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18 / 09 / 2014 | 515 vues
Audrey Minart / Membre
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La clinique de l'activité d'Yves Clot observée par Christophe Massot, un sociologue

Autant que son objet de recherche, le parcours de Christophe Massot est marqué par la pluridisciplinarité. En effet, après un parcours « Hypokhâgne/Khâgne B/L », le jeune homme a poursuivi ses études et obtenu une licence de sociologie ainsi qu’une maîtrise d’histoire, avant de retourner à la sociologie dans le cadre d’un master 2.

C’est pourtant en sciences de gestion qu’il réalise son doctorat entre 2004 et 2009, sur « les dynamiques du compromis productif » (convention CIFRE, LEST/CNRS–Eurocopter).

Christophe Massot est l'un des lauréats 2013 du DIM Gestes, un groupe d’étude interdisciplinaire sur le travail et la souffrance au travail financé par la région Île-de-France, qui accompagne les projets de jeunes chercheurs via des allocations doctorales et post-doctorales.  

« Invisibilité du travail »

Tout au long de son parcours, au carrefour de plusieurs disciplines, le fil rouge est peu ou prou resté le même : « que font les hommes au travail ? ». « Si j’ai commencé cette thèse, c’est parce que je constatais une certaine invisibilité du travail et de l’intelligence au travail, aussi bien dans les cercles familiaux et amicaux que dans l’espace public. Les gens dont l’activité est abordée dans l’espace médiatique ou plus largement public, sont les sportifs, artistes, politiques, patrons… Peut-être de temps en temps quelques universitaires ou chercheurs ». Exeunt les cadres lambdas, fonctionnaires, professeurs, ouvriers, employés… « Ce corps qui tient massivement la transformation de notre monde. Même dans le milieu de la recherche, cette attention est finalement assez récente. La sociologie du travail s’est davantage intéressée aux rapports sociaux de travail, à l’emploi, aux mobilisations collectives, aux questions de domination et de subordination, qu’à l’activité en elle-même ».

Idem côté « sciences de gestion ». « Cette discipline ne pose pas de premier abord la question de l’activité. Elle traite du fonctionnement des dispositifs de gestion, des lignes de production, d’organisation… Elle s’intéresse à leur efficience mais la question de l’activité reste souvent secondaire ». Sa volonté de prendre en compte l’activité réelle dans l’analyse des effets des dispositifs de gestion a positionné son projet de thèse dans un entre-deux théorique difficile. « L’étude de l’activité était considérée comme une annexe, peut-être intéressante mais néanmoins accessoire. C’était considéré comme étant hors sujet. Je l’ai quand même réalisée… ». Une thèse « hétérodoxe » donc, à cheval entre les sciences de gestion qui lui permettaient de pouvoir travailler en CIFRE pour une entreprise, ainsi que la sociologie et la psychologie du travail, qui lui permettaient de disposer de ressources théoriques pour penser l’activité et la division du travail. Quelques années plus tard, c’est en sociologie que son doctorat a été qualifié.

Observer les cliniciens de l’activité

C’est à cette période qu’il découvre l’ergonomie, ainsi que la psychologie du travail d’Yves Clot et la psychodynamique de Christophe Dejours. « J’ai utilisé la différence entre tâche prescrite et activité réelle pour suivre ce que faisaient ceux qui travaillent ». Au fil des années, ce sont finalement plutôt les travaux d’Yves Clot et de son équipe, en clinique de l’activité, qui ont retenu l’attention de Christophe Massot, notamment cette idée du conflit politique sur les qualités du travail. « La clinique de l’activité cherche à instituer un débat sur la qualité du travail… Une problématique qui m’interpelle et qui concerne aussi les sciences de gestion, l’économie et la sociologie ».

Son projet de recherche vise à analyser sociologiquement le conflit sur les qualités du travail, au cœur des interventions en clinique de l’activité de l’équipe du CNAM, dirigée par Yves Clot. « Tout d’abord, il s’agit de comprendre toute l’architecture théorique et pratique du travail de la clinique de l’activité, sachant que leur équipe est surtout intéressée par l’action. Il s’agit d’agir pour comprendre ». Une démarche assez différente de celle de la sociologie, où il s’agit davantage a priori de comprendre pour agir. « Les places du savoir et de l’action sont donc différentes. J’ai cherché à comprendre ce qu’ils entendaient par « agir », à étudier la place du clinicien etc. ». Un objet de recherche qui sollicite d’autant plus un regard sociologique que la clinique de l’activité intervient aujourd’hui sur les liens entre métiers, fonctions et niveaux hiérarchiques différents. Dans l’organisation, donc, et plus seulement dans des milieux professionnels « homogènes ». « L’enjeu est de parvenir à seconder le développement de l’organisation. C’est là que ce travail intéresse les sciences de gestion ».

Chez Eurocopter, sa thèse portait justement sur le « travail politique » dans les organisations, caractérisées par la division du travail. « Dans une organisation, il est nécessaire de se coordonner et de coopérer, en plus de toute l’inventivité que requiert la tâche à effectuer. Il faut se mettre d’accord alors que l’on ne sait pas encore ce qui sera fait et donc prendre collectivement une décision sans l’assurance de certitudes. C’est ce travail politique qui m’a intéressé. Un intérêt partagé par la clinique de l’activité, notamment lorsqu’elle cherche à mettre en discussion les qualités du travail, par exemple, par des ouvriers de chaîne et des directions nationales. Lorsqu’elle cherche donc à instruire la délibération sur les qualités du travail. Délibération éminemment politique par laquelle l’organisation redescend au niveau du travail ».

Articuler les différents champs de la recherche

Reste à savoir quelle place un sociologue, en position d’observation de ces interventions, peut prendre sur le terrain. « Cette question reste encore ouverte… » Il n’en reste pas moins qu’observer produit nécessairement des effets. « Dès lors que le psychologue clinicien du travail observe une situation, le professionnel va travailler tout en sachant que quelqu’un le regarde. Il y a là un nouveau destinataire de l’activité. Ce professionnel va donc changer le mouvement de son activité ou même ses gestes… Or, les sociologues se pensent à distance et même s’ils pensent cette distance, ils ne doivent pas agir sur les acteurs, ne pas participer, contrairement aux psychologues qui, eux, pensent et utilisent les effets de leur présence pour modifier le cadre dans lequel le professionnel tient son activité ». Que faire donc de sa position ?

« Actuellement, la relation entre moi, sociologue, et les cliniciens de l’activité est en construction… On regarde comment ma présence modifie le cadre de l’intervention et donc modifie l’activité des professionnels pris dans l’intervention… En bref, comment elle modifie l’intervention. Vous voyez la complexité et la difficulté de la question ! » La présence de ces multiples intervenants et observateurs ne dérange-t-elle pas les salariés, premiers observés ? « C’est justement le but du jeu de déplacer le cadre de leur activité. Mais il faut faire attention à ne pas les perdre, à ne pas les mettre dans une situation de violence. C’est pourquoi il faut leur faire saisir que l’intervenant est là parce que ce qu’ils font est important. Peut-être même plus important que ce qu’ils en pensent. L’enjeu, c’est qu’ils mettent leur activité en discussion. Il n’est pas question de juger quoi que ce soit, ni qui que ce soit ».

C’est peut-être justement parce que la présence du sociologue déplace le cadre de l’activité des intervenants, qu’elle permet de renouveler la discussion sur le travail d’intervention. Tout se passe en fait comme si les méthodes de la clinique de l’activité s’appliquaient à la clinique de l’activité en elle-même. « L’idée d’Yves Clot est peut-être que, pour que ce métier d’intervention reste vivant, il est nécessaire de le mettre en discussion, de le confronter à plusieurs points de vue différents… Je participe sans doute à la formulation de l’un de ces points de vue ».

Impossible donc, définitivement, pour Christophe Massot de se cantonner à une seule discipline. Ce qui n’est pas sans provoquer quelques complications… « Prendre position à l’intersection de plusieurs disciplines peut parfois s'avérer problématique. Le danger est d’être généraliste et de perdre pied sur l’exigence de spécialisation disciplinaire. C'est d’autant plus difficile que les différentes disciplines n’ont pas forcément, entre elles, des rapports faciles ou évidents ». La pluridisciplinarité ou l’articulation des différents champs de recherche interrogeant le travail et l’activité est justement au cœur de ces questionnements.

« La psychologie du travail étudie l’activité. Même s’il ne faut surtout pas oublier que pour la clinique, l’action précède la théorie. La gestion, quant à elle, étudie l’organisation et les dispositifs de gestion. L’économie le fonctionnement des marchés. La sociologie, l’action de groupes plus ou moins homogènes et les rapports sociaux de travail… L'une de mes questions de recherche serait justement de tenter d’articuler ces différents niveaux pour comprendre les tensions (voire les contradictions) que le travail humain, le travail vivant, porte et réalise. Comme s’il s’agissait finalement de redonner au travail vivant sa centralité ».

Références bibliographiques

2013 : « La contingence et le travail de conception. Définir, organiser, délibérer », Sociologie du travail, octobre-décembre.

2013 : « La mise sous silence du travail de conception par la création de valeur actionnariale », La nouvelle revue du travail (NRT), n° 3.

2013 :  « Élus CHSCT face aux « RPS » : une typologie des pratiques », Chroniques du travail, n° 3, P. Bouffartigue, C. Massot, 2013.

2013 : « Note de lecture, risques psychosociaux : quelle réalité, quels enjeux pour le travail ? », F. Hubault (coord.), Travail et emploi, n° 133, janvier-mars 2011.

2012 : « Quelle mise en œuvre des savoirs transmis sur les « risques psychosociaux » ? », rapport d’étude pour la DIRECCTE Provence-Alpes-Côte d'Azur.

2012 : « Discontinuité marchande et continuité technique », dans Jacquot L. (s/d), Travail et dons, Presses Universitaires de Nancy, p. 527-542.

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