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16 / 04 / 2019 | 110 vues
Cathy Simon / Membre
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Les minima sociaux, c’est pour les « losers » considère une frange patronale : pour un retour à l’augmentation générale des salaires

Comme on le constate chaque jour un peu plus, le secteur de l’intérim et celui relevant de BETIC (bureaux d'études techniques ingénieurs conseils*) sont bien deux secteurs stratégiques car ce sont des lieux laboratoires pour le patronat et pour leurs relais politiques.
 

C’est là que se déploie bien souvent tout l’arsenal néo-libéral avec son lot de mystifications quant à ce que devrait être la condition du travailleur du « nouveau monde » (libre, indépendant, autonome, ultra-agile et mobile et purement responsable…).
 

Or, lorsque l’on perce à jour la rhétorique qui les accompagne, ces mystifications contiennent une forte dose de cynisme.
 

La constitution de deux catégories de travailleurs
 

Entendons-nous : le cynisme réside en l’occurrence dans le fait que les défenseurs patronaux du nouveau régime néo-libéral s’appuient sur les aspirations individualistes, l’individualisation des relations et des structures sociales et de la crise profonde de l’institution (plus globalement, de tout ce qui permet la mise en forme collective des aspirations et des actions individuelles) qui en découlent, pour faire perdre toute légitimité aux revendications qui comportent une dimension fondamentalement collective.
 

Mais le cynisme se manifeste surtout à travers l’idéologie qui prétend justifier le délestage de la dimension collective (et le solidarisme qui le porte) des rapports sociaux dans le monde du travail. cette idéologie rétablit, sous des dehors souvent très policés, une nouvelle hiérarchie entre les êtres : les capables et les incapables (ou, autre variante, les compétents et les incompétents), les méritants et les autres.
 

Ajoutons entre les capables ou les méritants du jour car dans le nouveau monde que l’on nous promet enchanté, la roue tourne très vite : nous sommes engagés dans une lutte et une course féroce contre le temps qui passe d’une façon vertigineuse (avec comme concurrent principal « l’intelligence artificielle », nous rabâche-t-on sur toutes les ondes, la question reste toutefois bien évidemment des plus sérieuses).
 

D’où le désintérêt croissant qui se manifeste chez le patronat à l’égard des minima sociaux puisqu’il est entendu, selon eux, que les salariés qui flirtent autour de ces derniers ne sont guère méritants et, s’il en est ainsi, c’est bien parce qu’ils ont « loupé » la belle course aux « performances » qu’ils auraient dû et pu embrasser avec le plus grand enthousiasme, donc de quoi se plaindraient-ils en plus ? De ne pas avoir un salaire suffisant pour vivre ? Tant pis, à eux de se « bouger » beaucoup plus.
 

Donc s’intéresser aux minima sociaux, c’est s’intéresser aux « losers » qui ont manqué le coche et c’est verser tristement dans l’humanitaire.


Bien entendu, le corolaire de cela est le rejet de toute augmentation générale des salaires. Ce rejet suit fondamentalement la même logique : augmenter « tout le monde » voudrait dire augmenter les « non-méritants », les décrocheurs, ceux dont le travail ne mérite pas de salaire suffisant ou décent.

 

Pour la valorisation du travail
 

Derrière cette rhétorique, existe l’idée que le travail en lui-même ne mérite pas de salaire suffisant s’il ne rentre pas dans des critères prétendument économiques et donc « objectifs » et « scientifiques », selon la vulgate néo-positiviste actuelle (mais c’est en réalité une vieille histoire). Dans les faits, cette attitude autorise fréquemment un grand arbitraire car lesdits critères demeurent, malgré leur prétention à la « scientificité » économique, des plus discutables et des plus flous !
 

Derrière cette idéologie qui imprègne fortement les esprits, c'est hélas finalement le travail que l’on dévalorise et que l’on évalue à l’aune de critères prétendument (purement) économiques.
 

L’augmentation se mérite (comment ? on entoure ce point de bien des mystères) mais tout effort (même fortement utile et dont la finalité est pourtant jugée cruciale mais « évaluée » selon d’autres critères de jugement) dans son travail ne mérite pas nécessairement valorisation salariale. Par ce geste, on désubstantialise le travail précisément et on l’attaque de plein front.
 

Mais dans l’expression et la revendication d'une « augmentation générale »,  il n’y a pas que le mot « augmentation » qui est attaqué ; il y aussi (et peut-être surtout), le mot « général » : en effet, tous les prétextes sont bons pour le placer en ligne de mire et pour le décrédibiliser.
 

L’individu contre le collectif ?
 

Sur ce sujet, nous ne pouvons que renvoyer au dernier ouvrage (1 ) important de Marcel Gauchet qui tient des propos définitifs sur cette crise du « général » ou plus précisément du « collectif » de la formation et de la reconnaissance de ce collectif. Celui-ci n’est plus donné d’emblée ; il a perdu sa vertu d’évidence (crise et remise en cause permanente de la transmission, dans sa dimension symbolique, culturelle etc.). L’heure est au primat de l’individu, dans l’inconscience de la structuration du politique qui a désormais sa sphère propre, opération ayant ce faisant permis de faire émerger l’autonomie politique (et sociale) des acteurs qui composent la société.
 

Dans ce processus, l’acteur et l’individu que nous sommes tous, ont tendance à se croire auto-suffisants ou auto-engendrés (pure illusion, évidement) puisque ce qui les structure (matériellement et socialement) a en quelque sorte perdu sa visibilité en sombrant dans le domaine de l’implicite.
 

En se séparant et en organisant le champ social du dehors, le politique a permis l’autonomisation (mais aussi une certaine forme d’atomisation) de la société et de l’individu mais dans l’opération, il a réussi à se faire « oublier » dans une large mesure (sauf lors d’échéances bien normées), favorisant chez  l’individu l’idée qu’il peut y arriver seul, qu’il détient (tout seul) les moyens de son indépendance et de son autonomie, alors qu’il n’en est évidemment rien (l’État « providence » et les services publics sont encore là pour lui faire accroître et entretenir cette illusion).
 

Ainsi, en devenant pour une part « mécanique » et institutionnelle (pour combien de temps encore ?), la solidarité rend la mobilisation collective des acteurs (notamment dans le monde du travail) moins urgente.
 

Encore une fois, notre tâche est de préserver notre héritage (Sécurité sociale, une assurance chômage digne de ce nom, un système de formation professionnelle continue réellement ambitieux...) dans ce qu’il a de plus précieux et nous savons que pour cela, nous devons plus que jamais depuis un demi-siècle, bâtir de nouveaux droits tenant compte de la « révolution » anthropologique que nous traversons (primat de l’individu de droit sur toute logique holistique…) en forgeant ou en inventant une nouvelle articulation entre l’individuel et du collectif.
 

Il est impératif que notre organisation syndicale participe à cette redéfinition fondamentale, comme elle l'a toujours fait.
 

Elle s’y consacre chaque jour, notamment à travers des campagnes électorales qui ont actuellement cours. Ce faisant, tout en mesurant à quel point il n’est pas toujours évident de mobiliser les travailleurs syndicalement pour la défense (collective) de leurs intérêts (pour les raisons susmentionnées), elle ne manque pas de rappeler l’importance de la solidarité entre tous les travailleurs pour un progrès social collectif et réellement durable.
 

Pour un retour à « l’augmentation générale des salaires »
 

Elle le fait en revendiquant systématiquement la nécessité de revaloriser le travail et la dignité des salariés, valorisation qui ne peut pas être seulement symbolique. Pour être concrète, cette valorisation doit d’abord justement se traduire par des augmentations générales de salaires.
 

Nous ne devons pas tomber dans le piège de la diversion que nous tend le patronat et qui consiste à se détourner de l’enjeu salarial pour n’aborder que des sujets dits « sociétaux », aussi importants que puissent, par ailleurs, revêtir ces enjeux. Le salaire (brut) reste le noyau dur dont tous nos droits sociaux découlent. Prévoir des garanties sur d’autres fondements ne doit surtout pas nous détourner de cette source essentielle. Pour cela, disposons-nous aujourd’hui d’un autre choix que celui d’organiser un nouveau et vigoureux rapport de force ?


Face à la destruction méthodique des tous nos droits collectifs par l’implacable et cynique pouvoir financier et l’idéologie ultralibérale qui le soutient (en témoigne notamment la volonté d’abattre le paritarisme etc.), existe-t-il aujourd’hui une autre alternative que celle d’aider à l’organisation d’un soulèvement de masse de tous les travailleurs ?
 

Combien faudra-t-il d’avertissements au pouvoir financier en place et à ses relais politiques pour qu’il prenne vraiment la mesure des terribles failles du système ?

* Nouvelle dénomination officielle de la branche qui était connue sous le nom du syndicat patronal Syntec.

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