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08 / 04 / 2013 | 1 vue
Didier Cozin / Membre
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La création hâtive d'un compte personnel formation pourrait précipiter la formation dans le chaos

En ce début avril 2013, l’assemblée nationale embrayant le pas aux partenaires sociaux a décidé de liquider le droit individuel à la formation (DIF)

  • Paris, 4 avril 2013 (AFP) - Le compte personnel de formation devra être mis en œuvre au plus tard début 2014, a décidé jeudi l'Assemblée nationale, qui a aussi adopté plusieurs amendements précisant les contours de ce dispositif. Les délais et les contours de ce dispositif négocié par les partenaires sociaux et prenant la suite du droit individuel à la formation (DIF), peu utilisé, ont été précisés par une série d'amendements émanant du gouvernement et des députés socialistes adoptés en début de soirée. Le compte personnel, réceptacle des droits détenus par le salarié au titre du DIF et utilisable pour une formation individuelle, sera comptabilisé en heures pour pouvoir être totalement transféré. Une concertation devra être engagée avant le 1er juillet 2013 entre l'État, les régions et les organisations syndicales et patronales sur la mise en œuvre du compte personnel de formation, prévoit l'un de ces amendements. Les droits liés à ce compte devront être entrés en vigueur au plus tard au 1er janvier 2014, ont aussi voté les députés.


Cette création précipitée est une double (et peut être tragique) erreur.

Tout d’abord symboliquement qu’une représentation de gauche annule un droit social est un vrai problème. Le droit à la formation était pourtant vital dans la société de l’information et de la connaissance mais en France celui-ci va être  transformé en un banal compte formation.

C’est un peu comme si on avait transformé le droit aux congés payés en un droit à accumuler des jours de congés (mais sans les prendre). Dans la fonction publique hospitalière on a ainsi accumulé des droits virtuels aux RTT durant 10 ans et aujourd’hui on se rend compte que tout cela était des promesses sans moyen de les tenir, des engagements virtuels qui ont permis de botter en touche, de remettre à plus tard la confrontation aux vrais problèmes et choix (douloureux)  à opérer.

Délai irréaliste

La seconde erreur est liée au timing de cette mesure. Le compte personnel formation devrait, selon la loi être mis en œuvre (et on l’espère applicable concrètement) dans les 8 mois qui viennent (entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 2014).

Ce délai de 8 mois nous semble totalement irréaliste. Posons-nous quelques questions pratiques...

  • Quel sera l’organisme national (et public on imagine) capable en quelques mois de comptabiliser, mois après mois, les droits à la formation de 28,5 millions d’actifs ?
  • Comment cet organisme (qui n’a pas encore été désigné) pourra-t-il récupérer les droits à la formation de 12 millions de salariés du privé, de 3 millions de DE, des 2 millions d’intérimaires, des jeunes sortant du système éducatif, des expatriés revenant en France, des travailleurs de contrat étrangers, des personnes précaires faisant des aller-retour fréquents entre emploi et chômage ?
  • Comment connaître précisément le nombre d’heures de DIF de chaque salarié sachant que de nombreux employeurs ne sont pas à jour des compteurs (quand ils en ont un) ou qu’ils n’ont pas payé leur cotisation formation à un OPCA depuis des années (ou jamais parfois) ?
  • Qui va payer pour ces heures de formation (au bas mot 1 milliard d’heures ont été cumulées depuis 2004, l’addition globale se monterait à 77 milliards selon les calculs de la Cour des Comptes en 2009) ?
  • Comment et sous quels délais les entreprises pourraient-elles provisionner les sommes nécessaires pour alimenter ce compte formation ? (car sans argent déposé il sera inutilisable) ?
  • Comment concrètement un travailleur (pas seulement salarié sinon on sort du droit universel) pourra-t-il payer ou faire financer les 20 ou 100 heures de formation qu’il souhaite réaliser ? Qui libèrera la somme en question ? Qui vérifiera que la formation s’est effectivement déroulée ? Comment décrémentera-t-on les compteurs, comment les incrémenter (en fonction des branches ou tout le monde le 1er janvier ?)

Si tout le monde est d’accord sur la nécessité de sécuriser les salariés et leur formation quel intérêt y-avait-il à créer aujourd’hui une monnaie de singe avec un compte formation qui soulève bien plus de questions qu’il ne résoudra rapidement nos problèmes éducatifs ?

Il est encore temps pour la représentation nationale de se ressaisir, de comprendre que personne en France n’a le pouvoir de rebâtir la formation professionnelle en quelques mois et que déstabiliser ce système en perdition ne permettra en rien aux travailleurs de se requalifier à court terme ou moyen terme.

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