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26 / 06 / 2014 | 8 vues
Rémi Aufrere-Privel / Membre
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La bataille du rail (réforme ferroviaire - 2ème partie) : juillet 2013-décembre 2013, concertation officielle et discrètes négociations...

 « J'ai bien entendu vos expressions mais vous n'êtes pas devant M. Mariani »...

En répliquant ainsi à la CGT cheminots le 2 juillet 2013, Frédéric Cuvillier, ministre des Transports, répondait fort à propos à la déclaration très vindicative de cette organisation qui a utilisé son accent habituel d'opposition au principe de la réforme envisagée par le gouvernement Ayrault.

Voir le premier épidode de la bataille du rail ici

Nul doute qu'une satisfaction discrète a parcouru une partie des représentants syndicaux du secteur ferroviaire devant cette saillie ministérielle d'une logique imparable. Car en choisissant l'affrontement verbal direct, dans le droit fil du dictionnaire habituel de l'organisation CGT la plus « traditionnaliste » (sic), le décor était déjà planté.

Toutefois, on ne pouvait imaginer que cette expression allait se concrétiser jusqu'à la situation politique calamiteuse du printemps 2014.

Avec une certaine intelligence politique, le ministre a accepté dans le projet gouvernemental la proposition de la CFDT d'inscrire le principe de hiérarchie des normes du travail. Ce qui a permis de limiter la possibilité de la construction d'une unité syndicale sous la direction habituelle (voire automatique depuis cinq à six décennies) de la fédération CGT cheminots.

En cette année 2013, la marque concrête de la « vraie unité syndicale » (c'est-à-dire les quatre syndicats représentatifs à la SNCF, CGT, UNSA, SUD Rail et CFDT) a été la grève de 24 heures qui a connu un vrai succès avec près de 40 % de grévistes, tous métiers confondus, dans l'EPIC SNCF. Il est vrai que les mots d'ordre ont été définis assez clairement, sans risque de trop grandes interprétations sur les revendications mêlant des demandes relevant des fortes inquiétudes récurrentes et un questionnement sur le projet de loi de réforme ferroviaire ainsi que l'avenir du statut des cheminots et de la future CCN du secteur ferroviaire.

Les concertations informelles sur la création de la commission mixte paritaire nationale du projet de CCN du secteur ferroviaire ont été poursuivies (ouverture au printemps 2013) sous la houlette de jean Bessières (président proposé par les ministères du Travail et des Transports) ont occupé l'ensemble des syndicats présents dans une ou plusieurs entreprises ferroviaires (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, FO, UNSA, SUD Rail).

Même s'il a été rappelé qu'il n'y avait pas de lien direct entre le projet gouvernemental et le projet de CCN, chaque organisation a compris qu'il était nécessaire de sécuriser l'essentiel de la règlementation du travail applicable dans l'EPIC SNCF. Or, cette sécurisation devra être mise en débat presque en parrallèle avec la négociation sur le temps de travail de la future CCN.

Après le mouvement social de juin 2013, la CFDT cheminots propose aux autres syndicats représentatifs de débattre d'un ensemble de revendications essentielles visant à corriger les manques et imprécisions inquiétantes dans le projet de loi du gouvernement diffusé aux organisations syndicales. Il s'agissait alors de définir des principes revendicatifs non interprétables selon les syndicats dans la plus grande clarté possible.

Cette proposition de la quatrième organisation syndicale représentative à la SNCF n'a recueilli aucune attention de la part de la CGT cheminots comme de l'UNSA ferroviaire. Concernant cette dernière, il est vrai que ses dirigeants nationaux avaient refusé par leur silence (à plusieurs reprises) de rencontrer informellement les dirigeants de la CFDT cheminots durant tout le premier semestre 2013. Cela augurait mal de la recherche d'un accord entre organisations favorables à un nouveau dialogue social dans l'entreprise publique en dehors de la CGT cheminots.

Quand à SUD Rail, elle a défendu son expression syndicale de façon particulièrement argumentée, distillant à la fois des vérités avec une analyse marxisante de la situation européenne. Ce qui a expliqué la longueur importante de son discours face à Frédéric Cuvillier.

En ce millieu d'année 2013, on a très vite compris que la vieille stratégie syndicale « tous derrière la CGT cheminots » allait reprendre force et vigueur.

Progressivement, à partir de septembre, la CFDT cheminots n'a plus été invitée aux rencontres interfédérales rituelles autour de la CGT.

La nouvelle « unité syndicale cheminote » s'est dessinée à trois : CGT, UNSA et SUD rail.

Durant les 9 derniers mois de 2013, les rencontres entre le futur président de la CMPN (future branche ferroviaire) Jean Bessières et toutes les organisations comportant une représentation dans une ou plusieurs entreprises du secteur (CFDT, CGT, CFTC, CGT-FO, CFE-CGC, SUD rail et UNSA) se sont poursuivies.

Le dialogue social a aussi connu une activité intense avec les quatre organisations syndicales (CGT, UNSA, SUD rail et CFDT) par l'instauration de quatre groupes de travail « inter-entreprises SNCF-RFF » visant à étudier les conditions de l'harmonisation des conditions sociales des salariés de Réseau Ferré de France et le personnel contractuel (référentiel SNCF RH 254). Avec le soutien technique du cabinet Secafi, les syndicats représentatifs à la SNCF et à RFF ont entrepris un travail comparatif sur l'ensemble des conditions contractuelles des salariés. Un cinquième groupe de travail a été créé, à la demande de la CFDT, pour les classifications, parcours professionnels et déroulement de carrière.

Cette démarche était assez innovante car la représentation syndicale à Réseau Ferré de France est fort différente de celle de l'EPIC SNCF. Avec 53 %, la CFDT détient la majorité absolue. L'UNSA est loin derrière (29 %) et la CFE-CGC est représentative.

Le syndicat majoritaire « cédétiste » travaille en coopération avec la CFE-CGC RFF. Celle-ci est dans une alliance stupéfiante (contre-nature par rapport aux orientations « réformistes » de cette organisation) avec FO SNCF, dont le contrôle total par la mouvance politique de l'extrème gauche « lambertiste » (POI ex-PT) est de notoriété, contractualisation due à la nécessité de disposer de temps syndical.

Contrairement aux relations intersyndicales à la SNCF, la CFDT entretient des contacts réguliers et de qualité avec l'UNSA RFF.

L'unité syndicale cheminote « à 3 » (CGT, UNSA et SUD rail) a été concrétisée par un mouvement de grève le 12 décembre 2013. Toutefois, il faut préciser que de l'UNSA a été grandement fragilisée par une majorité extrêmement réduite lors de sa prise de décision en bureau national de la seconde organisation à la SNCF.

La CFDT a poursuivi sa stratégie d'amélioration du projet de loi en ne cessant pas ses contacts réguliers tant avec le cabinet du ministre des transports, les directions de RFF et SNCF ainsi que quelques élus politiques nationaux. À compter de septembre 2013, la CFDT cheminots et RFF se sont engagés dans l'étude et l'écriture de propositions d'amendements au projet de loi et la définition de revendications communes CFDT RFF et SNCF dans le cadre des travaux comparatifs.

Durant les réunions des groupes de travail SNCF-RFF, la CGT (avec l'UNSA et SUD rail) s'est employée à préciser à de nombreuses reprises qu'il ne s'agissait pas de réunions de « négociation » mais d'établir un comparatif des deux entreprises. Les directions des deux établissements publics ont confirmé une « préparation à la négociation » par l'observation attentive des acquis sociaux des salariés.

Remarquer que les avantages des salariés de RFF n'étaient pas en retrait par rapport à ceux de la SNCF s'est également révélé très instructif. Avec 31 jours de congés de paternité, un accord d'intéressement et l'accès aux chèques-déjeuners (hors siège RFF disposant d'un bon restaurant d'entreprise), nul doute que la qualité de salariés contractuels de la SNCF est à relativiser sur certains points.

Cela a aussi été l'occasion pour la CFDT d'un affrontement politique contre le positionnement CGT cheminots consistant à proclamer qu'en dehors de la grande SNCF, les cheminots qui allaient intégrer le futur EPIC SNCF réseau (cadre de la future loi ferroviaire) n'avaient rien à gagner devant l'équilibre des droits SNCF actuel.

L'année 2013 s'est terminée le 21 décembre avec la réunion officielle d'installation de la commission mixte paritaire nationale de la branche ferroviaire. Un premier débat a été lancé sur un projet d'accord de méthode préalable pour le bon fonctionnement de cette nouvelle instance et des réflexions sur le futur périmètre du secteur ferroviaire.

Chaque organisation syndicale s'est employée à défendre les conditions applicables actuelles à la SNCF notamment sur la règlementation du temps de travail (RH 077). Une bonne occasion pour la CGT de confirmer qu'elle voulait une autre réforme que celle proposée par le gouvernement, sa « voie du service public » tout en citant l'exemple désastreux de fret SNCF et du désintérêt (et de l'hypocrisie) de l'EPIC pour la précédente négociation de la CCN du fret ferroviaire privé (plusieurs parties ayant connu des arrétés ministériels d'extension, notamment sur le temps de travail).

Ce qui ne manquait pas de culot dans la mesure où seul des quatre syndicats représentatifs à la SNCF, la CFDT a décidé d'exercer son droit d'opposition en 2008 sur la partie négociée temps de travail.
 
La CGT cheminots a décidé de ne rien faire ! Elle a montré ici une analyse auto-centrée sur la seule SNCF, ce qui a permis d'aggraver le dumping social entre fret SNCF et des entreprises privées telles qu'Euro Cargo Rail (filiale du groupe allemand DB). Précisons que cette décision n'a pas été unanime au sein de la direction nationale de l'organisation « cégétiste ».

Fin 2013, le théatre des opérations sociales a ainsi été planté :

  • une CGT arc-boutée sur sa « voie du service public » ;
  • une UNSA fragilisée par une très mince majorité (1 voix) sur la décision de participation à la grève du 12 décembre 2013 malgré la répétition sur son appartenance au camp « réformiste » tel un trouble idéologique persistant dans une confusion entre soutien à la syndicalisation du personnel d'exécution et un encadrement syndical composé historiquement (très majoritairement) par des cadres SNCF ;
  • une organisation SUD rail poursuivant son refus plein et entier d'une réforme envisageant la création d'une holding publique, quelles que soient les conditions, objection totale assumée par une argumentation méticuleuse et politiquement très marquée ;
  • une CFDT maintenant une stratégie de critique argumentée autour de revendications et de propositions d'amendements à soumettre  à la représentation nationale et au ministre ;
  • quant à l'organisation FO non-représentative nationalement (mais représentative sur plusieurs régions SNCF, dont celle de Paris nord, bastion historique), elle a proclamé la nécessité du retour à une nationalisation complète de la SNCF revenant sur les bases de 1938 et 1946, nouant définitivement avec la doxa trostkyste de cette organisation dans une idéologie à l'écart des évidences sociales et économiques.
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