sécurité sociale, à vocation universelle, financée par les cotisations et gouvernée démocratiquement par les cotisants ?
Que reste-t-il du principe de cotisations comme du salaire différé socialisé, marquant la solidarité selon le principe de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ?
De nos jours ce sont des « charges » grevant les résultats des entreprises et les derniers gouvernements en procédant à d’amples exonérations de cotisations transfèrent des parts du revenu des salariés aux compte de leurs patron.
Huit décennies après, nous nous trouvons d’une part devant des évocations nostalgiques d’un « âge d’or » fantasmé et d’autre part face à des attitudes résignées devant la néo-Sécu étatisée qui se présente aujourd’hui à nous.
L’âge d’or — magnifié il y a quelques temps par « La Sociale » le beau film de Gilles Perret— et revendiqué par les partisans — aux accents souvent religieux —du 100% Sécu, n’a pas vraiment existé.
Si la solidarité universelle et la gestion démocratique ouvrière constituaient effectivement une avancée exceptionnelle dans la mise en place de la démocratie sociale portée tant par le programme du CNR que par la Déclaration de Philadelphie de l’OIT, elles n’ont jamais fonctionné selon le mode si souvent idéalisé.
Ainsi en santé, la Sécu d’alors ne remboursait que les arrêts de travail et la Sécu pervertie de nos jours couvre infiniment plus.
La loi Morice, en 1947, est venue rompre l’unité du système et voilà près de soixante ans que les ordonnances gaullistes ont bouleversé le modèle originel. En 1976, les élections des administrateurs des caisses sont supprimées ; elle ne connaîtront en 1983 qu’une résurgence vite tarie.
Avec le tournant libéral des années 70 et l’apparition des stratégies de chômage de masse (on lira avec plaisir « Le Choix du chômage » de Bruno Colombat et Damien Cuvillier) sous les effets de la croissance démographique et celle des dépenses de santé, débutera un processus de fiscalisation progressive des financements de la Sécu.
Cette fiscalisation, dont une étape importante sera la création par Michel Rocard de la CSG, va entraîner une étatisation de la Sécu marquée par le vote, au parlement, du PLFSS et la fixation, à Bercy, d’un Ondam qui corsète les politiques de santé, sans considération pour les besoins de celle-ci. S’agissant de la gestion des caisses par les partenaires sociaux, on parle volontiers aujourd’hui d’un paritarisme « de figuration ».
Dans le même temps le système des complémentaires-santé s’est trouvé confronté à de nouvelles contraintes, voire à des remises en cause.
Comme le proclamait Ambroise Croizat, « la Mutualité a sa place marquée dans l’organisation française de la Sécurité sociale » et longtemps elle a assuré seule l’essentiel de la couverture complémentaire-santé.
L’ouverture d’un « marché » de la protection sociale — aux assureurs privés et aux institutions paritaires de prévoyance IP— et l’acceptation des directives européennes Assurances, ont profondément bouleversé le champ des complémentaires-santé.
Dès 2017, Martin Hirsch et Didier Tabuteau évoquaient,dans une tribune publiée par Le Monde, un schéma de « grande sécu » qui sera repris en 2022 avec un concours inattendu des plus libéraux et des partisans du 100% Sécu.
S’agissant du sort d’un mouvement bicentenaire et qui couvre encore la moitié de la population française, il s’agissait alors de « redonner du pouvoir d’achat aux Français » et au passage — mais n’était-ce pas l’essentiel de la manœuvre ? — de faire main basse sur les réserves des mutuelles.
Aujourd’hui, sollicitées par le gouvernement pour couvrir ses cadeaux sociaux comme le 100% santé ou la réduction de ses dispositifs, taxées structurellement mais aussi conjoncturellement, peu considérées malgré leur nature solidaire et démocratique par les organisations syndicales, les Mutuelles demeurent cependant ces acteurs difficilement remplaçables du système de santé français que reconnaissait Ambroise Croizat.
Menacés par les stratégies libérales financières et par une banalisation assurantielle, les mutualistes sont aujourd’hui parmi les défenseurs les plus sincères et les plus conséquents d’une Sécurité sociale de haut niveau.
Il serait temps que l’ensemble des composantes du mouvement social en France, syndicats, mutuelles et IP, associations, assume en commun la défense de la Sécu comme un élément essentiel de la démocratie sociale dans notre pays.
Quand celle-ci recule les populismes progressent et la démocratie politique s’en trouve menacée.
Dans ces conditions, que commémorer le 4 octobre prochain ?
Et quel clou libéral manque-t-il encore au cercueil de la Sécu de Laroque et Croizat ?
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Du retour du « pognon de dingue »
Du retour du « pognon de dingue ».....(les 80 ans de la Sécu, suite…)
Il en est des légendes « politiques » comme des légendes urbaines, elles sont toutes plus infondées les unes que les autres.
Ainsi une légende politique se répand qui semble, comme je l’écrivais dans une chronique précédente, contribuer à fermer le cercueil de la Sécurité sociale d’Ambroise Croizat et Pierre Laroque.
Ce matin encore, l’animateur de la matinale de France culture reprenait l’antienne des « 60% de Français qui reçoivent plus de l’État qu’ils n’y contribuent ».
C’est là une nouvelle version du « pognon de dingue » dénoncé il y a quelques années par le président de la République. Et c’est là encore une mystification.
Les transferts de la Sécurité sociale dont on commémore ces jours-ci le 80ème anniversaire sont purement assimilés à des versements de l’État en contradiction totale avec l’esprit de la Sécu voulue par Laroque et Croizat.
Que sont les cotisations selon les pères fondateurs ? : du salaire différé socialisé selon le principe solidaire « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ».
Ces cotisations sont fondées sur le produit du travail des salariés quelque soit la répartition entre part salariale et part patronale.
Ainsi une bonne part du « pognon de dingue » d’Emmanuel Macron est notre pognon et nous ne serions des dingues que si nous renoncions à le voir reconnaître comme tel.
Avec le recul de la démocratie sociale sous l’offensive libérale dès les années 70 du siècle précédent, une bataille des mots —une de plus— va être perdue et dans le discours dominant aux « cotisations » vont se substituer des « charges sociales ». Le lien au travail salarié est dissous ; avec les charges et les politiques d’exonérations on va assister à un hold-up des fruits du travail au bénéfice du capital.
Certes avec l’apparition du chômage de masse, avec la croissance des dépenses de santé et une couverture améliorée de celle-ci par la Sécurité sociale — même si celle-ci depuis les ordonnances gaullistes de 67 n’a cessé d’être dénaturée par les gouvernements successifs— une part des dépenses de santé va être financée par la fiscalité et des dispositifs nouveaux comme la CSG promue par Michel Rocard.
Pour autant, l’appropriation par l’État — en fait par les gouvernements dans leur communication politique— de l’ensemble des transferts sociaux est une nouvelle étape de l’effacement la démocratie sociale voulue à la Libération et construite dans les luttes ouvrières et le dialogue entre partenaires sociaux.
Ces derniers sont largement dépossédés des prérogatives qui étaient les leurs.
Dans tous les domaines, négociations collectives et paritarisme sont corsetés par le pouvoir politique au libéralisme de plus en plus autoritaire.
Si très récemment le conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) s’est, modestement, rebellé et a refusé le doublement des franchises on sait que le nouveau gouvernement ne tiendra aucun compte de ce vote.
Comme je l’écrivais dans d’autres chroniques, à l’heure où se profilent des mobilisations populaires, parfois incertaines, mais qui traduisent les douleurs et les désarrois d’une part croissante de la population de notre pays, l’urgence serait d’une réappropriation par les travailleurs de la Sécu que Croizat et Laroque avaient voulu initialement leur confier.