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13 / 04 / 2015 | 974 vues
Philippe Bance / Membre
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La problématique de l’entreprise publique et ses enjeux d’avenir

Le 25 février dernier, en lien avec le « think-tank » Galisée.sp, le CIRIEC organisait une conférence internationale sur l’avenir de l’entreprise publique, au Ministère de l’Économie et des Finances. C'est à cette occcasion que je suis revenu sur ces questions.

La tenue de cette conférence consacrée à l’avenir de l’entreprise publique aurait pu sembler anachronique à un observateur averti il y a quelques années. L’entreprise publique paraissait être en déclin et beaucoup la pensaient vouée à disparaître rapidement à l’échelle planétaire. En effet, depuis les années 1980, des privatisations massives s’étaient produites à travers le monde et la forme d’organisation qu’est l’entreprise publique semblait touchée d’un discrédit durable et irréversible.

Le processus de mondialisation libérale et les révolutions conservatrices britannique et américaine avaient largement enclenchée la dynamique des privatisations. Le fameux consensus dit de Washington, était devenu la doctrine cardinale relayée par les organisations internationales. Il faisait des privatisations une panacée qu’il s’agissait de promouvoir à l’échelle mondiale, notamment dans les pays du sud dans le cadre des politiques d’ajustement structurel.

L'Union européenne n’était pas en reste dans ce processus mondial de privatisations : 45 % des actifs privatisés à travers le monde de 1988 à 2008 l’ont été en Europe, dans les pays qui, à l’est, se libéraient d’une bureaucratie pesante mais aussi dans des pays de l'ouest de l'Europe, ralliés aux arguments orthodoxes.

Pourtant, la crise de 2008 a apporté un cinglant démenti aux partisans de l’orthodoxie, particulièrement aux théoriciens des droits de propriété, qui voyaient dans la supériorité intrinsèque de l’organisation privée et dans un marché largement débarrassé de l’intervention publique une fin de l’Histoire. L’Histoire a ainsi connu l'un des retournements dont elle a le secret. Seule une intervention massive et concertée des autorités publiques, à l’échelle de la planète, a en effet permis en 2008 de sauver une économie mondiale en prise à une crise systémique.

Cette action publique a endigué un processus de défiance généralisée sur les marchés et de faillites en chaîne d’entreprises, qu’avait suscité la spéculation effrénée de marchés financiers livrés à l’autorégulation. Puis, les nationalisations ont notamment joué dans certains pays, fussent-ils les plus libéraux et les moins enclins à l’intervention publique, un rôle d’amortisseur, d’indispensable remède pour atténuer les graves conséquences économiques et sociales de la crise.

Cependant, si l’entreprise publique se trouve ainsi aujourd’hui réhabilitée, son rôle doit également être réinterrogé. Comment, dans l’économie de demain, pourrait-elle continuer à exercer ses missions d’intérêt général alors que ces dernières années on l’a souvent perçue comme un remède transitoire pour éviter la catastrophe sociale ? Comment également doter l’entreprise publique de la meilleure efficacité au service de cet intérêt général ?

Tel est bien l’objet de cette conférence que de chercher à penser le renouveau, en d’autres termes à refonder l’action publique en l’adossant à l’entreprise publique.

L’analyse rétrospective est utile dans cet exercice pour mesurer à la fois les forces mais aussi les faiblesses des entreprises publiques, afin d’identifier tout à la fois leurs atouts et leurs limites pour refonder l’action publique.

1 - Miser sur l’hybridité des entreprises publiques en évitant certains travers du passé


Les expériences passées sont à la fois révélatrices de graves échecs et d’éclatantes réussites d’entreprises publiques. Selon le contexte institutionnel national et les contingences historiques, les résultats des entreprises publiques peuvent en effet s’avérer être les meilleurs comme les pires. Ces contrastes s’expliquent largement par l’hybridité de ces organisations. Cette hybridité tient au fait que les entreprises publiques doivent d’une part exercer les missions d’intérêt général qui leur sont assignées et d’autre part répondre à des exigences commerciales, s’inspirant pour ce faire des principes du management privé.

Comme le montre l’ouvrage de la commission scientifique du CIRIEC France dont parlera Luc Bernier, une bonne internalisation des missions d’intérêt général est essentielle pour que le recours à l’entreprise publique soit une réussite. Pourtant, l’autonomie de gestion des entreprises publiques leur permet parfois de s’émanciper de leurs missions. Un phénomène dit de capture du régulateur peut en résulter : les entreprises profitent des asymétries d’informations et de leur capacité propre d’expertise pour se détourner des missions d’intérêt général que les autorités entendent leur assigner.

Le comportement passé de banques publiques est à cet égard illustratif de tels travers. Le phénomène de capture n’est cependant pas propre à l’entreprise publique. Il est d’autant plus réel pour les entreprises privées que leur objectif premier est de répondre aux attentes d’actionnaires avides d’un retour rapide sur investissement. Bénéficier de clauses contractuelles avantageuses de longue durée et édulcorer les missions publiques permettent souvent aux chasseurs de rente du secteur privé de la capter à leur avantage. L’exemple récent de la privatisation des autoroutes françaises est en la matière des plus révélateurs.

Les entreprises publiques s’avèrent quant à elles plus enclines à accomplir des missions d’intérêt général de grande ampleur, à s’impliquer activement dans la politique économique par le lien hiérarchique qui les unit aux autorités publiques. L’ouvrage émanant de la commission scientifique internationale du CIRIEC montre sur la base de 15 études de cas cette capacité actuelle d’entreprises publiques à assumer efficacement des missions d’intérêt général avec des résultats financiers satisfaisants.

Il n’en reste pas moins que les expériences antérieures montrent aussi qu’une excessive instrumentalisation des entreprises publiques à des fins de politique économique peut avoir des effets très déstabilisateurs sur les stratégies d’entreprise en suscitant déficit, endettement, besoin de récupération après des efforts parfois intenses qui engendrent un cycle de vie de l’entreprise dans la régulation.

Penser l’avenir des entreprises publiques, c’est donc chercher à éviter le retour de tels travers en protégeant les organisations de missions publiques intempestives par trop déstabilisatrices. C’est certainement aussi chercher à mobiliser par des incitations adéquates une culture d’organisation tournée vers l’intérêt général pour mettre en adéquation stratégies d’entreprises et attentes sociétales.

2 - Impliquer efficacement les entreprises publiques dans des politiques publiques répondant aux attentes sociétales


Face aux crises environnementale, économique et sociétale actuelles, il est essentiel d’utiliser au mieux les opportunités offertes par les entreprises publiques pour y remédier. L’hybridité et la disponibilité dont font souvent preuve les entreprises publiques pour exercer des missions d’intérêt général sont des atouts à valoriser. Elles peuvent faciliter la mise en œuvre de politiques publiques actives répondant aux attentes sociétales. Les entreprises publiques peuvent dans cette perspective enclencher de nouvelles dynamiques de développement.

Cela pourrait s’exercer par une forte mobilisation en faveur de l’innovation, dont l’importance est capitale pour la compétitivité de l’économie de demain. Mobiliser plus précisément les entreprises publiques en faveur de l’innovation radicale, qui est source de profonds changements dans la société car créatrice d’activités nouvelles, ne s’avérerait-il pas particulièrement pertinent pour servir l’intérêt général ? Dans le passé, de telles innovations radicales ont vu le jour par des investissements massifs réalisés par des organisations publiques. Cela a notamment été le cas pour la conquête spatiale, le développement du train à grande vitesse, sans parler du rôle majeur du secteur public dans l’émergence d’internet et de ses investissements, dans la recherche fondamentale.

Ne pourrait-on dès lors s’appuyer dans l’avenir sur la moindre aversion au risque d’entreprises publiques et sur leur moindre appétence pour un retour rapide sur investissement pour dynamiser le développement d’innovations radicales ?

Au-delà de l’innovation, le positionnement sectoriel des entreprises publiques est également à questionner. Les entreprises publiques ne devraient-elles pas jouer un rôle de premier plan dans des secteurs d’avenir pour lesquels des investissements massifs paraissent nécessaires pour bâtir une économie et une société durables ? Les investissements d’avenir ne pourraient-ils être mis en œuvre avec une très grande efficacité par les entreprises publiques ? Les secteurs producteurs de biens publics, liés notamment à l’environnement, plus précisément les transports et l’énergie, ne peuvent-ils à cet égard paraître tout particulièrement concernés ?

On peut également s’interroger sur les modalités selon lesquelles les entreprises publiques pourraient à l’avenir se déployer vers ces secteurs d’avenir. Comment ce déploiement s’avèrerait-il des plus efficaces : croissance externe, filialisation, partenariats avec les opérateurs privés etc. ?

Selon les configurations particulières, quelle serait la meilleure articulation de l’action des entreprises publiques avec celle des acteurs privés ? Le devenir de l’entreprise publique se trouve enfin indissociablement lié à sa capacité de répondre aux attentes d’une société démocratique.

3 - Fonder l’action des entreprises publiques sur une démarche partagée avec les parties prenantes


Depuis quelques années, de nouvelles gouvernances ont été mises en œuvre par de nombreuses entreprises publiques afin que leurs missions d’intérêt général puissent s’exercer dans le dialogue avec les parties prenantes. Cette démarche participative vise de manière opportune à assurer une plus grande proximité vis-à-vis des citoyens-consommateurs.

Car l’entreprise publique (ou plus largement l’entreprise en charge d’un service public) n’a pas uniquement à répondre, contrairement aux présupposés de la théorie des incitations, aux attentes de leur principal qu’est l’autorité de tutelle.

Elle doit également mettre en adéquation sa stratégie avec les aspirations des citoyens et de la société civile.

Une réflexion de fond reste à développer sur les nouvelles formes de gouvernance que pourront déployer à l’avenir les entreprises publiques, en lien avec les consommateurs et les citoyens mais aussi en partenariat avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Il convient encore de se demander comment adapter les dispositifs institutionnels pour faire en sorte que les entreprises publiques répondent efficacement à des missions d’intérêt général qui deviennent multi-niveaux, c’est-à-dire définies par des autorités publiques situées à des niveaux de compétences divers (notamment sur le plan géographique). Ne convient-il pas de réfléchir plus avant dans cette perspective nouvelle au déploiement d’une gouvernance plurielle ? Ne pourrait-on pas mettre en place des organes de pilotage stratégique, chargés de veiller à l’adéquation entre stratégies d’entreprise, missions publiques multi-niveaux et aspirations citoyennes ?

Pour conclure, la résurgence de l’entreprise publique amène à se poser de multiples questions sur le rôle qu’elle pourrait assumer au service de l’intérêt général en lien avec les diverses parties prenantes de la société civile. Son avenir dépendra de sa capacité à internaliser efficacement les missions publiques, à répondre aux attentes de la société civile mais aussi du paradigme économique dominant (foncièrement libéral, comme il l’est resté aujourd’hui, ou au contraire plus interventionniste) qui sera adopté par les autorités publiques.
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