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27 / 02 / 2024 | 44 vues
Frédéric Homez / Abonné
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Filière nucléaire: une attractivité à reconstruire !

Après de longues années de diabolisation, la filière nucléaire retrouve soudain ses lettres de noblesse. Il lui faut à présent recruter 100 000 salariés en 10 ans, soit un doublement de ses effectifs. Alors qu’il y a urgence à agir, la réponse des pouvoirs publics est-elle à la hauteur ?
 

Eléments de réponse....

 

« Avons-nous l’argent ? Avons-nous les hommes ? » T

 

elles sont les deux questions que posait l’ancien patron d’EDF Henri Proglio fin 2022 à la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ». Sa réponse avait été glaçante : « L’argent on le trouve. Les hommes c’est beaucoup plus difficile. Nous ne les avons pas. Nous n’avons plus les équipes. Et nous avons perdu le savoir-faire, le tour de main. Non pas l’opérateur, non pas l’architecte ensemblier mais l’ensemble de la filière – tous les génie-civilistes, tous les industriels qui travaillent autour du noyau EDF à la réalisation des centrales – a aujourd’hui beaucoup perdu du fait que nous n’avons plus construit de centrales depuis vingt ans ».

 

Depuis, le nucléaire est redevenu une priorité et les industriels doivent construire un nouveau parc au plus vite, selon les prescriptions présidentielles.
 

Après un trou d'air de près de deux décennies sans nouvelles constructions, la filière nucléaire doit parvenir à relancer la machine, « dans l'excellence » et des délais terriblement courts. « Le volume d'activité va augmenter d'environ 25 % en 10 ans », anticipe Olivier Bard, président du Gifen, le syndicat professionnel de l'industrie nucléaire. « Compte tenu des départs en retraite, cela signifie que nous allons devoir recruter 60 000 personnes sur les métiers cœur du nucléaire.
 

Si vous y ajoutez les fonctions achats, les juristes, les RH…, le total atteint 100 000 personnes. »

 

Des métiers pour l'essentiel hautement qualifiés, dont les formations ne s'improvisent pas

 

Cela correspond à 10 000 recrutements par an, pour des besoins qui vont au-delà de la seule construction, du fonctionnement à l’entretien.


Car la filière va devoir, dès demain, assurer simultanément la maintenance du parc historique, gérer le grand carénage (la prolongation de la durée de vie des réacteurs), démanteler certaines centrales, construire au minimum six nouveaux EPR2 (et plus probablement 14, si l’on en croit les dernières déclarations gouvernementales), achever le projet d'enfouissement des déchets Cigéo, augmenter ses capacités d'enrichissement d'uranium, sans oublier de répondre aux commandes militaires (pour le porte-avions qui remplacera le Charles de Gaulle et de nouveaux sous-marins nucléaires), de maintenir sa capacité à conduire des projets à l'export, et enfin développer ses programmes de recherche, notamment sur la nouvelle génération de réacteurs ou encore la fusion avec Iter…

 

Pour atteindre ces objectifs, le Gifen a passé plusieurs mois à réaliser une cartographie du secteur afin d’en déterminer les besoins, passant au crible plus d’une centaine d'entreprises représentatives des acteurs et sous-traitants de la filière.


Résultat : un rapport, baptisé « Match », remis en avril 2023 aux ministres de l'Industrie et de la Transition énergétique, qui sont censés accompagner les efforts de recrutement comme de formation. Il détaille les besoins à venir, à court, moyen et long terme, sur 20 segments de métiers. « Nous l'actualiserons chaque année afin d'avoir une vision d'ensemble, structurée, sur la base de l'ensemble des plans de charge des entreprises », promettait alors Olivier Bard. La lecture du rapport le confirme : les besoins sont tels qu'ils exigent « des actions imminentes », les recrutements devant commencer dès 2023 et s’accélérer au plus vite.

 

Certains métiers, parce qu'ils interviendront les premiers sur le futur parc, sont déjà en croissance rapide : forge, fonderie, chaudronnerie, les métiers du génie civil, les prestations intellectuelles qui représenteront « 16 000 à 17 000 emplois », pour réaliser les études (de sûreté, de conception, mécaniques…) associées aux projets, et pour lesquels l’accent devrait être mis sur le compagnonnage. Si les filières de formation existent, la priorité est d’abord s'assurer de les remplir, en mettant en avant l'attractivité des métiers concernés.


Le 15 mai 2023, l'Université des métiers du nucléaire (UMN) a présenté son plan d'action, basé sur le rapport Match.


Ont été également associés à ces travaux les acteurs de la formation initiale et professionnelle continue, ainsi qu’un grand nombre d’entreprises de la filière nucléaire.

 

L’UMN s’appuie, pour adapter l’offre de formation, sur les Campus des Métiers et des Qualifications des régions pour mieux associer l’ensemble des acteurs de la formation (éducation nationale, enseignement supérieur, organismes de formation continue), de l’emploi et les industriels des territoires à la démarche et l’adapter au contexte local.

 

Le plan d’actions est structuré en 7 leviers et 30 mesures associées, dont une dizaine est effective depuis septembre 2023. Parmi les 84 métiers « cœur » de la filière nucléaire étudiés, 20 sont identifiés comme « sensibles », allant de l’opérationnel (chaudronnier, soudeur, technicien radioprotection, conducteur de travaux, dessinateurprojeteur …) à l’ingénierie (chefs de projets, ingénieur d’études conception électricité, mécanique…).

 

Le plan d’actions contient pour chacun d’entre eux, « une analyse de l’adéquation entre les besoins en compétences et l’offre de formation correspondante ».

 

A noter que plus de 60 formations ont été créées sur les métiers en tension entre 2022 et 2023. Mais les analyses menées montrent que la création de nouvelles formations ne peut être la seule réponse aux besoins de la filière. Elle doit nécessairement être accompagnée de mesures pour renforcer l’attractivité et élargir les viviers de recrutement, afin de remplir les formations. Pour y parvenir, les pistes retenues laissent songeur tant elles ressemblent à des vœux pieux.

 

Le plan prévoit ainsi de développer le site internet "monavenirdanslenucleaire.fr" et de « fédérer les acteurs de la filière autour d’événements phares pour renforcer l’impact des actions de communication ». Il prévoit également de « nouer des partenariats et favoriser les reconversions ». L’idée consistant à « intervenir au collège, favoriser les stages ou encore former les professeurs aux métiers et enjeux de la filière nucléaire » alors que ces derniers sont déjà en souffrance ne paraît pas plus réaliste, comme l’injonction à « recueillir les bonnes pratiques et les diffuser dans la filière » manque d’ambition.

 

Après des années de « nucléaire bashing », il faudra davantage que de la publicité ciblée et une communication positivement orientée pour sortir la filière de l’ornière où elle se trouve en matière de recrutement.


Seules quelques mesures, comme lever les freins à l’alternance en proposant de financer les frais de transport et d’hébergement des étudiants, et ce, en complément des actions lancées dans le cadre de l’EDEC de la filière nucléaire (parcours d’apprentissage partagés, vivier d’alternants de la filière nucléaire…), que notre organisation soutient depuis longtemps, peuvent offrir un peu d’oxygène à la filière.
 

La future loi de programmation sur l'énergie et le climat, attendue au plus tard à l'automne puis repoussée à début 2024, sera déterminante pour aider la filière à se remettre sur pied. Il faudra qu’elle soit à la hauteur des enjeux.


La surprise Vinci pour Penly


Alors que Bouygues était le « partenaire » historique d’EdF pour la construction des différents îlots d’une centrale nucléaire, EdF vient de confier à Vinci la réalisation des deux nouvelles tranches du Centre Nucléaire de Production Electrique de Penly. Les succès de cette société sur d’autres projets, tant dans la réalisation, la tenue du budget que dans le respect du planning, ont sans doute convaincu EdF que ce choix sera payant pour les constructions à venir



Un autre loupé français


Comme indiqué précédemment, la France a arrêté le surgénérateur Superphénix essentiellement pour des raisons politiques (accord entre les Verts et le PS). En 2010, le plan de relance Fillon consacre 1 milliard d’euros à la conception d’un nouveau réacteur à neutron rapide refroidi au sodium (RNR-Na) avec comme objectif la fermeture du cycle du combustible et la transmutation des actinides mineurs (notamment Américium et Curium). 
 

Les ingénieurs français y travailleront pendant 7 ans avant que le gouvernement ne mette un point final en 2019 à ce projet appelé ASTRID.


Aujourd’hui plusieurs start-up européennes viennent recruter les ex-ingénieurs d’Areva (Framatome) pour lancer des projets de réacteurs à neutrons rapides dans différentes filières (sodium liquide, plomb liquide, sels fondus) en se faisant financer par les fonds de « France relance » ; cherchez l’erreur ! Pendant ce temps, le seul nouveau projet des industriels français porte sur un SMR -ces « small modular reactors » (petits réacteurs modulaires)- à eau pressurisée, baptisé « Nuward », laissant le champ libre à d’autres acteurs dans les réacteurs avancés.


Cette technologie des "RNR-Na" jadis maitrisée par la France présente plusieurs avantages. Elle permet de fermer le cycle du combustible, c’est à-dire d’utiliser au mieux la ressource en uranium en réintroduisant dans le cœur du réacteur le combustible usé après séparation des déchets ultimes et de réduire la quantité de déchets en en « brûlant » une partie. Mais ce sont les pays concurrents comme la Russie qui disposent de cette solution, et plus nous.
 

Espérons que nous ne gaspillerons pas les deniers du contribuable de la même façon pour la technologie SMR. Affaire à suivre …

 

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