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09 / 04 / 2021 | 210 vues
Corinne Lefaucheux / Abonné
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Travailleurs des plates-formes numériques : la coopération s’organise

Salariés qui souvent n’en sont pas, les travailleurs des plates-formes numériques (notamment celles de livraison et de transport) ont souvent un statut très précaire, sans véritable protection sociale. Certains (les livreurs étant les premiers concernés) font face en s’organisant en coopératives face à cette situation. D’autres (du côté des conseils aux législateurs) appellent à répondre en recourant aux coopératives d’activité et d’emploi ou aux entreprises de portage salarial. Cet avis n’est pas sans soulever des questions aux acteurs du monde coopératif.
 

Livraison de repas ou de colis, transport, location temporaire de logements, organisation de circuits-courts, ventes de produits locaux sur internet et nombreux autres services : le développement des technologies numériques a permis l’émergence de nouvelles pratiques et a changé les habitudes de beaucoup de consommateurs. Mais aussi les conditions de travail de ceux qui fournissent ces services.

 

Des travailleurs précaires

 

Dans le marché en pleine expansion des plates-formes en ligne, la part du lion a été acaparée par de grosses entreprises internationales : Uber, AirBnB, Deliveroo… Entreprises dont le modèle économique et les pratiques se basent sur des travailleurs indépendants et sont bien loin du modèle coopératif. Ce qui place leurs forces vives dans des situations précaires, sans aucune prise sur leur outil de travail. À tel point qu’ubérisation figure désormais dans le dictionnaire et signifie « remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plates-formes de réservation sur internet » (Larousse). Auto-entrepreneurs, les livreurs ne bénéficient pas de congés, de protection sociale ou de droit au chômage en cas d’arrêt, ont la charge de leur équipement (voiture, vélo, smartphone, vêtements etc.), sont dans l’incertitude permanente quant à la pérennité de leur activité et à la merci des plates-formes quant à la tarification, tout en étant isolés les uns des autres.

 

La coopération s’organise

 

Un peu partout en France, des travailleurs ont donc décidé de se regrouper et de travailler ensemble pour retrouver des conditions de travail décentes, du pouvoir de décision et directement bénéficier de la valeur du service qu’ils apportent. Les Coursiers nantais à Nantes, Olvo à Paris et sa banlieue, Kooglof ! à Strasbourg etc. : après avoir parfois démarré leur projet sous forme associative, les coopératives de livreurs à vélo fleurissent partout en France. Cette transition n’est pas si facile car elle nécessite non seulement d’avoir des outils numériques adaptés à disposition (sans avoir les moyens des multinationales) mais également d’assurer toutes les tâches autres que la course proprement dite. Coopcycle accompagne ces collectifs de livreurs qui souhaitent se lancer ou ont franchi le pas en s'appuyant sur l’expérience de ceux qui fonctionnent. Affichant clairement sa « volonté de promouvoir une gestion démocratique de la valeur collectivement produite par les travailleurs », cette fédération s’adresse uniquement aux coopératives (ou aux livreurs individuels qui souhaiteraient en rejoindre une). Si elle met les outils numériques qu’elle développe (logiciel de plate-forme et application mobile) à disposition, elle est bien loin de se contenter d’être un prestataire informatique. Elle accompagne le montage et le développement des projets sur les aspects commerciaux, administratifs et juridiques, voire financiers. Services aujourd’hui assurés par deux salariés mais également une quinzaine de bénévoles très actifs. La demande est réelle : créée en 2016, CoopCycle fédère aujourd’hui 65 collectifs dans une dizaine de pays. Du côté des chauffeurs, une seule coopérative (VTC-officiel) a vu le jour pour le moment.

 

Pas coopératif à tout prix

 

Les travailleurs ainsi organisés représentent néanmoins une toute petite partie des coursiers et chauffeurs. La question des conditions de travail et de la protection sociale de tous les autres demeure. Sujet d’autant plus d’actualité que des décisions prud’homales requalifient régulièrement la relation de travail en salariat. Ces décisions remettent le modèle économique des plates-formes géantes en cause. Le 1er décembre dernier, Jean-Yves Frouin (ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation) a remis un rapport intitulé « Réguler les plates-formes numériques de travail » qui aborde ces questions au gouvernement. Les travailleurs concernés y voient davantage des mesures en faveur des plates-formes et de la sauvegarde de leur modèle que des travailleurs. L’option du salariat (que tous les travailleurs n’appellent pas de leurs vœux, beaucoup tenant à leur indépendance) n’y est pas retenue, ni celle d’un statut tiers pour ces travailleurs. Le rapport promeut plutôt le recours aux coopératives d'activité et d'emploi (CAE) ou aux sociétés de portage salarial. Si le mouvement coopératif est convaincu que la solution coopérative est « une véritable alternative crédible », c’est à certaines conditions. Il ne s’agit pas de « limiter la CAE à la seule fonction de coopérative d’interface entre plates-formes donneuses d’ordre et travailleurs ». La CG SCOP plaide ainsi pour travailler à un véritable plan de développement des plates-formes coopératives et à l’accueil au sein des CAE des aspirants coopérateurs. Mais, comme le note Fatima Bellaredj, déléguée de la CG SCOP, « les coopératives n’ont pas pour vocation de répondre à tous les travailleurs de plate-forme ». Le mouvement l’affirme, « en aucun cas, il ne peut être question de permettre aux grandes plates-formes comme Uber ou Deliveroo de se dégager de leur responsabilité d’employeurs ».

 

Passer la seconde

 

Comme le rappelle la COOP des communs, « les plates-formes coopératives ne sont pas que des alternatives vertueuses aux géants du web. Elles sont de véritables infrastructures de coopération, notamment localement ». C’est pourquoi Plates-formes en communs, « communauté apprenante associant plates-formes et experts » a lancé l’appel « Ensemble on passe la seconde ». Ainsi, pour 2021, les signataires s’engagent à 1. accélérer la structuration d’un réseau de plates-formes coopératives afin de s’organiser, faire collectif et communiquer ensemble ; 2. se mobiliser collectivement pour être reconnues et financées par les plans de relance ; 3. renforcer et accompagner les expérimentations entre les plates-formes et leurs partenaires ; 4. bâtir un écosystème de financement des plates-formes coopératives, en bonne intelligence avec l’ensemble des acteurs du financement de l’économie sociale et solidaire et de l’intérêt général. https://link.infini.fr/appel-plateformes.

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en effet, risques spécifiques pour ces travailleurs indépendants fictifs, beaucoup d’inconvénients pour la santé et la sécurité du travail avec de la précarité, et peu de prévention des risques professionnels et de protection sociale : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/fiches-metier/la-prevention-des-risques-professionnels-lies-aux-plateformes-de-services