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14 / 01 / 2010 | 1 vue
Thierry Amouroux / Membre
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Maltraitance ordinaire à l’hôpital du fait du manque de moyens et des suppressions de postes de soignants

Traiter un malade en tant qu'être humain est plus facile à envisager qu’à mettre en pratique jour après jour. Or, c’est dans la gestion de leur vie quotidienne que les malades sont les plus perturbés. Ils perdent en effet tout ce qui fonde habituellement leur identité (leurs statuts sociaux conférés par leur état civil, leur profession, leur appartenance à différents groupes), pour endosser « l’identité maladie » qui envahit tout leur champ spatial, temporel et relationnel.

Caractère intimiste de la relation

Respecter un malade, c’est d’abord respecter son nouveau territoire, par exemple en frappant avant d’entrer dans sa chambre d’hôpital (en lui laissant par ailleurs le temps de se préparer à cette intrusion). C’est ne pas voir deux soignants poursuivre leur conversation privée dans la chambre, comme si la personne hospitalisée n’était pas là. Respecter la personne malade, c’est bien respecter son intimité.

L’une des spécificités de la relation soignant/soigné est précisément son caractére intimiste. La démarche soignante vise à réintroduire ou conserver ce qui caractérise un malade et nous entraîne nécessairement dans une relation d’intimité. Vivre cette relation soignante intime, c’est être introduit dans le monde de la personne malade, être le témoin de sa nudité, assister aux manifestations de son désarroi, toucher et manipuler ce corps qui ne se livre habituellement qu’à des mains maternelles ou amoureuses.

Respecter l’autre, c’est alors s’efforcer d’être le dépositaire bienveillant et attentif de ses réactions et manifestations. Ce caractére d’intimité est par conséquent indissociable de la notion de respect. Ceci ne s’explique pas, ne se démontre pas.

Le véritable lieu de la discussion morale


Pouvons-nous cependant parler de respect de la personne malade, de sa liberté, de son droit de disposer d’elle-même, lorsque nous nous substituons à sa volonté pour décider à sa place de ce qui lui convient ? Lorsque nous nous dérobons pour échapper à ses interrogations. Lorsque nous décidons de sa destinée sans qu’elle puisse intervenir. Et tout cela, le plus souvent, au nom de l’organisation, de l’ordre, du réglement etc.

Il y a dans le quotidien de nos pratiques des maniéres de faire, des habitudes qui ne nous choquent même plus et qui sont pourtant en contradiction avec notre idéal. Que dire, par exemple, des soins qui sont dispensés systématiquement, sans se soucier de savoir ce qu’ils signifient pour le malade (comme la pesée systématique ou la tournée des « pouls, tension, température » trois fois par jour) ?

  • Pour faciliter le fonctionnement d’un service, ou l’organisation des soins, on n’hésite pas à sacrifier le confort du malade. Les repas du soir sont ainsi souvent servis vers dix-huit heures, voire dix-sept heures. Dans combien de services les malades sont-ils réveillés à six heures du matin pour la prise de température systématique, alors que les premiers médecins n’arrivent pas avant neuf heures ? Et que dire des « petites tortures » que l’on peut faire subir aux malades lors de la pose de perfusion ou de prises de sang exécutées par des mains inexpertes et maladroites d’étudiants ? Certes, il est indispensable d’initier les futures infirmières aux techniques de soins, mais jusqu’à quel point peut-on considérer le malade comme un cobaye ?


Pour Paul Ricoeur, « les vrais problèmes commencent avec les exceptions et les excuses. Toutes les cultures ont été confrontées à cela : trouver quelles sont les régles pour supprimer les régles. Voilà la véritable éthique : les vrais problèmes, qui ne sont pas noirs ou blancs, pour ou contre, mais qui sont toujours dans l’entre-deux. L’entre-deux est le véritable lieu de la discussion morale ».

La relation soignant-soigné, c’est donner du sens


Le respect de la volonté d’un malade peut parfois être bafoué du fait du manque de personnel : celui que l’on fait attendre pour avoir le bassin, ou pour être recouché alors qu’il est fatigué par des heures de fauteuil. La personne âgée que l’on améne de force dans la salle de restaurant alors qu’elle ne veut pas prendre son repas avec les autres ce jour-là etc. Pourtant, même lorsque l’on ne dispose pas toujours des moyens nécessaires, on peut toujours rendre les choses plus supportables : c’est dans la détresse que l’on est le plus sensible au poids d’un mot, d’une intonation, d’un regard, d’un sourire, d’un silence, d’une main sur la main.

Un soignant doit donner du sens à un acte technique afin de le rendre acceptable pour le malade. C’est toute la différence entre l’acte réalisé sur le corps objet, et le sens qu’il peut prendre pour la personne soignée au travers de son corps sujet. Ainsi, la toilette ne consiste pas seulement à rendre le malade propre, mais à lui apporter soin et bien-être, en essayant de faire en sorte que cette toilette prenne un sens pour elle, dans sa vie propre. En effet, nombre de malades ont tendance à moins se laver, à ne pas s’habiller, à se négliger à l’hôpital, non qu’ils n’en aient plus les capacités physiques, mais parce que cela n’a plus de sens à leurs yeux.

Alors que certains les opposent, il faut considérer qu'administrer des soins et prendre soin sont des notions complémentaires. L’habileté technique est un préalable indispensable, car on ne peut entrer en relation qu’avec quelqu’un en qui l’on a confiance, mais la prestation infirmière est surtout présence et écoute authentique. L’infirmier ou l’infirmière, debout et dans un uniforme blanc, est là avant tout pour rappeler à la personne, allongée et affaiblie, que cette différence ne lui retire pas sa citoyenneté, qu’il est avant tout un être humain, reconnu comme tel. L’accompagnement véritable consiste à faire un bout de chemin avec le malade, aller à sa rencontre sur le chemin qui est le sien.

Soigner, c’est libérer, c’est faire renaître, et retrouver l’espérance. C’est aider celui qui souffre à sortir de son isolement, à bâtir un projet de vie compatible avec son état. C’est refuser une relation infantilisante et paternaliste, en aidant l’autre à redevenir adulte. C’est offrir des choix et tenter de les faire accepter.

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