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16 / 11 / 2015 | 5 vues
Bernard Salengro / Abonné
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Congrès de l’ordre national des médecins : quelles perspectives pour la santé au travail ?

Voici mon intervention du 30 octobre au débat sur les perspectives de la santé au travail, organisé à l'occasion du congrès de l’ordre national des médecins, qui avait pour thème : « construire avec les médecins la santé de demain ».
Je voudrais remercier le hasard et la nécessité qui m’ont fait faire ce certificat de médecine du travail quand je préparais la spécialité de psychiatrie et la nécessité financière lorsque nous préparions notre installation commune, mon épouse et moi, qui m’a amené à découvrir cet exercice.

J’ai découvert un métier passionnant, au plus près de la vie des gens, avec des gens qui ne sont pas hors du jeu social comme on en rencontre trop souvent dans la médecine classique plus interpellée par les deux extrêmes de la vie et par ceux qui restent à domicile.

J’ai découvert la richesse de la vie sociale et toute sa complexité, un abîme par rapport à ce que nous enseignent les universitaires.

Un métier fabuleux car il suffit de s’intéresser à un sujet pour pouvoir réaliser des publications de niveau international alors que les autres spécialités nécessitent pour ce faire tout un parcours de fourches caudines universitaires (EPC, sac de ciment, RPS etc. ; Brésil, Canada, Allemagne, Angleterre).

Cependant, c’est un métier très dur contrairement à l’image d’Épinal que l’on s’en fait dans le monde médical, la sélection dans l’exercice y est beaucoup plus rude car on n’a pas le confort de la clinique où le patient est allongé et soumis au diktat médical de l’ordonnance.

L’organisation de cette spécialité et de son exercice est à la main d’universitaires et de hauts fonctionnaires qui en ont une vision artificielle et donc faussée.

Dans ce métier, il faut convaincre et négocier ; c’est beaucoup plus exigeant mais c’est la vie.

Il y a quand même de  sérieuses difficultés actuelles dont vous avez certainement entendu parler, difficultés qui s’inscrivent très bien dans l’esprit de cette journée, c’est que l’organisation de cette spécialité et de son exercice est à la main d’universitaires et de hauts fonctionnaires qui en ont une vision artificielle et donc faussée.

Cela ne s’arrête pas à ça, leur vision est également malthusienne.

  • Illustration : l’an dernier, à Paris il y a eu 94 médecins spécialistes en exercice candidats pour la reconversion en médecins du travail en 4 ans ; seuls 21 sur les 94 demandeurs ont été retenus  par les universitaires et il paraît que l’on va manquer de médecins du travail. Cherchez l’erreur.


Le problème des universitaires, c’est qu’ils enseignent quelque chose qu’ils n’ont jamais pratiqué, ce qui est quand même délicat et ne les empêche pas de pondre des rapports complétement décalés par rapport à la réalité. Consultez le rapport Issindou Fantoni, un modèle du genre.

Le problème des hauts fonctionnaires, c’est qu’ils ne connaissent la situation que par ouïe-dire car cela n’existe pas dans la fonction publique et qu’ayant peu de moyens, ils s’appuient sur les coalitions d’intérêts des services dirigés par des employeurs de terrain dont l’intérêt n’est pas souvent en concordance avec l’objectif prescrit par la loi, ainsi le dernier rapport sur l’application de la dernière réforme n’est qu’une redite d’un rapport réalisé par cette coalition.

Et on voudrait que cela soit neutre !

L'un des problèmes actuels est que l’assemblée de 1946 qui a institué la médecine du travail protectrice des salariés vis-à-vis de leur travail mais n’a pas donné les moyens en instituant une gestion transparente et équilibrée des services, ce qui donne lieu à beaucoup d’aberrations de gestion, un chiffre entre tous : près d’un tiers des services de santé n’a pas l’agrément sans que cela n’émeuve la DGT.

Même les organisations nationales d’employeurs ne se reconnaissent pas dans ces coalitions de services qui cherchent à diminuer le rôle des médecins du travail pour pouvoir commercer à leur guise.

Comme indiqué plus haut, on est dans la vie sociale !

C’est le défi. Mais est ce différent chez les confrères de plus en plus confrontés à la CNAM, à la HAS, aux médias, au ministère, aux politiques et aux ARS.

Aussi, pour répondre à la question « quelles perspectives pour la santé au travail ? » ce vendredi 30 octobre, je dirais :

1° : que la santé au travail ne peut que se développer compte tenu de l’étreinte de plus en plus serrée des dispositions du travail ;

Je n’insisterai pas sur :

  • l’explosion des produits chimiques avec lesquels nous jouons tous les jours aux apprentis sorciers sans avoir préalablement mesuré les conséquences ;
  • ni sur l’explosion des problèmes en rapport avec les risques psychosociaux compte tenu d’un management de plus en plus intrusif et des nouveaux outils de traitement de l’information qui introduisent une nouvelle industrialisation du travail tertiaire qui occupe les trois quarts de nos emplois ;

2° : quant aux acteurs de santé au travail, on peut dire qu’ils ne manquent pas de pain sur la planche. Cependant, leur existence et leur mode d’action dépend beaucoup des politiques et des hauts fonctionnaires dont on sait le peu de compréhension qu’ils en ont. Rappelez-vous les déclarations d'Emmanuel Macron et de François Hollande sur la simplification administrative. Il était prévu de « benner » la santé au travail.

Ce qu’une loi a créé, une autre loi peut le défaire.

Actuellement, on a le sentiment que :

  • cette coalition d’intérêts des dirigeants de service cherche à se défaire des médecins du travail tandis que les organisations nationales d’employeurs ne veulent pas entendre parler d’un système démédicalisé ;
  • les hauts fonctionnaires font ce que leur ministre leur dit. Encore faut-il que leur ministre connaisse l’enjeu et la réalité du problème autrement que par l’écoute des hauts fonctionnaires.

À ces pressions contradictoires s'en surajoutent d'autres plus occultes mais plus puissantes :

  • les pressions européennes (small business act et programme REFIT) tendant à supprimer les contraintes des entreprises, notamment les petites qui constituent le gros de la troupe ;
  • les pressions de la normalisation ISO, cf la norme ISO 45001 sur le management présentée récemment à Séville qui s’impose (malgré l’opposition des pays européens) et qui cherche à contourner notre système de prévention en instituant un système de type anglo-saxon et relevant d’une philosophie beaucoup plus sélective que protectrice.

En résumé

Il est difficile de prévoir le mode d’exercice à l’avenir :

  • conseiller de prévention ;
  • agent de sélection ;
  • démarche expertale dans un contexte judiciaire.

Ce qui est en revanche sûr, c’est que le sujet et la matière ne manqueront pas et que ce sera passionnant.

Pour ma part, si je suis entendu, le système ne justifie pas d’être remis à plat mais il justifierait quelques aménagements et surtout un contrôle autre qu’un sabre de bois, une transparence et une gouvernance ouverte à tous les acteurs de manière équilibrée.

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