Participatif
ACCÈS PUBLIC
07 / 09 / 2020 | 400 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
Articles : 82
Inscrit(e) le 23 / 10 / 2008

Risque sanitaire : une perception manipulable, priorité à la responsabilisation

Une dizaine de nations et de nombreuses entreprises se sont lancées dans une course effrénée à l’élaboration d’un vaccin contre la Covid-19 et d’un traitement contre ce dernier. Cette course dont les enjeux se comptent en dizaines de milliards de dollars devrait aboutir d’ici quelques mois. D’ores et déjà, des progrès médicaux substantiels favorisent une prise en charge moins intrusive et plus efficace pour les victimes.  
 

Risque
Image by Clker-Free-Vector-Images from Pixabay

 

La remontée des cas de contamination depuis plusieurs semaines a été largement explicitée. Parmi les principaux facteurs identifiés apparaît,  le relâchement dans l’application des gestes barrières après l’épreuve collective du confinement. Mais aussi la multiplication des tests effectués, jusqu’à un million par semaine prévus en septembre. Ces tests rendent mieux compte de la circulation du virus, largement sous-estimée au printemps.  
 

Cette remontée des cas sera-t-elle à l’origine d’une nouvelle croissance des hospitalisations ? C’est la première question qui se pose. Même s’il est vraisemblable que la courbe reparte à la hausse, pour l’instant les contaminations concernent plutôt une population jeune et plus résistante au virus ce qui évite une hospitalisation et ne génère pas le plus souvent de cas sévères pouvant aboutir au décès. Il est même probable que la contamination des plus jeunes, participe à cette immunisation collective recherchée et censée, à un terme plus ou moins lointain, protéger des risques de cette épidémie. 
 

C’est dans ce contexte qu’il faut questionner notre relation au risque
 

Qu’est-ce qu’un risque ? Le risque n’est pas le danger même si souvent les définitions les réduisent au rang d’homonyme. Prenons un exemple, l’électricité est une source d’énergie qui est potentiellement aussi une très grande source de danger, porteuse de préjudices potentiels pour les êtres humains : l’électrisation ou encore l’électrocution. Le risque peut se définir comme la probabilité pour un individu d’être exposé à un danger et en conséquence de subir un préjudice qui peut être la mort. Si on reprend notre exemple. Ainsi, le risque sera très différent pour deux agents d’EDF en situation d’intervention. Le premier appelé à travailler dans des nacelles en hauteur sur des lignes à haute tension, est exposé à un risque élevé, le second qui œuvre à de simples modalités de contrôle dans la camionnette en supervision à un risque quasi nul. 
 

Pour l’instant, fort heureusement, les personnes à risque et les générations plus avancées dans l’âge restent épargnées par la flambée estivale de la COVID 19. Mais le virus qui circule de manière souterraine et silencieuse peut les atteindre si la distanciation sociale ne les protège plus des plus jeunes. Par là-même, les effets dévastateurs du virus pourraient à nouveau œuvrer chez les personnes âgées et dépendantes dont une bonne partie vit au sein de maisons de retraites. Ces établissements ont constitué, faut-il le rappeler , des clusters dramatiques depuis février 2020. Les anciens ont payé parfois dans la solitude et l’abandon un prix terrible à la pandémie puisque près de 11000 morts y ont été recensés.  La seconde question qui se pose est donc celle de l’ampleur des hospitalisations et de la mortalité futures car il est plausible que le virus réussisse à atteindre par l’ouverture de corridors de contamination ces populations affaiblies par d’autres pathologies ou par l’âge.  
 

Il est donc nécessaire de réfléchir à l’exposition au danger, cette réflexion doit nous conduire à examiner notre propre comportement face aux risques. Tout d’abord ne pas verser dans une peur excessive et bouleversante, une sorte « d’hypocondrie sociale généralisée » en résultat des mesures instaurées par les pouvoirs publics et véhiculées par les médias. Ce que dénoncent certaines forces sociales et politiques. A noter que ces dernières cherchent aussi et c’est le  jeu des joutes partisanes, à tirer profit des erreurs et tâtonnements initiaux des autorités publiques dans la gestion de cette crise sanitaire. 
 

Réfléchir pour comprendre les facteurs qui déterminent nos actions, parfois en dépit de notre conscience immédiate, et s’assurer du niveau de réponse adaptée en chaque circonstance pour réduire les risques de contamination.  
 

Réfléchir aussi car la perception du risque est déterminée par différents facteurs. Le premier est celui de l’information dont nous disposons et qui peut nous conduire à certains jugements parfois erronés. Le second relève de la méconnaissance scientifique qui nous renvoie à l’incertitude. Enfin le dernier relève du sentiment de la contrôlabilité supposée de ce risque qui peut nous inciter à ne plus faire œuvre de la prudence indispensable. 

 

Le port du masque illustre toutes bien les dimensions de la perception du risque

 

La situation sanitaire, à l’image du tour de France qui vient de se lancer à Nice, se trouve sur un faux plat.  Une large incertitude apparait sur l’évolution soit positive soit négative de l’épidémie. Ce calme qui précède peut-être la tempête laisse apparaitre une opposition au sein de la population au port obligatoire du masque désormais instauré par les pouvoirs publics.  

Les arguments avancés par les pouvoirs publics en matière de protection et d’endiguement de la pandémie n’ont pas réussi à construire un consensus scientifique et social pour faire face efficacement au danger. Et il vrai qu’il est difficile de justifier médicalement par exemple l’heure de fermeture des bars à 23 heures. Pourquoi pas 22 heures ou 24 heures.  
 

A dire vrai, il n’y a jamais eu vraiment de consensus social et/ou scientifique au sujet du port du masque qui semble plutôt mieux accepté au sein des populations asiatiques qu’en Europe ou en Amérique. Si l’opinion publique et les décideurs politiques examinent avec intérêt la discipline des populations en Asie qui semble avoir été payante, l’interrogation porte toujours sur le même dilemme « Faut-il en faire trop ? Ou prendre le risque de ne pas en faire assez en matière de prévention ». Les responsables gouvernementaux fragilisés car ils sont mis en cause dans une multitude d’actions judiciaires, se sont résolus à la prudence maximale. 

  

Les avantages du port du masque ont été relativisés dès le 8 avril  2020 par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) qui , dans son rapport adressé aux gouvernements, notait que le port du masque donnait « un faux sentiments de sécurité » qui pourrait inciter les personnes à réduire les distanciations physiques et le lavage des mains. Le rejet du port du masque qui est loin d’être marginal serait, selon Emmanuel Hirsch professeur d’éthique médicale à l’Université de Paris Saclay, le résultat d’un discrédit vis-à-vis de l’autorité publique pour donner suite aux errements dans la gestion initiale de la pandémie. Peut-être ! En sachant toutefois qu’en Allemagne ; la chancelière Merkel créditée d’une gestion efficace de la pandémie se trouve elle aussi confrontée à des manifestations contre cette obligation de port du masque. Ségolène Royal, ancienne candidate à l’élection présidentielle affirme dans une interview au Point refuser « la tyrannie hygiéniste ». La fille politique de Francois Mitterrand dénonce ainsi la litanie des indicateurs morbides déversés par les médias et impactant la perception de la population.  Sans entrer dans certaines extravagances des thèses complotistes, à Nice,  Sylvie Bonaldi élue écologiste d’opposition a fait scandale selon Ouest France en déclarant que le masque, demeure « un outil consistant à mesurer la soumission du peuple et qu’il ne sert absolument à rien ». 
 

Sur le plan médical, le professeur Didier Raoult spécialiste des maladies infectieuses préconise quant à lui non pas une « imposition du masque mais une simple recommandation » préférant le lavage régulier des mains qui serait essentiel. Le professeur Laurent Toubiana de l’Inserm considère que le port obligatoire du masque relève d’une décision purement politique et non d’un choix scientifique.  
 

Selon le médecin Martin Blachier spécialiste en épidémiologie, s’exprimant sur RMC à la fin juillet, le port du masque en extérieur s’avère un principe de précaution inutile qui pourrait avoir des effets contreproductifs. D’après lui tous les clusters ont surgi en intérieur et non pas en extérieur. Le masque doit donc être réservé à une utilisation en milieu clos. Les représentants des organisations patronales redoutent quant à eux l’entrave à la reprise économique qui pourrait résulter d’un dispositif sanitaire trop contraignant.   

 

Les multiples controverses conduisent à s’interroger sur notre perception du risque ! 
 

La perception du risque se trouve fortement influencée par nos habitudes. Cette perception du risque ne résulte pas simplement d’un effet mécanique et objectif par exemple la progression du nombre de contaminations ou du nombre de décès liés à la maladie. Les indicateurs rendant compte des faits ne dictent pas à notre cerveau un impératif « attention danger » qui l’amènerait à une conduite adaptée.  
 

On le voit aujourd’hui dans certains pays, les USA, le Brésil ou les attitudes des citoyens si ce n’est celles des dirigeants ne sont pas alignées, ou tout au moins pas suffisamment alignés avec les exigences d’une prudence collective afin d’éviter la dissémination et la contamination massive. Pour comprendre ce qui se passe actuellement avec l’entrée dans nos existences de la COVID 19 , il faut se référer à des comparaisons pour saisir pourquoi la vigilance s’estompe et ne devient plus de mise pour une partie de la population.  
 

La rougeole demeure une grande tueuse. Selon l’organisation mondiale de la Santé (OMS) avant la généralisation du vaccin en 1963, cette maladie virale humaine extrêmement contagieuse pouvait causer jusqu’à 2,6 millions de décès chaque année. Si de grands progrès ont été réalisés pour limiter le caractère létal de cette maladie celle-ci demeure très présente et serait à l’origine du décès de 142 000 personnes en 2018 dont une majorité d’enfants de moins de 5 ans. La rougeole devrait donc être très redoutée en raison du nombre de morts qu’elle suscite chaque année. Pourtant ce n’est pas véritablement le cas. En effet en dépit de la vaccination, l’évolution des décès a augmenté de 15% par rapport à l’année 2017. A tort, cette maladie apparaît auprès du grand public comme maîtrisée ce qui conduit à baisser la garde en prévention et à favorisés sa résurgence. 
 

Un constat de même nature peut être effectué en ce qui concerne le SIDA. Le VIH a causé des millions de décès, vraisemblablement plus de 40 millions de morts au niveau de la population mondiale, à titre de comparaison cette hécatombe est quasi équivalente à la population d’un pays comme l’Argentine.  Pourtant en dépit des campagnes et des alertes sur la dangerosité des comportements à risque environ 1 million de personnes ont été encore infectées au cours de la dernière année. Y compris en France la régression des contaminations au VIH marque le pas avec un plateau de 6000 contaminations chaque année. Il semble que la population, qui s’est habituée à vivre avec ce virus depuis quarante ans s’en accommode et le redoute moins qu’auparavant ce qui conduit à réduire les mesures de précaution en particulier lors des rapports sexuels 


En résumé la perception du risque se structure chez l’individu selon deux critères. Le premier critère est la méconnaissance. L’individu a peur de ce qu’il ne connaît pas. L’aversion à l’incertitude en quelque sorte. Les citoyens étant donné la contagiosité et la dangerosité redoutées du SIDA ont modifié leur comportement au départ ainsi la mortalité en a été fortement réduite même s’il est probable que la baisse de cette mortalité aurait pu être encore plus importante avec un meilleur accès au traitement pour les victimes. Pour la contamination par la COVID 19 de même la peur a conduit à une modification des comportements, ce que l’on est en droit de redouter avec l’habitude est du même ordre, la banalisation mentale de la COVID 19 qui inciterait à baisser la garde de la prévention.  
 

Le deuxième critère est celui de la contrôlabilité du risque. Quand il peut être contrôlé le risque voit son caractère anxiogène diminuer si ce n’est disparaître. Avec la généralisation du vaccin, le virus de la rougeole, pourtant très dangereux et susceptible de laisser bon nombre de séquelles chez les enfants ou chez les adultes de plus de 30 ans, a été considéré sous contrôle, donc moins dangereux. La connaissance scientifique aboutissant à un contrôle du risque s’est traduit par une diminution de l’appréhension du danger qui était pourtant source d’une grande inquiétude pour la multitude.  
 

Pour faire face à ce relâchement préjudiciable, l’information disponible demeure donc le socle de la perception du risque. A l’évidence la lutte contre la propagation des virus doit tenir mieux en compte les progrès réalisés et leur perception par le grand public. Ces progrès ne doivent pas être assimilés à des remèdes définitifs.  
 

Accomplir cette fonction pédagogique essentielle s’avère complexe pour les pouvoirs en charge de la santé publique et pour les médecins. Les autorités gouvernementales ont perdu de leur aura. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle celle de la défiance. Internet intensifie la production et la propagation de l’information. Cette circulation sans contrainte de l’information renforce les exigences de transparence et déchaine parfois la colère des individus i  confrontés au surgissement de la vérité. 

Une information accessible mais aussi souvent déformante des faits peut générer des paniques « rationnelles ». Un petit nombre d’individus est à même d’influencer le plus grand nombre. Cela a été le cas au départ de la pandémie quand les plus angoissés se sont rués dans les magasins pour se procurer du sucre, de la farine, du papier toilettes etc. Ces stockages abusifs et non justifiés de produits jugés indispensables ont provoqué des ruptures d’approvisionnent puisque face aux étagères à moitié  vides, la majorité a alors pris conscience qu’elle risquait de se trouver démunie et s’est alors à son tour sentie convertie par la nécessité du stockage de précaution… 
 

Le sens ou la portée de l’information peuvent aussi être minorés et entraver la perception du risque. Ainsi, au début de l’épidémie, dès le mois de janvier en Californie, les spécialistes des modèles mathématiques utilisés en épidémiologie ont alerté sur la menace de pandémie de la Covid 19 sans pour autant influer sur le monde de la santé et des médias demeurés à la traine.
 

Enfin pour bien situer les risques d’influence chacun doit savoir que les informations anxiogènes captent beaucoup plus d’attention que celle qui le sont moins. Le sociologue Gérald Bronner a ainsi démontré que sur le plan cognitif l’information anxiogène à deux fois plus de poids pour l’individu que les bonnes nouvelles. Il explique « Il y a ce qu'on appelle le principe de négativité dans la cognition. Notre cerveau est câblé pour faire attention au danger parce qu'un danger est une vraie information qui pourrait nous menacer iii» En clair les médias quand ils s’arrêtent sur des faits porteurs d’angoisse ou d’émotions négatives sont plus écoutés ou lus. Les trains qui arrivent à l’heure ne font pas recette.  
 

La peur, la méconnaissance scientifique ou l’apparence de connaissance, les distorsions dans l’accès à l’information ne doivent pas interdire de fonder notre comportement sur un principe de responsabilité. Evitons toutefois de tomber dans un dogmatisme sécuritaire qui deviendrait non raisonnable et dangereux pour notre joie de vivre et notre économie. Car comme le rappelle Gérald Bronner « La peur se transforme toujours en normes et lorsque ces normes sont excessives, non seulement cela coûte de l'argent public, mais cela coûte aussi des vies humaines parce que c'est cet argent-là qu'on ne mettra pas dans des mesures de prévention, dans des mesures de santé publique iv». 

Afficher les commentaires