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13 / 10 / 2015 | 3 vues
Pascal Pavageau / Membre
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Rapport « transformation numérique et vie au travail » : attention, cheval de Troie

Le 25 mars 2015, le gouvernement a demandé au DRH d’Orange, Bruno Mettling, d’établir une analyse sur les principaux enjeux et conséquences des évolutions liées au numérique sur les modes et organisations du travail.

En parallèle, notre organisation syndicale a établi des réflexions générales concernant l’effet du numérique sur le travail et a été auditionnée durant l’été lors de la phase de concertation afin de transmettre ses points de vigilance et ses positionnements (voir annexe).

Le rapport finalisé, intitulé « Transformation numérique et vie au travail » et officialisé le 15 septembre 2015, cherche à travers ses 36 préconisations, à poser des éléments de diagnostic et à proposer des solutions face aux transformations inhérentes au développement des technologies de l’information et de la communication.

Les bouleversements économiques que nous connaissons, les nouveaux usages professionnels, souvent peu maîtrisés et mal encadrés, justifient à eux seuls l’ensemble des domaines abordés par ce rapport.

Cependant, alors qu’il aurait été nécessaire d’utiliser le numérique comme une occasion permettant d’améliorer les conditions de travail, de réduire la pénibilité, de créer des emplois, de sécuriser les parcours professionnels et de renforcer les droits collectifs des salariés, l’orientation générale du rapport « Transformation numérique et vie au travail », sous la pression évidente du gouvernement notamment du côté de Bercy, semble utiliser le numérique comme un cheval de Troie ce qui a poussé Force Ouvrière à analyser avec précision l’ensemble des 36 préconisations (voir annexe).

Notre attention porte essentiellement sur trois grandes tendances dangereuses qui apparaissent clairement :
  • la destruction des droits sociaux collectifs au profit d’une individualisation sans précédent ;
  • l’inscription dans une logique d’inversion de la hiérarchie des normes au profit d’une régulation au niveau des entreprises ;
  • et enfin le transfert de la responsabilité des employeurs vers celle des salariés.
Est promu dans ce texte, un glissement du salarié en travailleur indépendant, artisan de ses qualifications et compétences, coupé de l'entreprise, occupant plusieurs emplois, avec pour unique recours un soi-disant « filet de sécurité » que le rapport se garde d’ailleurs bien de définir.

À travers des doses homéopathiques distribuées ici-et-là, on assiste ainsi à une véritable injonction de devenir « entrepreneur de soi-même ».

Cette individualisation qui prend forme à travers la construction d’un socle de droits attachés à la personne au détriment de droits collectifs, peut conduire également à remettre en cause le fonctionnement et le financement de la Sécurité sociale collective et généralise une inégalité de droits en renvoyant sur le salarié devenu indépendant la responsabilité de s'en sortir et de se protéger seul.

La confédération FO s’oppose fortement à cette vision et dénonce en parallèle l’utilisation croissante et parfois frauduleuse tant du statut d’auto-entrepreneur que de travailleur indépendant, permettant à l’employeur de transformer la relation salarié/employeur en prestataire individuel/donneur d'ordres, l'entrepreneur individuel supportant alors les dépenses fiscales et sociales de son nouveau statut pour une rémunération similaire (voire inférieure) le conduisant injustement à la précarité.

De manière générale, le rapport évite de préconiser toute législation ou tout cadre national au profit d’un traitement au cas par cas, entreprise par entreprise.

C’est le cas par exemple de nouveaux enjeux tels que « le droit à la déconnexion » ou de la mise en place de chartes d’entreprises visant à réguler l’usage des outils numériques.

Or, on ne peut renvoyer sur le niveau de l'entreprise au détriment d’un encadrement national, la responsabilité de préciser les droits et obligations des salariés ; cela répondrait d'une inversion de la hiérarchie des normes conduisant à une inégalité généralisée pour les salariés.

La troisième grande tendance du rapport consiste à transférer les responsabilités de l’employeur notamment en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail vers les salariés, en tant qu’individus.

Les préconisations visant à instaurer un « devoir de déconnexion » individuel, à développer l’évaluation des performances individuelles, à adapter la politique de rémunération dans l’entreprise à la notion d’efforts personnels d’adaptation ou encore à mesurer la charge de travail de chaque salarié, s’inscrivent toutes dans cette logique de transfert de responsabilité.

Enfin, l’utilisation d’outils, qui devraient être destinés à assurer de manière collective des droits nouveaux aux salariés, à l’instar du compte personnel d'activité ou du forfait-jours, comme l’utilisation de notions floues non définies juridiquement (tel que le droit à la déconnexion ou la charge de travail) risquent de servir de colonne vertébrale afin d’accroître la flexibilité, de déroger davantage aux durées de travail maximales ainsi qu'aux temps de repos des salariés et d’individualiser ainsi les droits au détriment du collectif, en utilisant comme prétexte les évolutions du numérique et ses spécificités.

En sortie de ce rapport et des inquiétudes qu’il génère, il est essentiel de suivre attentivement l’écho qui sera donné par le gouvernement à l’ensemble de ces préconisations, notamment dans la « feuille de route sociale » du gouvernement à l’issue de la conférence sociale du 19 octobre 2015, qui consacre une table ronde au numérique et à l’occasion de laquelle notre organisation fera valoir ses positions, analyses et revendications.

Par ailleurs, en lien avec les fédérations, la confédération a entamé un travail tant réactif que prospectif sur les évolutions liées au numérique afin que celui-ci demeure un vecteur de progrès social.
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