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07 / 11 / 2014 | 7 vues
Audrey Minart / Membre
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Consulting : quelle qualité de vie au travail ?

Lucie Noury, 27 ans, doctorante, a reçu le soutien du DIM Gestes en 2012, pour un projet de recherche sur la qualité de vie au travail dans les entreprises de services professionnels. Le DIM Gestes, un groupe d’étude interdisciplinaire sur le travail et la souffrance au travail financé par la région Île-de-France, qui accompagne les projets de jeunes chercheurs via des allocations doctorales et post-doctorales. 

« J’ai toujours eu une appétence pour l’humain dans les organisations mais je n’en savais pas plus que ça… J’avais donc pensé m’orienter vers le conseil en management ou en ressources humaines ». C’est dans le cadre d’un stage dans un cabinet de conseil, alors que Lucie Noury terminait ses études à l’École supérieure de commerce de Paris, qu’elle a réalisé qu’elle préférait de loin observer les dynamiques internes plutôt qu’intervenir dans le cadre contraint des missions. « C’était naturellement orienté vers l’action, tout se faisait dans l’immédiateté… Mais j’avais besoin d’une posture plus réflexive. Observer le fonctionnement du cabinet était passionnant ».

Elle réalise alors un mémoire sur le thème de l’espace de travail, à l’heure où venait de paraître l’ouvrage L’open space m’a tuer . « De fil en aiguille, je me suis intéressée aux questions de comportements territoriaux et à l’identité au travail. Je me suis rendu compte à travers mes entretiens, et aussi parce que je suis entourée de personnes travaillant dans le conseil, que beaucoup se plaignaient de leurs conditions de travail… »

Mais l’idée de faire une thèse ne s’est pas présentée tout de suite. En effet, à l’obtention de son diplôme en 2010, elle entame un master de recherche en gestion en partenariat avec son ancienne école, tout en travaillant en parallèle avec ses anciens collègues de stage qui avaient décidé de quitter leur cabinet pour créer leur propre structure. Puis elle décide de s’expatrier à Londres pendant un an. Elle revient en France (nous sommes alors en 2012) et la jeune femme postule à un soutien pour pouvoir financer sa thèse, ce qu’elle obtient.

Elle est accueillie au Centre de gestion scientifique (CGS – Mines ParisTech), au sein de l’équipe « travail, métier, organisation » dont les travaux portent sur les mutations et les crises des métiers et des identités professionnelles dans le cadre d’une économie reposant sur la connaissance et l’innovation ainsi que sur des services à forte valeur ajoutée. Elle est rattachée à l’école doctorale « économie, organisation, société » et son travail de thèse est encadré par Jean-Claude Sardas et Sébastien Gand.

Quelle autonomie pour les consultants ?

Pour nourrir sa thèse, Lucie Noury s’est notamment inspirée de la sociologie anglo-saxonne des professions. « Mais ces analyses se sont très souvent réalisées indépendamment du contexte organisationnel des professionnels ». D’où un corpus, dans les années 1990, qui tendait à encourager l’étude de formes d’organisations un peu différentes, parmi lesquelles celle des entreprises de services professionnels : avocats, experts comptables, puis les « néo-professions », moins institutionnalisées, parmi lesquelles figurent les cabinets de conseil.

Quelle est leur particularité organisationnelle ? « La hiérarchie est très pyramidale : on retrouve les jeunes tout en bas et les associés à la tête. Ce qui est très distinctif par rapport à une entreprise classique, en termes d’enjeux autour de l’autonomie, de la relation clients… C’est une organisation atypique. Un certain nombre d’auteurs ont donc montré qu’il fallait l’étudier et la penser au delà de la profession… » Quelle autonomie, justement, pour ce type de professionnels ? « La première littérature en sociologie des professions les décrit comme étant extrêmement autonomes mais on voit bien que c’est un peu plus complexe… Il existe une hiérarchie d’apprentissage. On ne devient pas tout de suite un avocat ou un consultant autonome ». Un type d’organisation qui est né au XIXème siècle, dans un cabinet d’avocats, Cravath, où les jeunes formés dans des « law schools », et n’ayant donc jamais pratiqué, entraient dans ces organisations et apprenaient peu à peu le métier, jusqu’à devenir un jour, eux-mêmes, associés.

« Up or out »

« Ce système ne fonctionne que s’il est pyramidal et donc uniquement si les gens partent au fur et à mesure… Parce qu’il ne peut pas y avoir autant d’associés que de jeunes, qui entrent dans l’organisation pour y grimper ensuite. » D’où ce système du « up or out » : « soit on monte, soit on sort. Donc, l’autonomie n’est bien sûr pas totale ».

D’autres travaux, critiques, ont montré que les consultants étaient soumis à une pression normative comportementale et qu’ils n’avaient aucune marge de manœuvre. Peut-être est-il possible de trouver un juste milieu entre ces deux interprétations ? D’autant plus que tous ne semblent pas forcément adhérer à ce système organisationnel caractérisé par une compétition accrue, où les consultants sont classés en permanence, notamment via des listes de hauts potentiels…

« Signes de professionnalisme »

Mais, au juste, en quoi consiste exactement l’activité d’un consultant ? « Il leur est difficile de répondre lorsqu’on leur demande ce qu’ils font… » D’où l’intérêt d’avoir eu, elle-même, une expérience dans le domaine. « C’est un travail très intangible, très local, il change d’un cabinet à l’autre et d’une mission à l’autre… » Mais dans tous les cas, les consultants sont réputés travailler de très nombreuses heures… Comment le vérifier ? « Il y a une vraie difficulté méthodologique à objectiver leur temps de travail… Je n’ai accès qu’à ce qu’ils me disent puisque je ne procède que par entretiens. Il est donc difficile de l’objectiver, d’autant plus que dire que l’on travaille beaucoup fait partie des « signes de professionnalisme ». Il faut dire que l’on est disponible, que l’on est capable d’une énorme charge de travail, que l’on tient les délais… Ce sont des signes à donner aux clients et aussi en interne. Toujours dans l’idée de monter dans la hiérarchie… Il y a donc une distance à prendre sur ce qu’ils me disent car leur discours est pris dans des enjeux de légitimité ».

Qualité de vie au travail contre réputation ?

Plus aisé, dans une telle culture, de parler de « qualité de vie au travail » que de « santé ». « Cette formulation leur parle et est moins tabou ». Le sujet n’en reste pas moins sensible. « Il n’est pas évident pour les consultants de parler de leurs difficultés… Ils sont pris dans des enjeux de réputation et d’image en permanence en interne. Les cabinets eux-mêmes sont pris dans ces mêmes logiques auprès de leurs potentiels clients. C’est donc un sujet assez difficile à aborder ». Ce qui explique que la jeune doctorante s’est parfois vu répondre, par des associés de cabinet, que la qualité de vie au travail n’était pas un enjeu. « Il est arrivé que l’on me dise : « on n’est pas là pour ça, les gens savent que s’ils viennent ici, c’est pour en baver… Au final, quand ils sortent, ils ont un très bon CV. Ils sont bien payés et donc pas à plaindre ». Une réaction que Lucie Noury juge finalement plutôt « cohérente avec le modèle ». « Tant que tout va bien, on reste. Sinon, on part. De toute manière, il faut que des gens partent du fait de ce système « up or out ». Ce n’est donc pas problématique pour eux. S’ils veulent une meilleure qualité de vie, ils se disent qu’ils n’ont qu’à aller chez le client ».

Dans d’autres cabinets, au contraire, la qualité de vie au travail représente un enjeu, même si cette question implique des difficultés organisationnelles, les consultants devant se montrer le plus disponible possible pour les clients… « Mais ils souhaitent éviter que leurs consultants ne s’épuisent. C’est donc l’objet de ma thèse : jusqu’où les cabinets peuvent-ils se permettre de faire l’économie de penser ce sujet-là ? » Ce qui implique de s’interroger sur la définition des « meilleurs » éléments. « Est-ce qu’on ne sélectionne pas, en réalité, ceux qui sont les plus endurants ? Ceux qui acceptent cet équilibre de vie, bon ou mauvais (ce qui est subjectif), ceux qui arrivent à tenir ? Or, si les gens partent, non parce qu’ils ne sont pas bons mais parce qu’ils souffrent de ce qu’ils considèrent comme étant une mauvaise qualité de vie, cela peut être problématique pour les cabinets… »

« Fast-tracking », spécialisation ou flexibilité ?


La jeune chercheuse a par ailleurs commencé à distinguer plusieurs types de professionnels. Les « fast trackers », tout d’abord, qui adhèrent totalement à cette organisation. « Certains calculaient combien de temps ils pouvaient passer sans dormir et combien était nécessaire pour récupérer. Il s’agissait de cas extrêmes ». Autre profil : ceux qui cherchent à se spécialiser, alors que la polyvalence est hautement recommandée, a fortiori pour les juniors et dans les cabinets de petite ou moyenne taille. « Mais réussir à ne se placer que sur les missions qui correspondent à notre spécialité, sachant que refuser une mission est très mal vu, demande des stratégies individuelles un peu particulières. Il faut élaborer des stratégies en amont, ce qui suppose d’être souvent présent dans le cabinet, quand certains passent leur temps chez le client. Cela demande aussi un investissement important et des qualités relationnelles, un peu de sens politique… Beaucoup échouent ».

Figurent aussi, dans cette typologie, ceux qui, s’efforcent de trouver un équilibre en aménageant leur temps de travail à travers des horaires adaptés, des congés sabbatiques, du temps partiel ou bien en faisant du télétravail par exemple. Parmi eux figurent d’ailleurs certains consultants qui étaient dans la première catégorie et qui, après avoir eu des problèmes de santé, ont cherché à « aménager une certaine flexibilité dans leur travail ». « Au début je pensais que la flexibilité était la solution idéale mais ceux qui l’ont choisie ne travaillent pas moins. Même s’ils ne vont pas chercher à en faire systématiquement plus, ils font toujours de nombreuses concessions ». Il n’en reste pas moins que favoriser la flexibilité semble être une piste. « Quel levier pour la permettre ? Même si ce n’est pas la solution idéale et qu’elle ne fait pas consensus… »

En effet, améliorer la flexibilité de ses consultants demanderait de prendre en compte certaines contraintes : comment assigner les projets ? « Si une femme avec des enfants en bas âge demande à ne pas partir à l’étranger pendant trois semaines, il faut non seulement trouver un autre consultant mais également lui trouver d’autres missions. Comment, donc, organiser le temps de travail ? Par des jours de récupération ? Sachant que certains projets, en management par exemple, durent deux ans. Comment vendre les missions aux clients ? » Des interrogations plus macro-économiques qui compliquent donc la prise en compte de cette qualité de vie au travail… Pour l’instant du moins.

Références bibliographiques : disponible sur la page de Lucie Noury, CGS - École des Mines

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Il n'y a ici aucune véritable conclusion. La doctorante a pour objectif, dans le cadre de sa thèse qui n'est pas encore terminée, à traiter des "services professionnels", ce qui peut aussi comprendre les avocats, experts comptables, etc. et il me semble aussi les architectes. Mais elle se penche en particulier sur les consultants. Comme un autre chercheur pourrait choisir un autre "terrain" de recherche. Il est donc probable que ses conclusions de thèses, lorsqu'elles seront formulées/démontrées/argumentées, ressemblent à celles d'un autre chercheur... qui se sera focalisé sur d'autres professions. Mais pas forcément. Nous le saurons quand elle aura terminé.