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13 / 12 / 2018 | 7 vues
Serge Daneshmand / Membre
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J’ai confiance en mon « burn-out » !

Le récit qui suit est une fiction inspirée d’observations au sein d’entreprises et de témoignages recueillis en cabinet ainsi qu’en ateliers. Il met en évidence que l'épuisement professionnel (« burn-out ») participe d’un processus de changement et d'une recherche de solution que le corps et l’esprit tentent de mettre en œuvre. Il propose la perspective qu'« aller dans le sens » de ce qui nous est donné à vivre à travers l'épuisement professionnel, nous permet de trouver les ressources qui nous manquent, bien davantage que le nier, l’engourdir ou lui tourner le dos.


Note : le terme « burn-out » est ici employé comme vocable générique pour « souffrance psychique liée à l’activité de travailler ».
Noam est sur son lieu de travail. Une collègue qu’il aime bien, Cathie, lui dit : « Dis-donc Noam, ton e-mail de ce matin, j’ai rien compris… Tu sais plus écrire ou quoi ? Un doctorat en sciences sociales pour en arriver là ! C’est malheureux quand même... Nan, je rigooole ! ».

Quelque chose se fige dans tout le corps et l’esprit de Noam. Il a chaud et froid à la fois, sa vue se brouille un peu, ses mains tremblent, sa gorge se noue : « C’est quoi ce vertige qui s’empare de moi ? Mes genoux flanchent et mes jambes ne me soutiennent plus ! Sa remarque n’était pas sympa, c’est vrai, mais ma réaction semble venir d’outre-tombe. Même Cathie se fout de moi ! Ça tourne, je n’y comprends plus rien. Je ne me reconnais plus, moi qui étais si volontaire. Je ne sais pas quoi dire, ni comment me faire entendre. Je ne vois même pas tout à fait le problème alors qu’il me faut une solution si urgemment ! Tout s’effondre et j’ai mal ! J’aimerais que tout s’arrête et expulser ce mal-être qui me trahit… ». Le « burn-out » se déclare, Noam en est au point de non-retour.

Un bourreau sans visage qui fait porter la responsabilité de ses coups de poignard à personne et tout le monde à la fois.Félicitations, Noam ! C’est un bon début pour aller mieux. Quelque chose s’exprime à cet instant, qui cherche depuis si longtemps à se faire entendre. C’était trop et s’est allé trop loin ! Qu’est-ce qui va trop loin ? Vous avez lutté contre un ennemi invisible et fourbe qui se loge dans les interstices de nos processus et de nos relations de travail. Un bourreau sans visage qui fait porter la responsabilité de ses coups de poignard à personne et tout le monde à la fois. Son mode opératoire : le paradoxe. Les batailles que vous avez menées n’avaient apparemment pas d’adversaire et vous fuyez ce combat sans vainqueur et stérile. Vous dirigez vos forces sur un autre terrain, pour vous ravitailler, panser vos plaies, rassembler vos troupes, penser un projet nouveau puis reprendre votre marche vers vos objectifs.

Noam travaille dans une entreprise de service depuis dix ans, il connaît et apprécie la majorité de ses collègues. Il est compétent dans son domaine d’expertise et a piloté plusieurs projets de manière honorable. Il connaît bien ses managers et respecte les gens, même s’il ne comprend pas bien certaines décisions et certains changements de postures et ne voit pas de cohérence dans la stratégie managériale et opérationnelle de l’entreprise.

Il ne bénéficie d'aucun traitement spécial de la part de sa hiérarchie ni de ses collègues.D’où vient donc cette pression que Noam sent monter en lui ? Pourquoi se sent-il enserré dans son corps et son esprit, piétiné dans sa légitimité et son honneur ? Il n’est pourtant harcelé par personne en particulier, il est considéré comme un parmi les autres, il ne bénéficie d'aucun traitement spécial de la part de sa hiérarchie ni de ses collègues.

Noam raconte : « L’ambiance n’est plus comme avant. Quand j’ai commencé chez TechAltitude Services, c’était l’aventure. Nos solutions de services étaient novatrices et nos savoir-faire à l’œuvre à chaque instant pour répondre aux besoins des clients et faire évoluer nos prestations, nos solutions logicielles et notre méthode d’intervention. Lorsqu’on partait en mission, l’équipe était soudée, on se faisait confiance et on était créatif. Peu à peu, le marché s’est tendu, nos solutions se sont banalisées aux yeux des clients et nos expertises aussi. La croissance de l’entreprise nous a amenés à segmenter les équipes par pôles d’activité. Lors du rachat de TechAltitude Services par le groupe GetmeOld, les choses ont vraiment changé. La rentabilité a commencé d'être calculée par unités commerciales, créant une concurrence entre les équipes dont la collaboration faisait notre force il y a quelques années encore. J’ai commencé à être évalué sur ma capacité à appliquer des méthodologies plutôt que sur mes savoir-faire et mon engagement. Ma créativité doit maintenant se concentrer à rendre réaliste les promesses commerciales sur le terrain plutôt qu’à accompagner les besoins de mes clients et co-construire des solutions. Mon rôle de manager et de gestion de projets m’amène à fournir beaucoup d’indicateurs alors que l’entreprise ne me demande même plus mon avis sur les événements. Mes relations sont guidées par la raison et la prudence plutôt que par l’intelligence collective et l’authenticité. Je n’ai pas signé pour ça, moi ! Mais qu’est-ce que je peux faire ? C’est la tendance générale et c’est pareil à la concurrence. Est-ce que j'ai vraiment le choix ? ».

Oui, Noam, vous avez le choix. Vous aurez toujours le choix, même si c’est parfois engageant et douloureux. C’est peut-être ce que votre confusion et votre angoisse sont en train de vous dire, d’ailleurs. Votre corps vous rappelle à la réalité : vous vivez depuis longtemps une inflation de paradoxe dans le cadre de votre travail.

D’un côté, par l’exercice actuel de votre travail, vous êtes ce vendeur de rêves que réclame la vente d’un projet. Sur le terrain, vous êtes ce bricoleur de faux-semblants, ce traficoteur de qualité. Vous participez à cette mouvance conformiste et normative à travers l’application de méthodologies désincarnées et parfois inopérantes. Vous pratiquez une communication de stratège, protégeant vos mérites et dissimulant vos erreurs. D’un autre côté, en votre for intérieur, vous êtes cet aventurier qui a cette capacité merveilleuse de mettre la technologie au service du travail de gens. Vous portez en vous les valeurs du collectif, de la créativité et de l’honnêteté. Vous avez naturellement cette posture de responsabilité et ce goût du travail bien fait. Vous recherchez ce contact authentique avec vos collègues.

Ces deux modalités de vous-même s’excluent et coexistent à la fois, en une paradoxale cacophonie.

L’évolution des circonstances économiques, sociales et culturelles de votre travail ont creusé un fossé de distorsion entre vous et votre posture au travail. Vous mettez des trésors d’imagination en place pour réduire les incohérences, dans votre esprit et dans vos actions, dans une dépense d'énergie excessive. Tant de choses sont sous-entendues par les faits, les postures et les discours qui ne sont pas avérées, partagées et prises en compte collectivement. La complexité s’est parée d’un tissu d’évidences et c'est maintenant le chaos pour vous. Toute votre énergie s’est longtemps focalisée sur le maintien d’une certaine cohérence de vos pensées et de vos émotions. Mais là, ça ne tient plus ! Vous ne voulez plus jouer à jeu. Vous faites votre choix. Une partie de vous donne l'argument décisif, à travers l'épuisement professionnel.

Votre environnement de travail a été la scène sur laquelle s’est joué un scénario personnel voire intime. L'épuisement professionnel vous ramène vers cette réalité intérieure d’une manière bien rugueuse, c’est vrai. Pourtant, c’est aussi une chance que vous vous offrez : au bout du processus, vous reprendrez les commandes !

Comme chacun de nous, vous cherchez au fond de vous un alignement, un équilibre entre qui vous êtes, ce que vous pensez, ce que vous ressentez et ce que vous faites. C’est vous qui en êtes le garant et le responsable pour vous-même. C’est parfois en faisant un pas de côté qu’il est possible de faire le point sur soi, sur ses aspirations, ses talents et ses choix… Vous allez restaurer en vous les ressources qui vous rendront votre part de pouvoir d’agir sur votre environnement professionnel et de mettre à jour votre zone d’influence. Prendre en considération ce qui vous fait souffrir aujourd’hui est un préalable au développement de votre sécurité et vos joies de demain. C’est en identifiant ce qui vous limite aujourd’hui que vous allez ajuster votre posture et votre investissement pour votre épanouissement futur. C’est en renouant avec la nature qui vous anime que vous développerez vos performances et votre utilité professionnelles d’une manière nouvelle et plus juste. Enfin, c’est en décryptant les paradoxes produits par l’entreprise à laquelle vous participez que vous contribuerez à l’émergence d’une organisation du travail qui aide les gens à développer le meilleur d’eux-mêmes, pour leur épanouissement propre ainsi que pour la qualité des ressources mises à disposition du collectif de travail.

Alors maintenant qu'il est là, ayez confiance en votre épuisement professionnel, Noam ; il est votre meilleur guide !

Autheur : Vincent Bühler, psychologue et coach professionnel.

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