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Quel espace de négociation salariale entre trappe à bas salaire et addiction des entreprises aux allègements de cotisations ?
Les directions ne sont pas enclines à la transparence sur le poids des allégements de cotisations sociales dans la masse salariale. C'est ce qu'ont répondu plus de 90 % des répondants au sondage proposé le 4 novembre 2025 dans le cadre du direct organisé par MiroirSocial et le cabinet Tandem Expertise. Mesurer ce poids est pourtant le préalable à la négociation.
L'augmentation d'un salaire situé juste au-dessus du SMIC se traduit par une baisse de l'allégement des cotisations sociales qui pèse très lourd à ce niveau. C'est une équation qui s'impose aux directions qui ont intégré la grille des allégements dans leur politique salariale. Pas question de rogner sur ces allégements auxquelles les directions ont développé une très forte addiction au fil des années. Ces allégements sont considérés comme gravés dans le marbre. "La réduction des allégements sur les premiers niveaux de salaire ne peut être que progressif", prévient Julien Sportes, le président du cabinet Tandem Expertise qui propose dans la première partie de sa présentation une chronologie du poids croissant des allégements et de ses conséquences sur les salaires.
Négocier à masse salariale équivalente
Dans le cadre d'une négociation salariale, les représentants des salariés doivent savoir ce que représentent les allégements de cotisations sociales patronales. Mieux vaut ne pas compter sur les directions pour cela. De fait, 92% des participants au direct du 4 novembre parrainé par Tandem Expertise considèrent que la direction n'est pas transparente. Connaître le montant global est une chose, accéder à une lecture analytique du montant des allégements en fonction de la structure des effectifs et des échelles de rémunération en est une autre. "A la demande des élus, dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière, nous sommes en droit d'obtenir l'accès au fichier du personnel pour mesurer finement la ventilation des allégements. A masse salariale équivalente, cela permet de mieux arbitrer et calculer les revendications", explique Julien Sportes.
C'est ce qui va par exemple permettre de décider s'il vaut mieux une augmentation générale en % où un talon, un montant forfaitaire en valeur identique pour tout le monde.
Chez Décathlon, les allègements de cotisations sociales représentent plus de 22 millions d'euros sur un résultat net de 150 millions d'euros. "Environ 80 % de l'effectif en magasin est en deçà de 1,6 fois le SMIC. Cette approche exclusivement gestionnaire se traduit par un tassement des salaires", constate Sébastien Chauvin, délégué syndical central CFDT Décathlon qui précise que la direction ne verse pas la totalité du montant des augmentations de salaires négociées du fait du turnover qui atteint les 20% pour les chefs de rayon. Un effet de noria d'autant plus fort que les salaires à l'embauche sont faibles. "La direction ne prend en compte que son prévisionnel et pas le réalisé. C'est le niveau de la rémunération variable qui a longtemps permis de compenser cette approche gestionnaire. Ce n'est plus le cas. Depuis 2021, les négociations salariales s'accompagnent d'une mobilisation des salariés sur le salaire direct. C’est nouveau", souligne Sébastien Chauvin. Un poids du variable qui peut atteindre 25 % de la rémunération globale qui explique que les allégements de cotisations ne représentent que 6% de la masse salariale, alors que la moyenne nationale est à 11%. Une rémunération variable dont une partie est bloquée pendant 5 ans sur le plan d’épargne d’entreprise et donc non disponible…pour alimenter le pouvoir d’achat.
Dégradation de la valeur
Dans le secteur du transport des marchandises, on est largement au-dessus de cette moyenne. Les conséquences sont majeures sur la capacité à recruter et à solvabiliser le financement du régime de retraite anticipée du secteur. Pour Stanislas Baugé, secrétaire fédéral FO Transports, "on va dans le mur avec une pénurie de 50 000 conducteurs. Tout est fait pour faire remonter la valeur dans la holding au travers des filiales spécialisées dans l'immobilier, la location, la réparation, l'exploitation de la marque. Au final, les agences où se concentre la masse salariale sont artificiellement rendues déficitaires ou à la limite de l'être. C'est ainsi que les directions justifient la nécessité des allégements de cotisations". Raison de plus pour être en capacité d'éclairer les autres dimensions économiques et financières de l’entreprise lors des négociations.
Puisque les directions sont accros aux exos il ne faut pas négliger d'intégrer dans les négociations obligatoires les leviers périphériques de pouvoir d'achat, ou de vivre, qui en bénéficient comme les titres restaurant, les CESU, le Forfait Mobilité Durable (FMD) ou encore la complémentaire santé...Des directions d'autant plus enclines à mesurer l'intérêt de ces exonérations qu'elles sont dans le collimateur de l'exécutif à l'image de sa proposition de taxer à 8% les titres-restaurant et les chèques-vacances. Une proposition rejetée à l'Assemblée nationale le 6 novembre dernier.
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