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16 / 12 / 2013 | 3 vues
Didier Cozin / Membre
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La réforme de la formation, bis repetita

Depuis des années les pouvoirs publics tentent avec force accords interprofessionnels et lois de réformer de la formation.

Suite à l'accord signé le 14 décembre 2013, on constate une fois de plus que les défauts qu'on prétendait combattre seront sans doute renforcés par la future règlementation.

Pourquoi une telle résistance au changement ?
La formation tout au long de la vie fait malheureusement partie d’un écosystème éducatif qui se porte très mal en France. Prétendre changer la formation sans prendre en compte nos rapports aux apprentissages est voué à l’échec car :

  • l’éducation nationale dérive depuis de nombreuses années, entraînant tout le pays dans la médiocrité et la « mal formation » ;
  • l’absence d’anticipation nous empêche de nous projeter dans l’avenir et de consentir à de réels efforts éducatifs durables (collectifs mais aussi individuels) ;
  • notre pays conserve sa vision élitiste du savoir et de la qualification ; il n’y a pas ou très peu d’argent pour former les moins qualifiés.
Comme nous ne parvenons rien à changer, nous ne cessons de règlementer et de légiférer pour des résultats à peu près nuls.

En 2001, c'était la VAE (toujours marginale dans un pays qui ne croit guère à la formation tout au long de la vie) ; en 2003, le DIF (empêché de se développer pour des raisons financières) ; en 2009 le SPO (service public de l’orientation), dispositif bâclé et déjà oublié ; en 2013, le cœur de la réforme est le CPF (compte personnel de formation). Un réceptacle d’heures, inventé en janvier 2013 lors de difficiles négociations sociales. Le CPF devant incarner une flexisécurité à la française.

Ce dernier accord, conclu le 14 décembre, ravira peut être certains spectateurs de la chose sociale (« un accord majeur » selon le président) mais  sur le terrain du travail, dans les entreprises, les salariés et les acteurs de la formation pourraient très vite déchanter quand il s’agira d’interpréter la complexe et peu intelligible partition composée dans la nuit du 13 au 14 décembre 2013.

Il est naïf de penser qu’un dispositif aussi improvisé et mal né que le CPF pourra changer quoi que ce soit à la formation en France et nous allons tenter d’expliquer pourquoi.

Trois promesses avaient permis de signer l’accord de janvier 2013 pour le CPF.
  • « Il est universel : toute personne dispose d’un compte personnel de formation dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à son départ à la retraite ».
  • « La transférabilité n’emporte pas monétisation des heures. Les droits acquis demeurent comptabilisés en heures, quel que soit le coût horaire de la formation ».
  • « il est instauré dans les 6 mois de l’entrée en vigueur du présent accord ».

Malheureusement, il n’en a rien été et on découvre, le 14 décembre que :
  • le CPF n’est pas universel puisque les seuls salariés et demandeurs d’emplois auront la possibilité de l’utiliser pour se former ;
  • le coût horaire restera limité du fait d’un financement très faible (0,2 % de la masse salariale, voir nos explications plus loin) ;
  • il ne sera pas mis en œuvre avant le 1er janvier 2015, donc deux ans après l’entrée en vigueur de l’accord.

Le compte personnel de formation oscillera de fait entre un « sous-CIF » et un « DIF moins ».

Examinons donc ce CPF à cœur ouvert, tel qu’il est inscrit dans l’ANI du 14 décembre 2013.

  • « Il est crédité de 20 heures par an pendant les six premières années, puis de 10 heures par an pendant les trois années suivantes et ne peut excéder 150 heures en neuf ans ».
Nos commentaires

Le compte de formation voit donc son taquet porté à 150 heures (contre 120 heures pour le DIF).

Même si cette augmentation du plafond d’heures peut sembler généreuse, le mode d’acquisition pose problème.

Par exemple, que signifient 20 heures d’acquisition durant les six premières années ?

  • Quand démarreront les compteurs de ces six ans d’acquisition, le 1er janvier pour tous, à la date anniversaire du DIF, lors de la promulgation de la future loi en 2014 ?
  • Durant les six premières années du contrat de travail chez un même employeur ?
  • Au cours des six premières années de la vie active (donc de 16 à 22 ans si le compteur est ouvert à 16 ans, comme stipulé dans l’accord) ?
  • Lors des six premières années de remplissage d’un nouveau compteur ?
Ce mode de calcul sera très complexe et lourd à réaliser pour 15 millions de salariés du privé (qui seront loin de tous bénéficier d’un CDI dans une seule entreprise pour la vie).

  • Les salariés précaires auront sans doute le plus grand mal à faire calculer leurs heures de formation (et que dire du CPF d’une femme de ménage avec 10 employeurs dans la semaine ?).
  • Personne n’indique à ce stade si c’est toujours l’employeur qui calculera les heures et les portera au crédit du travailleur (il est juste fait mention d’un service dématérialisé pour connaître le nombre d’heures de chacun).
  • Que se passera-t-il pour les personnes perdant le statut de salarié ou celles, plus nombreuses encore, qui passeront d’un statut à l’autre (ou mêleront les deux, comme les auto-entrepreneurs) ?
Pendant les trois années suivantes, les salariés n’acquerront plus que 10 heures par an.

Pour quelles raisons être passé à 10 heures et comment distinguer, par exemple, les premières années de capitalisation des autres pour un salarié à temps partiel qui bénéficiera de moins de 20 heures chaque année. Sera-t-il pénalisé parce qu’il travaille à temps partiel ?

L’accord précise que ce n’est plus employeur qui tient le compteur (comme pour le DIF) mais un service dématérialisé dont l’IGAS expliquait en novembre qu’il sera long et complexe à mettre en place.

Ce service national devra donc gérer durant les 50 ans d’une vie professionnelle en temps réels (tous les mois pour les précaires) les compteurs de près de 30 millions d’actifs avec des règles complexes et divergentes d’acquisition, d’abondement, de consommation et de réalisation.

Personne ne sait  encore qui accordera ou non la formation (dans le cas du DIF c’était l’employeur qui était seul responsable de la réponse sous 30 jours).

D’autres questions pour la mise en œuvre pratique restent ouvertes.
  • Quels seront les recours d’un salarié à qui on refuse une formation ? 
  • Quels critères pour l’accorder et surtout la financer ?
  • Quelles priorités pour quels employés ?
  • Que se passera-t-il en cas d’engorgement du système, de rupture des financements (actuellement le système du DIF est décentralisé et c’est à chaque employeur d’y répondre tout au long de l’année) ?

L’ANI reste muet sur tous ces points cruciaux et le Code du travail va ainsi devoir précisemment répertorier tous les cas de figures.

On va donc passer d’un système, certes perfectible mais décentralisé et responsabilisant l’employeur, à un système bureaucratique et centralisé et qui ne sera sans doute pas opérationnel avant de très nombreuses années (s’il l’est jamais).

Les financements de la formation

Avec le CPF et la réforme, nous n’assistons pas à un hold-up sur les fonds de la formation mais plus prosaïquement à la dissipation des fonds privés de la formation en même temps qu’à la liquidation d’une dette DIF qui était de près d’un milliard d’heures de formation.

« Les entreprises verseront chaque année à un « organisme paritaire collecteur agréé » (OPCA) une contribution unique, dont le produit sera affecté au financement de formations. Elle sera équivalente à 0,55 % de la masse salariale pour les entreprises comportant entre un et neuf salariés et à 1,0 %, dont 0,2 % dédié au CPF, pour celles de dix salariés et plus ».

Le CPF aura donc un financement consacré de 0,2 % de la masse salariale des entreprises de plus de dix salariés.

Sur ce point essentiel des financements du CPF, les partenaires sociaux vont donc octroyer à chaque salarié quelques 50 euros en moyenne pour se former chaque année. Le prix de deux manuels de formation.

  • Pourquoi 50 euros ?

En 2012, la masse salariale du secteur privé en France était de 514 milliards d’euros. Donc, 0,2% de cette masse salariale représentait 1 milliard d’euros mais, sachant que les TPE ne cotiseront pas et qu’elles représentent 20 % de l’emploi salarié, on arrive à un  montant maximal de 800 millions chaque année pour le CPF de 16 millions de salariés (et  5 millions de chômeurs).

La division est vite faite : 800 millions/16 millions = 50 euros par an et par personne.

Il existe donc un formidable écart entre l’objectif affiché en janvier 2013 : une formation libre d’accès et sans limite de prix pour chacun et le résultat au final qui est celui d’une somme ridiculement basse pour se former tous les ans.

Par la grâce de l’ANI du 14 décembre, le MEDEF a réduit une dette formation (le DIF jamais développé, ni financé depuis 2004) de 77 milliards d’euros (estimation de la Cour des Compte en 2009) à 800 millions d’euros par an.

Les temps de la formation

Les problèmes avec le CPF ne s’arrêtent pas à son financement.

À la différence du CIF, le CPF se fera (sauf rarissime accord de l’employeur) hors temps de travail et sans le règlement d’aucune allocation formation (le DIF impliquait le règlement d’une allocation égale à 50 % du salaire net en cas de formation hors temps de travail).

Si l’on prend donc les bénéficiaires potentiels de la réforme de la formation, soit 22 % des adultes (16 à 65 ans) insuffisamment qualifiés en France selon l’OCDE, ces personnes vont devoir se former sur plusieurs centaines d’heures (de 3 à 6 mois au moins) hors temps de travail (les vacances n’y suffiront pas) et ceci sans percevoir la moindre rémunération ou compensation financière.

On imagine que rares seront les caissières ou les femmes de ménage, gagnant moins de 1 000 euros par mois (car travaillant à temps très partiel) qui pourront consacrer 3 à 6 mois pour se former sans aucun dédommagement.

Ces personnes retrouveront-elles leur emploi après cette demi-année de formation (comme après un CIF) ? Rien n’est moins sûr.

Quant aux chômeurs, les stages longs et qualifiants ont-ils un intérêt s’ils ne débouchent pas sur un emploi ? À quoi bon être occupé à grands frais dans des stages parkings si l’emploi ne redémarre pas dans notre pays ?

Les conséquences de l’accord du 14 décembre 2013 nous semblent évidentes.

 

  • Une formation duale avec un confortable mais très rare congé individuel de formation (CIF): long, qualifiant, financé, rémunéré et sécurisant pour les 35 000 salariés en bénéficiant.
  • Un CPF non financé, instable, non rémunéré et ne dépassant pas 150 ou 200 heures pour les autres personnes moins chanceuses malgré leur reconversion professionnelle (licenciées ou demandeurs d’emplois).
  • Des organismes collecteurs (OPCA) dont les rentrées d’argent seront doublées (passant de 0,5 % obligatoire à 1 % de la masse salariale), sans aucune garantie pour les travailleurs d’une meilleure utilisation des fonds.

En guise de conclusion et sans préjuger de la qualité du débat parlementaire (accéléré) de février prochain, nous pouvons conclure que la grande réforme de la formation est déjà un échec. Comme celle de 2009, elle ne corrigera en rien la situation des apprentissages en France mais pourrait retarder de quelques années notre entrée dans la formation tout au long de la vie.

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