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22 / 12 / 2025 | 13 vues
Jean-Louis Lascoux / Membre
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La profession du 21ème siècle : médiateur !

Préambule

Ce texte interpelle sur les conceptions d'une profession nouvelle proclamée en 2001 avec le premier Certificat d'Aptitude à la Profession de Médiateur. Encore émergente, cette profession fait l'objet de velléités de limitation d'exercice prématurées.
 

L'approche académique n'est pas neutre dans ce domaine. Elle maintient la médiation dans une dépendance conceptuelle aux disciplines établies — droit, psychologie, sociologie — au lieu de reconnaître sa spécificité. Le discours dominant sollicite des réglementations d'autorité alors que cette profession nécessite une pleine autonomie : elle engage une révision des cadres de pensée sur les relations humaines, la motivation, la décision et la régulation sociale. Mais rien n'empêche l'évolution autonome de cette profession issue de la société civile...
 

L'obstacle épistémologique

La médiation bénéficie désormais d'une reconnaissance croissante : encouragements normatifs, dispositifs institutionnels, intégration dans les politiques publiques. Pourtant, le médiateur est pluriel et peine être identifié comme un professionnel à part entière, doté d'un champ d'intervention spécifique et d'une responsabilité distincte.
 

Cette difficulté s'enracine dans une confusion épistémologique. L'attribution d'un héritage culturel, voire cultuel, entretient cette confusion. Le discours dominant décrit la médiation par des caractéristiques périphériques — gratuité, bienveillance, apaisement, écoute, concessions réciproques — donc par analogie avec d'autres conceptions normatives. Or un métier se définit par un objet, une fonction opératoire, des compétences mobilisées et une responsabilité délimitée, non par ses effets désirables ou des vertus morales.
 

Tant que la médiation sera pensée comme un entre-deux, elle restera structurellement empêchée. Sa reconnaissance suppose un changement de référentiel : la comprendre comme une fonction de régulation systémique des relations humaines, fondée sur une ingénierie relationnelle spécifique et centrée sur l'entente sociale.

Le médiateur est un tiers à part entière

Inscrire le médiateur dans une continuité avec des pratiques anciennes de pacification revient à confondre des formes sociales de "gestion des conflits" avec un métier structuré pour intervenir dans des systèmes complexes.
 

Le médiateur du 21ème siècle n'est pas un tiers pouvant recourir à des moyens de pression ou des compensations occultes. Il n'est pas un "gestionnaire de crise". Son intervention s'inscrit dans un projet constructif, avec un impératif de qualité relationnelle et le prisme de l'Entente Sociale, dépassant les limites du modèle contractuel implicite.
 

La banalisation de l'accès. La médiation est souvent présentée comme une alternative douce à l'arbitrage, accessible par le dialogue et le bon sens. Cette lecture ignore la transformation des conflits contemporains : leur complexité communicationnelle, leur dimension systémique, leur inscription dans des cadres institutionnels contraints. Elle entretient l'illusion que l'expérience du droit ou du management suffit à fonder une pratique professionnelle.
 

Les discours institutionnels renforcent cette banalisation : gratuité érigée en principe, bienveillance en fondement, raisonnable en finalité. Ce glissement conduit à confondre conditions d'accès, vertus attendues et activité professionnelle. Or une profession se définit par la nature de sa fonction, non par son coût ou son intention morale. La gratuité elle-même est une fiction : la médiation de la consommation est prise en charge par les professionnels, non gratuite.
 

L'invisibilisation du travail. La difficulté économique des médiateurs est interprétée comme conséquence du caractère accessoire de la médiation. Cette lecture masque l'invisibilisation du travail d'ingénierie systémique relationnelle : diagnostic, conception du cadre, structuration du processus, régulation multi-niveaux. Cette invisibilisation entretient l'idée que la médiation relève de qualités naturelles et non de compétences méthodologiques.
 

La représentation dominante favorise un opportunisme et une confusion des rôles : un professionnel hybride, un peu juriste, un peu psychologue, un peu sociologue. Cette addition de registres ne traduit pas une richesse mais une erreur de catégorie. Médiateur est une profession à part entière, au même degré d'innovation dans les relations humaines que les professions du web dans les relations numériques. L'architecte n'est pas "un peu artiste, un peu ingénieur, un peu sociologue" ; le médiateur n'est pas une addition de fragments disciplinaires.

Définir la singularité du médiateur

Le cœur du métier. Les positionnements statutaires et déontologiques sont essentiels mais ne peuvent pallier l'absence d'un socle professionnel définissant l'objet, la fonction et la responsabilité du médiateur. Le droit nouveau qui transparaît dans la pratique est indissociable de la liberté de décision : le "droit à la médiation" nécessite d'être institutionnalisé, voire constitutionnalisé, avec concertations parlementaires. Une déconfusion pourra alors s'opérer et la tutelle inappropriée du ministère de la justice pourra être levée.
 

Le CODEOME de la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation existe depuis 20 ans et a inspiré de nombreuses organisations. Mais les adaptations l'ont repositionné par rapport aux modèles traditionnels. Le médiateur ne peut être placé sous tutelle étatique sans brouiller sa nature — comme l'illustre le Conseil National de la Médiation, à majorité écrasante issu de professions ordinales.
 

La médiation professionnelle se définit comme fonction de régulation systémique des relations humaines :
 

  • Objet : le système relationnel
  • Fonction : la restauration de la capacité d'ajustement du système
  • Méthode : une ingénierie relationnelle faite de cadres opératoires et de séquences structurées
  • Responsabilité : garantir le processus sans imposer décision ni conseil
     

La posture du médiateur est fonctionnelle, non morale. La qualité relationnelle devient une variable opératoire, observable et améliorable.
 

Un métier qui s'apprend. Le médiateur contemporain n'est pas l'héritier de figures anciennes de pacification. Il exerce un métier né de la complexification des systèmes sociaux. Son efficacité ne provient ni d'une maïeutique présupposant que les personnes auraient les ressources intimes pour résoudre leurs différends, ni de la bienveillance ou de la bonne volonté. Elle provient de la rigueur méthodologique, des processus structurés, du transfert des modes de raisonnement.
 

Cette profession suppose un changement de référentiel, non une simple reconversion. Elle s'inscrit dans l'émergence du paradigme de l'Entente Sociale — où l'exercice de la liberté de décision s'apprend — plutôt que celui de la servitude volontaire et du Contrat Social.

Conclusion

La profession de médiateur constitue une fonction sociale adaptée aux conditions contemporaines. Les systèmes relationnels du 21ème siècle se caractérisent par leur hétérogénéité croissante : mondialisation, mobilité des populations, coexistence de référentiels culturels distincts. Les modèles normatifs fondés sur l'homogénéité culturelle ou l'autorité d'un tiers tranchant atteignent leurs limites structurelles.
 

Le médiateur professionnel, parce qu'il n'impose ni norme ni solution, parce qu'il travaille sur la capacité d'ajustement des systèmes relationnels, dispose d'une pertinence particulière. Sa fonction ne présuppose pas un accord préalable sur les valeurs ; elle crée les conditions d'une élaboration commune entre acteurs porteurs de représentations différentes.
 

Cette capacité fait de la médiation professionnelle un instrument d'acculturation — non au sens d'une assimilation à un modèle dominant, mais d'une construction partagée de modalités relationnelles viables. L'altérité n'est pas un obstacle à réduire mais une donnée du système à intégrer.
 

Le paradigme de l'Entente Sociale offre un cadre opératoire pour des sociétés où la coexistence de la diversité devient la norme. Le Contrat Social présuppose une délégation d'autorité à un tiers pour trancher ; l'Entente Sociale postule que les parties conservent intégralement leur capacité de décision, le médiateur n'intervenant que sur le processus relationnel.
 

A bien regarder les actualités dans le monde, la reconnaissance de la profession de médiateur institutionnalise une fonction dont la pertinence croît à mesure que les interdépendances mondiales s'intensifient.

Propositions institutionnelles
 

  • Constitutionnalisation d'un "droit à la médiation"
  • Pour les médiations dites judiciaires : levée de la tutelle du ministère de la Justice 
  • Abrogation du Diplôme d'Etat de Médiation Familiale
  • Désectorisation des médiations
  • Médiation obligatoire dans les organisations (salariés / employeurs)
  • Commission parlementaire pour examiner les dispositifs existants
  • Autonomie professionnelle sur les modèles du journalisme / auteur

Bibliographie

 

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