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28 / 12 / 2009 | 196 vues
Ariel Dahan / Membre
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Le marin devient un salarié comme les autres

La dernière réforme applicable au droit du travail maritime clôt une période de stabilité exceptionnelle de 80 ans, période pendant laquelle le statut du marin, s’il a évolué dans son approche jurisprudentielle, n’a pas fondamentalement varié.


Cette solution ressemble terriblement au système de recrutement abrogé par Colbert plus de 340 ans plus tôt.La tendance est à l’harmonisation des différents régimes de droit. En témoigne la dernière réforme du Code du Travail maritime, que constitue l’ordonnance de juin 2009, qui applique au droit maritime la réforme du droit du travail de 2008, (sur la rupture conventionnelle), et qui crée un droit très important pour le marin engagé à durée indéterminée : le droit au licenciement et l’obligation de motivation du licenciement. Les premières applications ne se faisant pas attendre.

Et la mondialisation du marché du transport maritime entraîne également des conséquences normatives, par la création du registre international français, registre qui entraîne de facto une évolution de la définition de « marin » vers celle de « navigant » et qui permet aux armements français de recourir à des sociétés de manning dont les salariés ne sont plus liés à l’armement, mais sont à nouveau placés sous la subordination d’un tiers qui les met à disposition de l’armateur.

Progrès ou réalisme économique ? Toujours est-il que cette solution ressemble terriblement au système de recrutement abrogé par Colbert plus de 340 ans plus tôt… À ceci près que le statut des marins a été uniformisé par l’Organisation Internationale du Travail et que le marin engagé par l’entreprise de manning a l’assurance de droits minimums.

Certes, les ordonnances de Colbert sur le commerce de mer ont vécu. Certes, elles ne sont plus en vigueur. Mais l’idée qu’a fait passer Colbert dans son contrat d’engagement maritime s’est maintenue 340 ans, à savoir que le marin est un salarié extra-ordinaire.

Le contrat d'engagement maritime

Le contrat d’engagement maritime est très certainement le premier contrat de travail « écrit ». Il a toujours été revêtu d’un formalisme particulier, qui a hésité entre formalisme de protection et formalisme d’ordre public. Mais il est très rapidement devenu un formalisme de protection du marin, un formalisme « ad probationem ».

L’armateur ne pouvant théoriquement rien exiger du marin qui ne soit prévu à son contrat de travail. Les relations entre le marin et l’armateur oscillent régulièrement entre deux conceptions, deux méthodes de recrutement : celle du « manning » et celle du lien contractuel direct avec l’armateur-employeur.

On trouve les traces de ce balancement dans les ordonnances de Colbert sur le commerce de mer (1665 et 1668) qui consacrent la première réglementation française écrite. Le fait que cette ordonnance ait survécu 300 ans à son auteur est significatif d’une volonté psychologique du législateur français, d’une prise de position volontariste, d’une philosophie de la matière.

  • Colbert fait passer le droit du travail maritime d’un système de recrutement arbitraire brutal assimilé à de la conscription et soumis à la pleine puissance de l’armateur et de ses recruteurs (système dit de « la Presse ») à un système ordonné, contrôlé par l’État centralisateur.

Ce système forme les marins, gère leurs conditions de travail et les met à la disposition des navires À cette époque, les expéditions maritimes sont soit des expéditions militaires par ordre du Roi, soit des « courses » de corsaires, sur lettre de marque, soit encore des expéditions commerciales, sur privilège royal. La liberté du commerce et de l’industrie ne sont pas encore à l’ordre du jour en France, et si le marin peut se sentir libre, ce n’est qu’après avoir largué les amarres. À quai, l’armateur au long cours n’exerce que sur autorisation royale. Il n’est donc pas anormal que l’État (dont la centralisation a commencé sous Louis XIII, et a été parachevée par Louis XIV) soit le seul gestionnaire du sort du marin.

Le marin, formé par lui, est mis alternativement à la disposition d’expéditions militaires ou commerciales. Il n’y a guère que dans la « Course » que les marins sont libres de leur sort. Encore faut-il rappeler que très souvent le corsaire finit sa carrière en pirate... Ordonnance du 17 septembre 1665, expérimentation du système des « Classes » de marins pour les gouvernements de La Rochelle, Brouage et Saintonge, étendue à tout le royaume par l’ordonnance pour l’enrôlement général des matelots du 22 septembre 1668.

La monarchie absolutiste de Louis XIV instaure les « classes » de marins, système d’enregistrement des marins prévoyant leur affectation en alternance une année sur les vaisseaux royaux et deux années à la pêche ou au commerce. Suivant les régions, les classes alternent à 3 ou 4. On peut considérer ce système comme étant la première administration de l’inscription maritime. Son rôle sera de déterminer les affectations des marins, de gérer les rôles d’équipage, de payer les soldes, de pourvoir à la formation, et de surveiller l’exécution du contrat de travail.

Considérée comme un avancement du droit du travail maritime, cette réglementation tient plus de l’organisme de manning que du recrutement. Il s’agissait en effet de réagir aux abus de recrutements de la Presse. Des sanctions très fortes furent imposées aux capitaines qui enrôleraient de force un marin. Cependant le marin n’est pas « libre » pour autant. Il doit servir et ne choisit pas son embarquement. Son temps de service est réparti entre un temps militaire et un temps commercial. Les exemptions de la classe sont mises en place comme des incitations au commerce (maintenir une flotte en état), ou à la formation des mousses et garçons de pont.

  • 1673 - Création de la « Caisse des Invalides de Marine »

Louis XIV, qui a instauré la première règle de sécurité sociale française à l’occasion de la construction de Versailles (pour prendre en compte le sort des manœuvres blessés sur le chantier) instaure de façon concomitante les premières règles de sécurité sociale de marins. Il est prévu une pension de ½ solde pour les blessés et les marins âgés.

  • 1681 – Création du contrat d’engagement

Très rapidement, le régime « intégrateur » mis en place atteint ses limites, et se met en place un lien contractuel direct entre l’armateur et le marin : le « contrat d’engagement », première ébauche de droit social. Ce contrat insiste sur la responsabilité de l’armateur envers le marin en cas d’accident ou maladie. Il consacre le transfert de cette responsabilité de l’État vers l’armateur.

Création de l’inscription maritime

  • Loi du 3 brumaire, an IV


Cette loi inspirée par la Révolution modifie très profondément les « classes » existantes et en fait un vrai service d’inscription maritime, qui devient vite une conscription nationale des marins.

Art. 2 - loi du 3 brumaire, an IV : sont compris dans l’inscription maritime :

  • les marins de tout grade et de toute profession naviguant dans l’armée navale ou sur les bâtiments de commerce ;
  • ceux qui naviguent ou pêchent en mer, sur les côtes ou dans les rivières jusqu’où remonte la marée ; et pour celles où il n’y a pas de marée, jusqu’à l’endroit où les bâtiments de mer peuvent remonter ; ceux qui naviguent sur des pataches, allèges, bateaux et chaloupes dans les rades et dans les rivières jusqu’aux limites ci-dessus indiquées.

Art. 10 : Tout marin inscrit sera tenu de servir sur les bâtiments et dans les arsenaux de la République, toutes les fois que cela sera requis.

Les classes passent à 4, et sont hiérarchisées par ordre de corvéabilité : célibataires, veufs, mariés sans enfants ou chefs de famille. Une classe n’étant réquisitionnée que si la précédente ne suffit pas à la demande.

Contrairement au système des classes de Colbert, les classes de l’inscription maritime ne sont donc pas des classes de « rôle » de travail, mais des classes de « conscription » et de priorité. L’inscription maritime est « volontaire », et il est possible de se faire radier, moyennant un préavis d’un an.

Mais le marin n’est toujours pas libre de son engagement. Il ne s’appartient pas, sauf pendant le temps où il n’est pas astreint à servir.

  • La loi prévoit des pensions d’invalidité et de veuvage. Et le salaire du marin peut être perçu directement par la famille à concurrence du tiers.

Cette « inscription maritime », hormis le caractère de conscription, ressemble fortement à l’inscription maritime moderne.

  • mai 1833

Un décret vient limiter la durée de service d’un marin à 3 ans.

  • 1835 : modification de la base de conscription.


Les classes sont réunies en une seule, sans distinction de catégorie. Et la levée des marins se fait à présent de manière permanente, tous les marins étant susceptibles d’être appelés à servir. Avec le retour de l’Empire, une vague de libéralisation du droit des marins intervient pour assouplir encore le temps de service « public » des marins :

  • Décret impérial du 30 septembre 1860 :

Ce décret limite le temps de service maximal normal à 6 ans.

  • Décret impérial du 25 juin 1861

Supprime les 4 classes et les remplace par deux classes : celle des marins n’ayant jamais de service à l’État, et celle des autres, et fixe les causes d’exemptions officielles de service à la mer.

Évolution rapide vers l’autonomie par rapport à l’État : « contractualisation »

  • Loi de 1926 – Code de Travail maritime

La loi de 1926 marque le moment de la contractualisation de la relation armateur/marin. Le marin est « libre », les systèmes de conscription sont abandonnés. Le marin au commerce ou à la pêche s’engage exclusivement « au voyage », contrairement au marin militaire ou douanier qui reste engagé au temps de service. Le statut du marin est toujours « unique ».

Quel que soit le service (public ou privé) dans lequel il sert, le Code du Travail maritime trouve application en tant que texte spéciale dérogatoire. Ce Code s’applique donc également à tous les corps de fonctionnaires embarqués et servant sur un navire : militaires, marins-pompiers, douaniers… Le contrat est donc un contrat de voyage ou d’embarquement La fin du voyage marque la fin du contrat. Le débarquement du marin également. Il n’y a pas de suspension du contrat à terre. Donc pas d’indemnité de maladie.

Évolution vers une dualité du contrat selon les périodes :

Le Code du Travail maritime consacre la dualité des relations contractuelles du marin avec son armement selon qu’elles concernent des périodes à terre ou en mer :

  • Période en mer : contrat de travail « maritime »
  • Période à terre: contrat travail de droit commun, avec particularismes maritimes si et seulement si une fonction spécifique est accomplie à terre.

Les formalités de passation du contrat d’engagement maritime sont allégées, mais maintenues :

  • Disparition du visa depuis 2006 ;
  • Réaffirmation du formalisme écrit, cf réforme 5 janvier 2006 ;
  • Contrat en deux exemplaires préalables à l’embarquement ;
  • Copie à l’IT pour enregistrement ;
  • Reprise des conditions d’emploi dans la « décision d’effectif » ;
  • Visée par les Affaires maritimes ;
  • Repris au Rôle d’Équipage ;
  • Repris a postériori dans le Livret maritime.

Le contrat doit être signé en deux exemplaires préalablement à l’embarquement, et une copie est transmise à l’Inspection du Travail maritime pour enregistrement.

Formalisme ad probationem : quelles sont les conséquences d’un défaut d’écrit ?

L’engagement verbal du marin resterait valable. Mais aucune clause du contrat ne lui serait opposable. Il s’agit d’un « ordre public de protection », destiné à protéger le seul marin.

Analyse jurisprudentielle

  • Compétence d’attribution au Tribunal d’Instance malgré l’absence d’écrit Soc.3/11/2005 aff 04-41345, Thaeron Fils (Sté Ostreicole).
  • Nullité de la transaction préalable au licenciement Soc. 12/11/1997 aff. 94-44507 & 44508, Lady Y. / Mahalo Ltd.

Source : extrait d’une formation intitulée « le point sur le Droit du Travail maritime français ».
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