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25 / 03 / 2020 | 240 vues
Cyrille Lama / Abonné
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Que faut-il retenir des principales dispositions de la loi concernant notamment le droit du travail et la négociation collective ?

La loi instaurant l’état d’urgence sanitaire a finalement été adoptée dimanche 22 mars, suite à l’accord trouvé en commission mixte paritaire réunissant sept députés et sept sénateurs. Aucun recours devant le conseil constitutionnel n’a été déposé. La loi est promulguée lundi 23 pour une entrée en vigueur immédiate. Elle renvoie à plusieurs ordonnances qui devraient être publiées dans les prochains jours.
 

Que faut-il retenir des principales dispositions de la loi, concernant notamment le droit du travail et la négociation collective ?


Le titre III inclut les mesures d’urgence économiques.
 

L’objectif est de donner les pleins pouvoirs au gouvernement afin de prendre diverses mesures par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de cette loi, au besoin avec effet rétroactif au 12 mars (bien qu’il ne soit pas sûr que cela soit constitutionnel !). Toutes les modifications que les projets d'ordonnances traitant du droit du travail (article 7 du projet de loi) apporteront ne sont pas strictement limitées dans le temps, contrairement aux dispositions limitant les libertés.


Ces mesures, qui touchent au code du travail et de la Sécurité sociale et désormais au droit de la fonction publique, visent à « prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi ».


Dernières dispositions


* Limiter les ruptures de contrats de travail en développant le recours à l’activité partielle : nouvelles catégories de bénéficiaires, réduction du reste à charge pour les employeurs, développer la formation professionnelle (par internet puisque confinement ?) et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel (puisqu’il semble qu’il y ait quelques difficultés avec l’activité partielle).


Il n’est pas prévu d’interdire les licenciements (économiques ou non) durant la période de crise sanitaire mais de limiter de tels licenciements en facilitant le recours à l’activité partielle.


Il n’est pas clairement stipulé que l’employeur ne peut recourir à l’activité partielle que s'il a préalablement tenté de mettre du télétravail en place mais il semble que les DIRECCTE adoptent cette position sur directive du Ministère du Travail.


Si l’on peut se féliciter du recours étendu à l’activité partielle qui permet effectivement de limiter les ruptures de contrats, le dispositif d’activité partielle ne permet toutefois pas une prise en charge à 100 % du salaire net.
 

Le coût du dispositif est cofinancé entre l’UNEDIC (2,75 milliards d'euros) et l’État (5,5 milliards d'euros). Il faudra être particulièrement vigilant à ce que cela ne mène pas à demander des économies à l’UNEDIC à l’avenir (d’autant que les dépenses de l’UNEDIC augmenteront certainement après l’épidémie). De ce point de vue, nous avions appelé à ce que la prise en charge soit faite par l’État.


* Adapter l’indemnité complémentaire de l’article L 1226-1 du code du travail : il s’agit de l’indemnité complémentaire versée par l’employeur en cas de maladie. L’ordonnance à venir donnera des précisions.


Pour nous, le fait de prévoir une modification des règles de l’indemnité complémentaire dès lors qu’il est prévu d’élargir le versement de cette indemnité ne peut qu’être encouragé. Il pourrait s’agir de diminuer l’ancienneté minimale du salarié (qui est actuellement d’un an) pour en bénéficier ou l’appliquer aux salariés travaillant à domicile, aux salariés saisonniers, aux salariés intermittents et aux salariés temporaires qui, pour l’instant, n’en bénéficient pas.


* Modifier les dates de prise de congés payés et de JRTT, ainsi que les jours de repos prévus par les conventions de forfait, voire utiliser le compte épargne-temps. Ces mesures concernent toutes les entreprises (et pas seulement celles nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale).


Il pourrait s’agir d’utiliser tous ces dispositifs avant de permettre le recours à l’activité partielle (et ainsi indirectement réduire le coût du chômage partiel pour l'État).


La loi limite finalement la possibilité pour les employeurs d’imposer les CP à six jours (vraisemblablement pour se conformer au droit européen) et seulement par accord collectif d’entreprise ou de branche.
 

Toutefois, la question demeure de la possibilité de mettre en place de telles négociations dans la mesure où les entreprises sont actuellement fermées (ou en télétravail). Il y a fort à parier que les interlocuteurs sociaux ne puissent pas négocier au niveau de la branche (en raison des délais restreints) même si, politiquement, l’ouverture d’une négociation au niveau de la branche est importante pour notre organisation syndicale.


Des interrogations demeurent pour les petites entreprises : l’employeur pourra-t-il faire appel au référendum ?


Encore une fois, en l’absence de salariés dans l’entreprise, l’organisation d’un référendum semble difficile. En effet, la consultation électronique n’est pas prévue par les textes et l’employeur doit respecter un délai minimum de quinze jours entre la transmission du projet d’accord et la consultation (art. L. 2232-21 et R. 2232-10 et suivants).


En revanche, l’employeur pourra unilatéralement imposer ou modifier les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié. Ces dispositions s’appliquent également aux fonctionnaires.


* Dérogation au repos hebdomadaire et dominical, à la durée légale du travail pour les secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale.
 

Les secteurs ne sont pas encore complètement précisés. Là encore, il faudra rester « dans les clous » du droit de l’Union européenne sauf si celle-ci prévoit elle-même des dérogations exceptionnelles. Il faudra rester vigilant sur les contreparties salariales pour les salariés mobilisés.


À tout le moins, cette dérogation de droit aux règles sur la durée du travail, le repos hebdomadaire ou le repos dominical, devrait expressément comprendre une limite (en heures et durée), et faire en sorte que le repos compensateur soit accordé immédiatement après la période de travail, dans un souci de préservation de la santé et la sécurité des salariés, le calcul de la semaine devant se faire sur une période de sept jours consécutifs (ne pas faire référence au droit de l’Union qui permet de travailler douze jours consécutifs avant d’avoir un repos). Il conviendra également de prévoir une augmentation des temps de pause.


Le travail de nuit ne semble pas visé. La question du droit à des majorations pour heures supplémentaires devra être éclaircie. Le cas spécifique des salariés sous forfaits-jours devra aussi être abordé.


Tout au long de l’examen de ce texte, notre organisation syndicale a mis en garde contre le risque d’ajouter des dangers sur la santé et la sécurité au travail, due à des intensités et durées de travail plus longues, à celui du coronavirus. Ce serait finalement contre-productif par rapport à l’objectif affiché !
 

Pour nous, il vaut mieux alléger les conditions de travail (restrictions des horaires d’ouvertures et renforcement des équipes tournantes en recrutant, là où c’est aisément possible, en assurant des conditions de travail saines et sûres vis-à-vis du risque épidémique).


* À titre exceptionnel, la loi ouvre la possibilité de modifier les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation.


Conformément aux délais légaux qui les encadrent, les sommes issues de la participation et de l’intéressement doivent être versées avant le premier jour du sixième mois suivant la clôture de l’exercice de l’entreprise, sous peine d’un intérêt de retard. Le projet de loi vise donc à modifier ces délais, afin, selon l’exposé des motifs « de permettre aux établissements teneurs de compte de l'épargne de ne pas être pénalisés par les circonstances exceptionnelles liées à l'épidémie ».


Notre confédération déplore que seuls les intérêts de ces établissements soient ici pris en compte et revendique qu’un nouveau cas de déblocage anticipé soit créé pour permettre aux salariés de bénéficier des sommes bloquées dans ce contexte exceptionnel.


Le texte prévoit aussi de modifier la date limite et les conditions de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat.


Cette mesure ne figurait pas dans le projet de loi initial. Cet ajout fait suite à plusieurs déclarations gouvernementales appelant les entreprises à verser une prime défiscalisée aux salariés qui ont « eu le courage de se rendre sur leur lieu de travail » malgré les risques encourus.


Nous avons publiquement indiqué que cette mesure ne peut en aucun cas inciter les salariés à s’affranchir des meilleures conditions de sécurité et de santé. Il n’est pas question de remplacer une insuffisance en matière de sécurité et de santé par une prime.


De plus, ce mécanisme accroît les inégalités entre les salariés contraints de se rendre sur leur lieu de travail.
 

En effet, si les salariés des grands groupes, en tout ou partie, pourront en bénéficier, au bon vouloir de leur employeur, les plus petites entreprises ne disposeront à l’évidence pas de la trésorerie suffisante pour mettre ce dispositif en place.


Constatons également l’absence d’un tel dispositif pour les agents publics qui se voient contraints de poursuivre leur mission de service public en se rendant sur leur lieu de travail.


En revanche, reconsidérer beaucoup des métiers dont on découvre qu’ils sont essentiels pour les rémunérer beaucoup mieux qu’ils ne le sont aujourd’hui et de façon pérenne aurait beaucoup plus de sens.


* L'alinéa 8 de l'article 7 porte sur les élections TPE.
 

Par rapport à la version initiale, le texte définitif prévoit « d’adapter l’organisation de l’élection mentionnée à l’article L. 2122-10-1 du code du travail, en modifiant si nécessaire la définition du corps électoral ». Cette précision laisse entendre que le gouvernement va bien envisager de reporter la date des élections. En effet, selon l'article L 2122-10-2, « sont électeurs les salariés des entreprises qui emploient moins de onze salariés au 31 décembre de l'année précédant le scrutin ».

Par conséquent, si le scrutin est reporté à l’année prochaine, il sera nécessaire de modifier la date d’appréciation des conditions d’électorat.


En revanche, nous ne savons toujours pas si, dans l'immédiat, les phases de dépôt des candidatures et des propagandes sont suspendues ou repoussées.


À titre exceptionnel, la durée des mandats des conseillers prud’homaux et des membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles pourra donc être prorogée.


* Services de santé : aménagement de la surveillance médicale par les SST en raison de l'épidémie (un sauveteur secouriste du travail est un salarié de l'entreprise formé. Son rôle est de porter les premiers secours à toute victime d'un accident du travail ou d'un malaise mais aussi d’être acteur de la prévention dans son entreprise).


Sur ce point, Force Ouvrière revendique la mise en place d’un suivi médical renforcé via les services de santé au travail pour tous les travailleurs quotidiennement exposés au COVID-19.


En outre, notre confédération s’interroge sur la nécessité de légiférer par ordonnance sur le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) et non le seul Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) : l’indemnisation des victimes du covid-19 ne doit en aucun cas pénaliser l’indemnisation des victimes d’autres situations ou catastrophes sanitaires.


* L’alinéa 10 porte sur l’information-consultation des CSE. Il est simplement prévu « de modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis ». Aucune précision n’est apportée. Il est impossible de savoir sur quoi ces modalités vont porter. Il pourrait s’agir de rendre la généralisation de la visioconférence possible, à l’initiative de l’employeur. Il n'est apparemment pas prévu de prolonger les délais puisque le texte fait référence aux « délais impartis ».


Pour nous, il faudrait a minima que ces aménagements ne s’appliquent qu’aux consultations rendues absolument nécessaires en cette période de crise sanitaire, en particulier s’agissant des questions de santé et qu’une suspension des autres consultations soit imposée. Se pose également la question des moyens mis en œuvre pour faciliter ces consultations et leur efficacité.


Ce même alinéa apporte une précision qui concerne les élections des CSE en cours puisqu'il est prévu que ces dernières soient suspendues. On peut aisément comprendre cette mesure. Toutefois, la question de la représentation du personnel dans les entreprises concernées se pose, sachant que la plupart des entreprises organisant leurs élections actuellement sont celles qui n’avaient pas procédé à la mise en place du CSE au 1er janvier 2020. Or, nous avions demandé (et cela s’avère aujourd’hui d’autant plus pertinent) que les mandats des anciens élus CE aient pu être prorogés dans ces entreprises. Ces entreprises et leurs salariés vont donc se retrouver sans aucun représentant du personnel.


Sur un plan plus pratique, la suspension de toutes les élections pose également la question d’une éventuelle prolongation du cycle de représentativité en cours, puisque certains résultats risquent de ne pas être comptabilisés à temps. La même remarque peut être faite, s’agissant des élections de TPE puisque leur éventuel report aura aussi une incidence sur le calcul de la représentativité dans les délais.
 


Lors d’une réunion en visioconférence avec la Ministre du Travail, le Ministre de l’Économie et les interlocuteurs sociaux, tenue lundi 23 après-midi, des points complémentaires ont été précisés :

  • les ordonnances seront connues dans la semaine ;
  • la Ministre du Travail a précisé que les dérogations au temps de travail ne seraient ni générales, ni pérennes ; elles se limiteront aux secteurs très tendus (production de masques, gels et agroalimentaire notamment) ;
  • l’activité partielle sera étendue aux CDD, intérimaires, salariés à domicile (80 % du salaire net mis en œuvre avec le CESU…), avec réduction du reste à charge pour l’employeur (confirmation d’une compensation à hauteur de 84 % du salaire net, l’employeur étant remboursé à 100 % jusqu’à 4,5 SMIC au lieu du SMIC) ;
  • l’indemnisation des chômeurs qui arrivent en fin de droits en mars sera prolongée en avril ;
  • les nouvelles règles entrées en vigueur dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage au 1er novembre et au 1er janvier demeurent (entrée dans les droits et rechargement, dégressivité pour les plus de 4 500 euros) ;
  • pour les cadres et salariés en forfait-jours, celui-ci sera converti en heures (règle connue dans les jours qui viennent) ;
  • les travailleurs indépendants (ainsi que les travailleurs des plates-formes) pourront bénéficier du fonds de solidarité mis en place pour les TPE et PME (1 500 €/mois).
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