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27 / 07 / 2021 | 196 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« Le changement de statut est une mise en responsabilité face au contexte concurrentiel » - Jean-Pierre Farandou, SNCF

Rencontre avec Jean-Pierre Farandou (PDG de la SNCF) dans le cadre des entretiens « idéaux et débats » du CIRIEC (...)


Vous êtes le président-directeur général de la SNCF depuis dix-sept mois. Le moins que l’on puisse dire est que ces premiers mois ont été marqués par une actualité forte et troublée : changement de statut de l’entreprise, grèves liées à la réforme des retraites, pandémie du covid-19 ayant entraîné un effondrement du trafic et de la mobilité des Français et détérioration des comptes sans précédent, tout cela sur fond de crise climatique aggravée. Comment pouvez-vous décrire le projet d’entreprise de la SNCF pour les années à venir ?

Ce projet d’entreprise « tous SNCF » est la construction de l’avenir de la SNCF, avec les cheminots et au service des Français et des territoires. Son nom inclut tous les cheminots. Il fixe la stratégie du groupe en donnant le cap et les priorités d’actions pour que chacun puisse se situer dans son activité, son métier et son territoire.


Ce projet est celui de tous les salariés (des dirigeants aux agents, en passant par la ligne managériale). Il montre le sens. Ainsi, il doit produire du bien-être au travail et combattre les risques psycho-sociaux. Il participe aussi d’un dialogue social de qualité. Avec « tous SNCF », chacun participe à la co-construction du futur de son entité. Ce n’est pas seulement une initiative du président mais surtout une dynamique de tous les établissements. Ils vont produire et co-produire leur projet d’établissement avec leurs salariés et en connexion avec le territoire et les parties-prenantes locales.


Vous savez que la défense de l’intérêt collectif et du service public se trouve au cœur de l’action du CIRIEC dont la SNCF est un membre « historique ». Comment concevez-vous le rôle de l’entreprise que vous dirigez au service de l’intérêt collectif ? Le changement de statut (d’un établissement public à celui d’une - voire de plusieurs - sociétés anonymes) modifie-t-il le rôle de la SNCF dans la vie économique et sociale de la Nation ?

En effet, la SNCF a récemment changé de statut. Mais je vous rappelle que ce n’est pas inédit avec le changement opéré le 1er janvier 1983 (de S.A. en EPIC) puis par la loi d’août 2014 en groupe composé d’EPICS. La transformation voulue par le gouvernement et la représentation nationale (groupe de plusieurs SA à capital 100 % public) ne change pas le caractère essentiel de l’entreprise qui est de servir la Nation donc la collectivité nationale et les attentes légitimes des citoyens-voyageurs, des collectivités publiques régionales et locales et des entreprises-chargeurs.


Nous sommes toujours en mouvement constant pour répondre aux attentes d’un monde qui évolue quotidiennement. Pour nous, il s’agit de mieux organiser l’entreprise pour faire face à ses nouveaux défis sociétaux et climatiques et lui redonner sa dimension transverse, territoriale et intégrée, un peu perdue ces dernières années. Certains voient un handicap dans le changement de statut. Il s’agit d’une mise en responsabilité face au contexte concurrentiel qui relève des décisions politiques que nous devons appliquer.


Le projet d’entreprise vise à renforcer la particularité historique de la SNCF, acteur majeur de l’aménagement des territoires, une entreprise en prise avec ses clients et les territoires. La force de la SNCF est son ancrage dans la vie réelle de tous nos territoires avec ses ressemblances et ses singularités.


Vous avez placé le projet d’entreprise et l’engagement sociétal et la transformation écologique sous la même direction (celle de Mickaël Lemarchand) : quelle signification cela a-t-il à vos yeux ? Qu'est-ce que l’engagement sociétal de la SNCF ?

Oui. C’est un choix stratégique majeur pour nous. Le nouveau projet d’entreprise s’appuie sur une construction collective de la future SNCF. Acteur majeur de la mobilité d’aujourd’hui et de demain en France et à l’étranger, la stratégie de la SNCF s’appuie fortement sur la dimension durable du développement et de la cohésion sociale. Ce que l’on nomme la RSE est au cœur de la stratégie du groupe et l’engagement sociétal de la SNCF est dans son ADN. Même si je crois que la SNCF a toujours été précurseur dans cet engagement sociétal, il faut aujourd’hui affirmer sa stratégie et communiquer sur ce sujet. Acteur des mobilités durables et inclusives, c’est aussi un acteur de développement du territoire et de développement humain. Avec la crise sanitaire actuelle inédite dans l’histoire récente, cela donne encore plus de sens et redonne à l’entreprise l’éclat de son imaginaire et de ses réalités d’un groupe public engagé au service de la France et des Français.


La SNCF est un groupe avec des filiales aussi importantes que Kéolis (que vous avez dirigé) et Geodis : ces filiales participent-elle du même projet d’entreprise ?


Les salariés de Keolis sont très engagés par leur professionnalisme et leur attachement au bon service et à l’heure exacte, comme tous les cheminots. Le groupe SNCF possède un formidable atout sur cette complémentarité qui inclue concrètement les trajets de nos voyageurs au quotidien. Au niveau régional, des initiatives communes humaines sur la mobilité inclusive et la sécurité des transports collectifs entre le monde des transports urbains et périurbains et les transports ferroviaires de voyageurs se développent. Nous voulons regrouper les énergies individuelles et collectives dans l’objectif de servir les besoins des voyageurs, usagers et clients du transport. Mieux servir signifie être innovants avec nos matériels roulants actuels, avec tous les modes de déplacements « doux », déployer les réussites et de nouvelles expérimentations technologiques (hydrogène, électrique etc.) et poursuivre sur des offres très diversifiées comme le covoiturage et les transports en zone rurale. Sur tous ces sujets, le ferroviaire opéré par le groupe public unifié et le groupe Keolis portent les mêmes ambitions et des engagements communs : ils sont complémentaires. Geodis est aujourd’hui un pilier de consolidation pour notre seconde place européenne. Notre activité logistique est un élément très fort. La pandémie montre qu’un groupe de transport multimodal doit développer cet outil essentiel pour alimenter toutes les activités humaines en temps et en heure. La pandémie actuelle nous prouve que notre investissement passé et actuel sur la logistique et les transports de marchandises est un axe stratégique juste et qui fait durablement sens. Par ses qualités intrinsèques et ses objectifs, Geodis s’intègre parfaitement aux objectifs et orientations du projet d’entreprise, avec ses contraintes, ses atouts propres et ses particularités.


Toutes les activités de la SNCF sont concurrentielles au service de l’intérêt collectif : le fret et le TGV au même titre que le transilien et le TER ? Que pensez-vous en particulier de l’avenir du fret ferroviaire ? Sommes-nous dans le domaine des incantations maintes fois répétées et déçues ou bien les choses sont-elles en train de changer en profondeur ?


La force de la SNCF est la complémentarité de ses activités au service du pays. Nous comprenons parfaitement ces attentes par nos réponses aux exigences légitimes de l’État, des régions, des collectivités, des politiques nationales et régionales d’aménagement du territoire, des dynamiques de la ruralité et des demandes des voyageurs, usagers et clients individus et entreprises. Nous sommes tous clients, usagers, voyageurs, salariés et vacanciers à des moments différents et l’intérêt collectif est l’addition de nos exigences particulières et collectives.


Le formidable développement du TGV a permis la revitalisation de nombreuses villes « moyennes » qui mène à une dynamique pour mieux vivre les territoires et notamment re-vivifier les zones rurales. Notre enjeu est d’équilibrer la répartition de nos investissements car chacun a reconnu que l'ancienne stratégie du (presque) « tout-TGV » réduisait considérablement les investissements pour les transports du quotidien en grandes agglomérations notamment.


Face aux impératifs du développement durable et de la transition écologique, aux constats dramatiques des différents travaux (Grenelle de l’environnement, études de l’École Polytechnique de Lausanne, communications du GIEC, 17 objectifs du développement durable, engagements publics des différentes COP etc.), personne ne peut plus se contenter de discours sans moyens ou avec des financements réduits.


L’optimisme en faveur du fret ferroviaire semble revenir avec la prise en compte de la crise environnementale. Les investisseurs privés ne s’y trompent pas. La complémentarité de nos activités de fret, TGV, Intercités, Transilien et TER doit pleinement participer à la réduction voire à la suppression des dangers et risques sur la cohésion du corps social français (inclusion des jeunes, ruralité, quartiers prioritaires de la ville, relations intergénérationnelles, fin de vie etc.). Ainsi, il faut traduire l'un des six piliers (RSE) de notre projet d’entreprise intégré avec la sécurité et les réponses aux exigences de tous.


J’exprime la ferme conviction et une passion très ancienne pour valoriser la détermination du groupe par l’engagement des collectifs de travail, de chaque cheminot et de chaque salarié (quelle que soit son entreprise et filiale) pour concrètement participer aux orientations stratégiques de la SNCF qui répondent aux défis actuels et à venir. Nous avons là un capital humain qui s’appuie sur une histoire forte. C’est une opportunité formidable.

 

  • Propos recueillis par Thierry Mignauw.
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