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18 / 04 / 2016 | 9 vues
CHRISTIAN EXPERT / Abonné
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Réforme de la santé au travail dans la loi sur le travail El Khomri : « comprenne qui pourra » ou Ubu fait roi

La loi Rebsamen d’aout 2015 et la future loi sur le travail El Khomri font la part belle au rapport Issindou–Fantoni censé vouloir sauver la médecine du travail.

Il faut toujours rester circonspect face aux sauveurs autoproclamés.La loi Rebsamen a introduit une disposition très innovante, elle donne comme mission nouvelle aux services de santé au travail et aux médecins du travail, de préserver la santé et la sécurité des « tiers ».

La loi El Khomri rétrécit le champ des tiers en question, qui couvrait à partir d’août 2015 la Terre entière et tous les Terriens ; désormais, les tiers concernés ne sont que ceux qui occupent le même environnement de travail que les travailleurs concernés. Les clients du supermarché, les visiteurs de l’immeuble lavé à grande eau par le concierge, les clients du coiffeur susceptibles de se faire couper l’oreille par un geste maladroit sont des tiers au sens du projet de loi.

On pourra s’interroger sur les responsabilités : celle du patron coiffeur ? Celle du service de santé au travail ou celle du médecin du travail, si la victime perd une partie de son oreille. Car le médecin du travail s’est-il effectivement interrogé sur les conséquences d’un tremblement essentiel dudit coiffeur, sur les conséquences de son intempérance ou sur celles de la prise de psychotropes pour un syndrome dépressif ?

Des contentieux en perspective

La loi El Khomri constitue un exercice d’équilibriste assez fascinant. Il fallait supprimer l’aptitude, notamment à l’embauche pour les postes de travail dits « pas à risques » ces visites étant identifiées comme inutiles par le rapport Issindou.

Un objectif : supprimer l’aptitude liée au médecin du travail

Il faut aussi admettre que cette vindicte envers les visites d’embauche dissimulait une autre réalité (que ledit rapport occulte soigneusement), les visites d’embauche consomment beaucoup de temps du « médecin du travail » car seuls les médecins du travail en titre peuvent en effet délivrer un avis d’aptitude.

Certains employeurs ont été condamnés faute d’avoir pu faire passer leur visite d’embauche à leurs salariés. Ulcérés d’être condamnés alors que les services de santé dont ils étaient adhérents étaient incapables (pas « inaptes ») de fournir cette prestation, certains ont obtenu par voie judiciaire le remboursement de leurs pénalités.

Une solution miracle et expéditive a été identifiée pour se préserver de futures condamnations. Pourquoi ne pas supprimer cette satanée et « inutile » visite d’embauche (moment où le salarié fait connaissance avec le médecin du travail et qui lui permet d’évoquer ses problèmes de santé ou son handicap) sauf pour les postes dits à risques pour la santé des travailleurs, celle de leurs collègues et celles des fameux tiers environnants ? 

Il faut bien admettre que ce malheureux pilote suicidaire qui a tenu à se faire accompagner dans l’au- delà par tous ses passagers a refroidi les ardeurs des partisans de la suppression de cette maudite visite d’embauche avec aptitude pour tous.

Explorons donc cette loi sur le travail et ses paradoxes

La visite d’embauche

Elle n’est donc conservée et assortie d’un avis d’aptitude que pour les postes à risques tels qu’introduits par la loi Rebsamen. Pour les autres, un substitut dont on ne connaît pas trop la nature ni la substance, une visite d’information et de prévention assurée par un professionnel de santé de l’équipe pluridisciplinaire.

Pas d’aptitude donc. Quand il prendra son rendez vous pour son salarié auprès de son service de santé au travail, l'employeur devra donc préciser le menu : poste à risques avec aptitude ou sans risque sans aptitude (il sera aidé pour se déterminer par un décret) un travailleur occupant un poste de type administratif (comptable, gestionnaire d’assurance etc.) sera réputé occupant un poste sans risques et se verra « éduqué » par le service de santé sur la prévention des risques auxquels il est exposé.

Quels risques puisque son poste est considéré ne pas en comporter ?


Mystère : le texte est muet là-dessus. Des conseils sur l’intérêt de faire du sport, du stretching (authentique, cela se fait déjà dans l’hypothétique objet de lutter contre les troubles musculo-squelettiques) concernant les pièges de l’alcool et du cannabis ?

Question : Quelle pourra être la conduite à tenir du professionnel de santé auquel le salarié « sans risques » confie qu’il communique avec les étoiles (vécu et authentique) ?

En tant que professionnel de santé, il devra orienter ce salarié délirant pour qu’il puisse bénéficier d'une prise en charge médicale mais il ne pourra pas entamer de procédure d’inaptitude temporaire au poste ou d’inaptitude puisque ledit poste ne doit pas faire l’objet d’une aptitude.

Ce lien avec les étoiles distraira sans doute un moment les collègues de travail de ce salarié puis risquera de perturber quelque peu la quiétude de l’open-space (sans compter la souffrance de ce salarié maniaco-dépressif qui veut absolument conserver ce poste).

Un représentant d’une organisation syndicale patronale à qui l'on exposait cette situation s’est interrogé sur son manque de connaissances médicales pour identifier ce type de pathologie et pour faire face à ce type de situation (un thème de formation continue ?).

L’employeur peut-il encourager son salarié « branché » à échanger ailleurs que chez lui avec les étoiles ? Que nenni, il s’agirait de discrimination.

Les visites de reprise

Selon le futur article L. 1226-2 du Code du travail, tout salarié s’il est déclaré à l’issue des périodes de suspension pour accident ou maladie non professionnels, inapte à son poste par le médecin du travail selon l’article L4624- 4 du Code du travail qui traite des postes à risques, doit se voir proposer par l’employeur un poste adapté à sa capacité à l’occuper selon les propositions du médecin du travail.

Capacité mais pas aptitude

Qu’en conclure ? Que si un salarié occupe un poste à risque défini, il ne pourra pas occuper un autre poste à risque même s’il est adapté à son handicap ?

Car s’il s’agit d’un autre poste à risque différent du premier, l’aptitude devrait-elle s’imposer ? Pourtant, non ; on supprime benoîtement l’aptitude.

Se pourrait-il que l’aptitude à un poste à risques x vaudrait pour tous les postes à risques de l’univers ? Le médecin du travail serait-il à ce point omniscient ?

Le salarié non soumis à l’article L4624-4 du Code du travail ne semble pas devoir bénéficier du même traitement de faveur puisque l’article fait référence à l’article L4624-4 du Code du travail (créé par la loi Rebsamen) qui traite des postes à risques

Il n’y aurait donc pas de pas de reclassement pour lui ? Serait-il par nature « non inapte » ?

Si un accident de la vie l’empêche (à cause de son handicap fonctionnel) d’occuper un poste « non à risque » pourrait-il être muté d’autorité par un employeur (ayant bien sûr fait une formation médicale et d’ergonomie) à un autre poste sans risque ?

Ce changement de poste pour une raison de santé semble peu compatible avec les textes réprimant la discrimination pour raison de santé ?

Que dire des salariés déclarés invalides deuxième catégorie ? Au travail !

Autre question : Lui serait-il impossible d’occuper un poste à risques mais compatible avec son état de santé ?

Les visites de reprise après accident du travail ou maladie professionnelle sont soumis au même régime subtil.

Que le salarié occupe un poste à risque ou non, point d’aptitude à sa reprise, quelle que soit la nature de l’accident du travail et de ses conséquences. L’aptitude initiale semble définitive quel que soit le poste de reclassement. On examinera seulement sa capacité à occuper ce nouveau poste.

On s’affranchit de l’aptitude honnie, pourtant prévue à la visite d’embauche.

Pour les CDD, une curiosité

À la reprise, le salarié pourtant dépourvu d’aptitude à la visite d’embauche pour les postes « non à risques » peut être déclaré « non inapte ».

La différence sémantique entre « apte » et « non inapte » nous échappe quelque peu, hors le fait que l’aptitude soit pourchassée par le législateur comme le démon l’est par l’exorciste : « aptitude, sort de ce code du travail ».

L’inaptitude

À la lecture des articles L4624-3 à 7 du projet de loi, il nous semble comprendre qu’un salarié puisse être déclaré inapte par le médecin du travail, qu’il occupe un poste à risque ou « non à risque », bien que lesdits articles suivent l’article L4624-2 qui réserve le concept d’aptitude aux salariés occupant un poste à risque.

Cette lecture nous semble probable mais pas certaine.

Pas certaine car peut-on déclarer un salarié inapte à occuper son poste alors que nulle aptitude ne lui était nécessaire pour prendre possession du même poste lors son embauche ?

Autrement dit, il nous semble illogique qu’un salarié puisse être inapte à un poste pour lequel aucune aptitude n’est nécessaire. 

L’inaptitude est sans contestation possible l’avers de l’aptitude ou celui de l’état de « non-inaptitude » selon la déclinaison sympathique et astucieuse du sort réservé au salarié de retour d’un CDD après un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Si l'on suit cette logique de la capacité permanente inutile à vérifier, nous allons avoir le plaisir de voir se développer le transport par ambulance de salariés qui devront mordicus assumer leur poste de travail puisque l’inaptitude comme seul moyen de quitter l’entreprise leur serait refusée sous prétexte qu’ils sont censés occuper un poste administratif sans risque et donc sans nécessité d’aptitude et donc pour lequel l’inaptitude serait inenvisageable.

L’inaptitude à un poste à risque constatée a posteriori

L’hypothèse soulevée plus haut nous paraît improbable, pour des raisons de productivité et également pratiques, car si nous avons vu disparaître les chambres d’allaitement dans l’entreprise, on pourrait craindre l’arrivée de l’hospitalisation au travail.

Imaginons que le grand psychotique n’occupant pas un poste à risques ait entendu benoîtement, sans s’agiter, le discours préventif prévu à l’article L4624-1 du Code du travail et que, quelques mois plus tard il tente d’étrangler voire d’égorger les odieux extraterrestres qui veulent l’empêcher de travailler tranquillement. Le médecin du travail devant un salarié réticent ou refusant tout soin sera sans doute tenté d’entamer une procédure d’inaptitude pour le motif du risque que ce salarié se fait courir à lui-même,  à ses collègues et à ses rares clients (la qualité de sa comptabilité était bien décevante, il faut bien le reconnaitre). Il faudra bien admettre, a postériori que risque il y avait et que l’employeur, malgré ses tentatives de formation médicale accélérée, n’avait pas eu la bonne intuition lors de l’embauche.

L’employeur défaillant verra alors peut être sa responsabilité engagée.

Le service de santé au travail et le médecin du travail qui n’avaient pas examiné ni entendu ce salarié si sympathique, faute de l’avoir jamais rencontré, ni surtout examiné, poursuivront les séances de stretching, d’éducation alimentaire et de lutte contre la toxicomanie lors des visites périodiques (information et prévention ?).

Comprenne qui pourra ! Mais beaucoup de mots sont très désuets.

  • Je préfère nettement « non riche » à « pauvre ».
  • « Non bien portant » à « malade ».
  • Et pourquoi pas « non-femme » à « homme », le beau sexe n’étant pas masculin.

Le droit est une matière réjouissante !

Quant aux DRH, ils devront avoir fait au minimum des études d’infirmiers avant de se lancer dans la carrière. Une seule chose paraît certaine à la lecture de de ce « Titre V. Moderniser la médecine du travail », toute cette « modernité » qui nous paraît bien régressive à l’analyse, va entraîner, nous en sommes bien certains, des vagues de contentieux.

La santé et la sécurité des salariés ? Soyons modernes !

 

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