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23 / 09 / 2013
Didier Cozin / Membre
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La formation tout au long de la vie au chevet de la société industrielle - volet I

Volet I : la rareté et la complexité en formation

Parmi les innombrables critiques adressées à la formation professionnelle, celles concernant la complexité et le faible développement des formations sont récurrentes. Ces critiques nous semblent injustes car les errements et difficultés constatés le sont en grande partie du fait de l’État qui, ici comme ailleurs, s’est ingénié à rendre le traitement des dossiers complexe et périlleux.

Plutôt que de critiquer pour encore réformer la formation, nous souhaitons démontrer dans ce premier volet d‘une série de trois que l’État, sa réglementation dépassée, ses contrôles tatillons, son Éducation nationale en perdition, sont devenus le véritable nœud des problèmes éducatifs du pays.

Le Président de la République promettait jadis un choc de simplification administrative, les pouvoirs publics devraient expérimenter préalablement à la réforme ce choc de simplification tant vanté (il suffirait de mettre fin dès cette année aux déclarations 2483 des entreprises, aux bilans pédagogiques et financiers des OF et au système bloquant de déclaration d’activité des organismes de formation).

Brossons tout d’abord un petit rappel historique des grandes étapes de la formation moderne en France.

  • Saison 1 : 1971, la formation devient une obligation nationale et une cotisation obligatoire.

En juillet 1971 Jacques Chaban-Delmas (et son conseiller à la formation, Jacques Delors) fait voter la première loi moderne sur la formation professionnelle. La loi de 1971 institue le 1 % formation (en fait, 0,8 % de la masse salariale pour les entreprises de plus de 10 salariés). La cotisation est assise sur la masse salariale, l’entreprise devant s’en acquitter directement à l’État (une sorte d’impôt) ou en dépensant cette somme dans des formations (on parle d’imputabilité). La cotisation devait atteindre 2 % de la masse salariale à terme.

Le marché de la formation professionnelle continue peut dès lors naître et se développer.

  • Saison 2 : les années 1980. Le chômage change le rôle et les missions de la formation.

Le chômage et la crise ont poussé notre pays à confier de nouvelles missions à la formation. Elle ne servirait plus exclusivement aux besoins de l’entreprise mais aussi à accompagner et à organiser les reconversions professionnelles.
Le développement personnel, le coaching et les accompagnements individuels ont vu le jour dans contexte d’une économie mobile et de plus en plus exigeante professionnellement. Les reconversions se sont multiplié (avec les CIF et les bilans de compétences notamment) mais aussi malheureusement les stages parking destinés à « traiter » socialement le chômage (on garde le plus longtemps possible les jeunes à l’école, on les occupe dans des stages ou des emplois sans réelle valeur ajoutée et on envoie les seniors en préretraite). 

  • Saison 3 : les années 2000, l’éducation devient un trésor.

En 1996, Jacques Delors signe pour le compte de l’UNESCO un rapport intitulé « L’éducation, un trésor est caché dedans », ce rapport est considéré comme le point de départ de la formation tout au long de la vie.
Dès lors qu’internet et les télécommunications prennent l’essor qu’on connaît (mettant en concurrence non plus seulement les produits et les services mais aussi les hommes et leurs compétences professionnelles), c’est par la formation et l’éducation que les économies européennes seront capables de se développer.

Quatre ans plus tard, en mars 2000 au sommet de Lisbonne, les 15 de l’Union européenne engagent la stratégie de Lisbonne (préparer la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance,  moderniser le modèle social européen).

Trois ans plus tard, la France est parvenue à un accord unanime des partenaires sociaux (ANI du 20 septembre 2003) pour engager une réforme de la formation (devenue à cette occasion « formation tout au long de la vie »). La formation reste bien évidemment une ardente obligation pour le pays et les salariés doivent viser un niveau de qualification supplémentaire mais ils peuvent désormais maintenir leur employabilité et développer leurs compétences via un dispositif nouveau et révolutionnaire, le DIF.

 Le droit individuel à la formation est doté de 2 objectifs :

  • mieux répartir l’effort de formation (dont 50 % des budgets allaient aux 6 % des travailleurs les plus qualifiés) entre tous les salariés (un peu comme les congés payés) ;
  • inciter chacun à devenir acteur de sa professionnalisation (une quête jamais achevée dans la société de la connaissance et de l’information).

On constate donc par ce rapide tour d’horizon que la formation est passée en 40 ans d’un simple ajustement au travail  (on forme l’organisation en priorité) à un nouveau droit individuel du travailleur : celui de se former et d’apprendre tout au long de la vie.

Hélas, les atermoiements sociaux habituels et la crise de 2008 ont repoussé le développement du DIF aux calendes grecques, notre pays n’ayant guère préparé son avenir (et se contentant souvent de croiser les doigts), s'est trouvé sans capacités financières pour développer la formation de tous.

Aujourd’hui encore, le monde du travail est tiraillé entre diverses tensions et contraintes, sociales, éducatives et financières :

  • préparer l’avenir en investissant sur le long terme (le capitalisme lent, dixit Jacques Attali) ;
  • développer la compétitivité des  organisations tout en maintenant l’employabilité de chacun ;
  • requalifier les millions de travailleurs qui n’auraient pas été formés (contrairement à une légende tenace, l’absence de formation concerne aussi de nombreuses « grandes » organisations, parfois comptant des dizaines de milliers de salariés ;
  • accompagner des millions de travailleurs en reconversion professionnelle ou en situation de mobilité (contrainte ou volontaire) ;
  • intégrer les nombreux jeunes qui quittent le système scolaire avec un bagage éducatif faible ou dégradé (entre 900 000 et 1 million de jeunes sont abandonnés, à la dérive sans éducation, sans formation ni travail) ;
  • garder en emploi les seniors qui ne doivent plus se retrouver sur la touche à 50 ans.

Les missions de la formation ont donc évolué mais malheureusement, ni les budgets ni le cadre réglementaire n’ont changé.

  • La formation est toujours assimilée à un impôt que l’État contrôle à tous les niveaux (collecte, utilisation des fonds, réalisation des formations, bilans divers et variés etc.).
  • La formation reste au niveau de l’entreprise une charge courante, pas un investissement au niveau comptable.

Dès lors, dans ce cadre contraint et lourd, la simple mise en œuvre d’une action de formation relève de l’exploit dans nombre d’organisations (publiques comme privées).

L’IGAS et Pôle Emploi découvrent aujourd’hui (cf rapport de juin 2013) qu’organiser des formations pour les demandeurs d’emplois est long, complexe et difficile. C’est le lot commun de toutes les entreprises depuis des années, entreprises qui doivent se débattre entre les contraintes du travail (les 35 heures auraient du permettre de se former mais il n’en a rien été), des financements (la mutualisation fonctionne mal) de la faible appétence de certains personnels, d’une offre formation bridée et pas toujours adaptée (trop chère, trop peu flexible, trop peu innovante du fait de la législation en vigueur).

Un grand nombre de ces contraintes et difficultés sont dues à un État qui, au tournant des années 1990, n’a pas su s’effacer, rester discret et bienveillant face au développement de la formation dans les entreprises.

En 2012, le Président de la République a souhaité un choc de simplification. En formation continue des adultes, ce sera un préalable avant toute réforme réelle.

Pour que la formation se développe et devienne aussi naturelle que les congés payés, il faudra :

  1. conserver le droit individuel à la formation qui seul est porteur de sens et connu de 95 % des salariés ;
  2. faire du DIF un droit opposable (comme pour le DIF portable), toujours financé par l’employeur mais réalisé hors temps de travail, sur le temps libéré par les 35 heures ;
  3. transformer le Compte Personnel Formation en un simple compteur formation qui prendra le relai de l’employeur pour comptabiliser les heures de formation cumulées par les salariés et leur règlement financier des formations ;
  4. ne plus considérer la formation comme un impôt et laisser les entreprises totalement libres de financer les formations dont elles ont besoin pour leur activité ;
  5. mettre au même niveau les cotisations formation de toutes les entreprises, quelle que soit leur taille et abaisser les cotisations de chômage de celles qui forment réellement et régulièrement tous leurs salariés ;
  6. conserver les prélèvements de 0,2 % pour les CIF et de 0,5 % pour la professionnalisation via les OPCA avec l’obligation de réaliser ces formations à 50 % sur le temps non travaillé ;
  7. réserver ces financements mutualisés aux seuls travailleurs sans aucune qualification ;
  8. abaisser le taux de TVA sur les actions de formation professionnelle à 2,1 % (comme la presse) car de nombreux travailleurs vont devoir financer leur formation dans les prochaines années (en Allemagne, 36 % des dépenses de formation sont déjà assurées par les particuliers, seulement 4 % en France) ;
  9. raccourcir les délais de départ en formation à 30 jours maximum entre la demande auprès d’un organisme de formation et la réalisation de la formation (la commande devrait être faite en ligne via un système sécurisé) ;
  10. adopter un système simple pour répertorier et classer sur internet les organismes de formation et les OPCA via une plateforme où les utilisateurs (entreprises, administrations, travailleurs) noteront en toute liberté les formateurs, les sessions de formation, comme les organismes de formation pour les services effectivement rendus.

La formation a besoin d’entrer dans le XXIème siècle des réseaux et d’internet. Elle ne peut demeurer ce service luxueux, encombré de papiers et de formulaires, contingenté et réservé aux seuls salariés les plus qualifiés.

Nous expliquerons dans un second volet la semaine prochaine pourquoi la responsabilisation (des salariés comme de leur employeur) va désormais être au cœur de la formation dans les prochaines années.

Signez et faites signer la pétition « Ne touchez pas à mon DIF ».
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