L’ère post-libérale et la mondialisation heureuse
Politique et économie sont liées au travers de l’Etat et s’étudient en « économie politique ». C’est ainsi que l’Écossais Adam Smith (1723-1790) n’est pas seulement le grand économiste fondateur de la science économique moderne, il est aussi un acteur du mouvement intellectuel des Lumières (un « philosophe »). Il se manifeste également comme un libéral sur le plan politique.
Dans l’esprit des Lumières, la prospérité économique, induite par la libération des entreprises du carcan du corporatisme et du mercantilisme, doit conduire au progrès matériel et social de l’humanité dans un système politique libéré de la monarchie absolue. A l’époque, avant l’essor des doctrines socialistes et du marxisme, les libéraux se montrent comme des « progressistes ». Il en reste quelque chose aux USA, où être libéral c’est être de « Gauche » …
A cet égard, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier 2025 est un véritable « chamboule tout politico-économique ». Elle marque un tournant extraordinaire de l’économie politique.
Au cours des 80 dernières années le monde aura ainsi connu trois phases : l’économie sociale de marché (« Les 30 glorieuses » de Jean Fourastié), le néo-libéralisme dans la mondialisation et l’ère actuelle de l’émergence du national-populisme.
I – L’ère de l’économie sociale de marché (1945-1979) ou des « 30 glorieuses »
L’«économie sociale de marché », expression Allemande, paraît bien caractériser le système économique des pays occidentaux d’après 1945.
Essor d’un système économique mixte
Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, la plupart de ces pays, dans une moindre mesure aux USA, se sont convertis à des régimes économiques mixtes. L’économie libérale, basée sur la propriété privée des moyens de production et la libre concurrence dans le cadre du marché, se mêlait à une économie connaissant l’interventionniste de l’État de type keynésien (France ? …) voire social-démocrate (RFA, Suède, Angleterre…).
C’est ainsi qu’à la Libération, la France a constitué un vaste secteur public (dans l’énergie, la banque, la sidérurgie, les transports etc.) à côté du secteur des entreprises privées.
L’Etat providence
Inspirée dans notre pays du Conseil national de la Résistance et mis en œuvre par le gouvernement provisoire du Général de Gaulle, c’est l’époque de « l’État Providence ». Il est porté par une forte démographie. Il se caractérise par la systématisation de la sécurité sociale dans des domaines majeurs : la santé, les accidents du travail, la vieillesse (retraites), la famille, le chômage, sans compter la formidable démocratisation de l’éducation nationale (autre forme d’assurance…).
Ces progrès sociaux ont accompagné la Reconstruction puis le développement économique et social sans précédent jusqu’aux crises pétrolières de 1973-1979. Ils visaient à corriger les effets négatifs du capitalisme ultra libéral ayant conduit à la misère sociale du 19ème et du début du 20ème siècles ainsi qu’à crise de 1929, responsable de la montée du nazisme et de la Guerre.
Des Etats armés pour conduire les politiques publiques
Les États disposent de tous les leviers d’intervention permettant de conduire des politiques volontaristes comme, en France, dans le nucléaire, la sidérurgie, l’aéronautique, la recherche, l’aménagement du territoire etc… L’État, peu endetté, dispose d’une palette de moyens d’action : budgétaire, monétaire et réglementaire.
Les échanges extérieurs sont relativement bien maîtrisés par l’utilisation des tarifs douaniers et par la politique des taux de change des monnaies.
Pas ou peu de concurrence sauvage, pas ou peu de concurrence des pays émergents !…
Ce n’était pas le « Paradis mais presque » …
Quelques bémols très importants, doivent être apportés aux « Trente Glorieuses » : la Guerre Froide; les difficultés de la décolonisation et les crises parlementaires de la IV République ; les problèmes liées à l’exode rural et l’urbanisation accélérée des villes ; le recours massif à la main d’œuvre étrangère, sujet appelé à s’installer dans le paysage politico-social ; l’ère de la société de consommation pouvait être perçue comme une ère d’aliénation (Herbert Marcuse) ou une société du spectacle (Guy Debord) ; la jeunesse s’enflammait pour la libération des mœurs et contre le principe d’autorité (1968) ; le Rapport du Club de Rome alertait en 1972 sur l’épuisement des matières premières et les dégâts faits à l’environnement …
Cependant, la croissance économique était forte, le chômage faible ; la société, plus largement éduquée et socialement protégée, était entrée dans l’ère de la consommation de masse et des loisirs pour tous. L’ascenseur social permettait aux nouvelles générations de vivre bien mieux que leurs parents. « Cerise sur le gâteau », grâce notamment à la construction européenne (1957) et à la réconciliation franco-allemande (1963), l’Europe n’a plus connu de guerre sur son propre territoire. Et la Vème République parait solide même pour ses adversaires…
II – L’ère du néo-libéralisme et de la mondialisation (1979-2025).
pays émergents, elle semble avoir été même favorable aux consommateurs occidentaux mais avec de très sérieuses conséquences sociales et économiques en Europe comme aux USA.
Aussi, pour paraphraser le titre d’un livre d’Alain Minc, on ne peut pas écrire que la mondialisation ait été heureuse pour tout le monde…
Une idéologie nouvelle revisitant l’ultra libéralisme
Deux économistes marquent le « néo-libéralisme » : V. Hayek et M. Friedman.
L’École de Chicago sous la houlette de Milton Friedman s’est particulièrement « illustrée » dans la mise en place d’une économie ultra libérale dans le Chili du général Pinochet après son coup d’État contre Salvador Allende en 1973.
Ces économistes rejettent toute intervention de l’État dans l’économie, en dehors de son rôle strictement régalien. Ils préconisent la liberté absolue des entreprises sur des marchés totalement dérégulés avec des économies nationales totalement ouvertes aux échanges internationaux.
Les ambiguïtés d’un nouveau leadership anglo-saxon
C’est ainsi que l’on a assisté, à partir de l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en Angleterre (1979) et de Donald Reagan aux USA (1981), à un « désarmement » généralisé des États.
On a connu l’abaissement des barrières douanières et la neutralisation des instruments budgétaire ou monétaire. L’Europe était devenue une mer de libre échange dans un océan mondial de libre échange interdisant toute véritable politique volontariste des États ou même de l’Union.
Il s’agit d’un retour réduit à certains fondamentaux strictement techniques du libéralisme économique, mais surtout sans le libéralisme politique. En effet, comme on a pu le voir au Chili ou ensuite avec la Chine, le néo-libéralisme s’est très bien accommodé des régimes autoritaires.
Financiarisation de l’économie et accélération de la « destruction-créatrice »
La caractéristique majeure de l’ère néo-libérale, le « cœur du réacteur », est la financiarisation de l’économie. Les capitaux doivent circuler librement, y compris au-delà des frontières et s’investir là où la rentabilité est la plus élevée (au minimum 15 %).
Dès lors, le financier prend le pas sur l’entrepreneur. Il s’agit de créer de la valeur pour l’actionnaire (fonds de pension…). Sa part s’accroit dans la répartition de la valeur ajoutée.
Cela conduit à des restructurations en chaîne, à des fusions-acquisitions ou des délocalisation de nombreuses entreprises. La loi de J.Schumpeter de la « destruction créatrice » joue à fond…
Concurrence sauvage
Contrairement à la théorie économique néo-classique, l’ouverture de la concurrence ne s’est pas faite de manière « pure et parfaite », loin de là ! Elle a induit le développement d’une concurrence « sauvage » entre des pays disparates dont les coûts de production, principalement celui de la main d’œuvre, ainsi que les normes de production sont très différents.
Des produits, souvent fabriqués sans respect des normes sanitaires ou environnementales habituelles, ayant parfois recours à des enfants ou à une main d’œuvre pauvre sans protection sociale, ont totalement déstabilisé le jeu normal de la concurrence sur les marchés.
Délocalisations, désindustrialisation et crises politico-sociales
C’est ainsi que l’on a connu dans de nombreux pays des déficits dans les échanges internationaux et à une très importante délocalisation d’entreprises, parties vers des cieux plus « cléments » en matière de coût de production ou de fiscalité. Cela a entrainé la désindustrialisation, la crise de nombreux bassins d’emploi, un chômage important, de faibles taux de croissance, un taux élevé d’endettement de nombreux États et, conjugué aux effets de la nouvelle économie numérique, à une déqualification croissante de la main d’œuvre et à l’appauvrissement de la classe moyenne.
Le tout a conduit à l’arrêt de l’ascenseur social et, conjugué au développement de l’intégrisme religieux, à l’arrêt du processus d’intégration des populations immigrées ainsi qu’aux soubresauts géopolitiques actuels notamment marqués par la montée vertigineuse du national-populisme.
Fin de la suprématie économique occidentale ?
Dans les pays émergents, l’économie numérique et la robotique se sont développées parallèlement à l’économie de main-d’œuvre. La Chine possède maintenant des centres de recherche technologique très puissants, rivalisant avec les États-Unis et l’Europe sur le plan économique …
III – L’ère actuelle : émergence du national populisme.
face à la perception du déclin des USA dans la mondialisation néo-libérale,
Au-delà de sa personnalité extravagante, il convient de le prendre au sérieux et de ne pas lui dénier une ligne de pensée constante. Elle semble même avoir conquis les majors de la Silicon Valley et d’intellectuels qui se font les hérauts de la nouvelle idéologie politico-économique qu’il incarne…
Comment caractériser la nouvelle ère ?
Changements de paradigmes fondamentaux
Sur le plan politique, on passe, au niveau international, du multilatéralisme fondé sur le droit international à l’unilatéralisme fondé sur les rapports de force et, au niveau national, on assiste également à une tentative de déconstruction de l’Etat de droit démocratique.
Sur le plan économique, il y a une volonté, légitime, de contrecarrer les effets dévastateurs de la mondialisation néo-libérale mais par un souverainisme économique exacerbé.
L’émergence du national-populisme
Ce courant idéologique mondial, constitué en une sorte « d’internationale informelle » tournant autour de D. Trump, semble cependant très composite. En plus de conservateurs classiques se trouvent des libertariens et des technologues transhumanistes. Des ultras libéraux (Zemmour) côtoient des nationalistes sociaux (M. Le Pen) …
Largement élu grâce aux couches populaires victimes des délocalisations et de la désindustrialisation néo-libérale, Donald Trump cherche à réindustrialiser le pays et à conforter le leadership technologique américain. Il ne faut pas négliger le côté social de sa démarche : créer de bons « jobs » en phase avec sa base électorale.
L’autre côté des choses, c’est la mise en place unilatérale et agressive de barrières douanières, l’attraction sans scrupules d’entreprises et élites européennes, la défense des grandes entreprises technologiques monopolistiques (GAFA…), l’utilisation permanente de l’arme du chantage y compris militaire, la promotion d’un ultra libéralisme réduit au seul périmètre interne des USA et dont sont exonérées les grandes entreprises monopolistiques.
L’ère de la mondialisation néo-libérale est bien terminée.
Les thuriféraires du nouveau système, les « lumières obscures », considèrent que la démocratie n’est pas la panacée politique (elle étoufferait la liberté) et, contrairement aux économistes classiques, que la libre concurrence sur les marchés ne serait pas la panacée économique (seules les entreprises monopolistiques seraient vraiment capables d’innover et de prospérer) ! Déjà ébranlés par la crise financière de 2008 et la crise du COVID, la nouvelle politique américaine bouleverse et heurte frontalement les intérêts des autres pays occidentaux, alliés traditionnels
Le mot de la fin …
Au sein de ceux-ci, l’Union européenne joue son avenir. On sait désormais qu’elle devra s’affranchir de la protection militaire des USA, bâtir une véritable industrie militaire et mettre en place son indépendance numérique… L’heure est aux politiques publiques interventionnistes de protection et d’offensive sur les plans technologiques et économiques … Moment Keynésien ?
Il s’agit aujourd’hui d’une tentative de déconstruction complète des idéaux occidentaux hérités des Lumières, dont faisait partie Adam Smith, le père de la science économique moderne.
Quand on considère la montée inédite des partis populistes dans toute l’Europe, héritière des Lumières et vainqueur, avec les USA, du nazisme et du stalinisme, ainsi que la constitution d’une véritable internationale national-populiste, il y a vraiment de quoi s’inquiéter ! D’autant que le but des USA comme des autocraties est l’éclatement de l’Union européenne et sa vassalisation.
Reconnaissons que cette situation n’est que le résultat de l’aveuglement de nos pays et singulièrement de l’Union Européenne face au néo-libéralisme et à la mondialisation.
Aujourd’hui, nous sommes sur le fil du rasoir…
Il n’existe que deux options : soit plonger dans la funeste approche national-populiste, soit les libéraux, les républicains et les démocrates choisissent de s’engager résolument dans un souverainisme politique et économique éclairé et de portée européenne, défendant l’État de droit, les valeurs des Lumières et la démocratie politique et sociale mais favorisant également la mise en œuvre des politiques régaliennes attendues par les citoyens.
En Démocratie et particulièrement dans notre République, on ne peut pas gouverner durablement en dissonance avec les aspirations profondes du Peuple.