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12 / 01 / 2015 | 6 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Coup de torchon magistral sur les CHSCT : les questions que pose la suppression de cette instance autonome

Une discussion est engagée depuis plusieurs mois pour modifier les conditions d’exercice du dialogue social dans les entreprises de notre pays. Si la feuille de route donnée aux organisations syndicales et patronales par le gouvernement était relativement équilibrée au départ, il semble que la négociation sociale très avancée et qui devrait s’achever le 19 janvier s‘apprête à donner un coup de torchon magistral sur les CHSCT.

Dans l’accord envisagé entre le MEDEF et certaines organisations syndicales, les CHSCT  seraient supprimés en tant qu’instance autonome et « résorbés » au sein d’une instance unique : le conseil d’entreprise. Les questions que pose cette évolution méritent que l’on s’ y arrête. Même si cette négociation renvoie à des enjeux globaux qui concernent bon nombre d’aspects, par exemple la prise en compte des parcours syndicaux.

Une question centrale taraude les négociateurs. Faut-il aller jusqu’à la suppression de cette instance « historique » installée par les lois Auroux en 1982 pour obtenir un accord ? 

La création d’une « commission HSCT » au sein d’un conseil d’entreprise ramène à la situation qui prévalait avant 1982. Elle emporte tellement d’interrogations que la sagesse voudrait que l’on prenne quelques semaines de plus pour bien en cerner toutes les conséquences. Ce d’autant que les événements dramatiques de ces derniers jours n’ont pas permis que s’ouvre dans ce chaos médiatique et sociétal un véritable débat entre les citoyens.

L’idée n’est pas de perdre du temps mais de rénover à bon escient, de se retrouver dans une véritable modernisation et non dans un recul historique et subi, en matière de prévention et de régulation. Il est d’ailleurs probable que ce recul se retournerait à terme s’il avait lieu , contre les employeurs et les entreprises.

Le CHSCT est en effet très souvent le point d’équilibre au sein des firmes

L’instance qui permet de mettre en débat le travail réel et de réunir à égale dignité autour de cette problématique qui fait sens pour tous, les diverses parties en présence ainsi que la médecine du travail (elle-même dans l’attente d’une profonde réforme). Si la prévention devait s’affaiblir faute de ses militants impliqués et spécialisés que sont les membres du CHSCT, la nature ayant horreur du vide, le non-traitement des multiples petits problèmes, des crises ou mini-crises déboucherait inévitablement sur un recul de l’implication globale des salariés avec une montée de l’absentéisme et du présentéisme et sans doute l’émergence de tensions et de violences à grande échelle dans les emprises. Il est par ailleurs probable que la judiciarisation des relations professionnelles progresserait fortement.

Le CHSCT est une instance spécialisée bénéficiant de la personnalité morale et juridique qui fonctionne, il convient de relire en cela le rapport du Professeur Pierre-Yves Verkindt, seul bilan disponible récent et intéressant sur la question. En effet, le travail effectué en raison de l’implication de milliers d’élus chaque jour, n’apparaît pas en lumière car ce qui marche reste souvent invisible. Mais ne soyons pas aveugles, cela existe. Le CHSCT permet que des situations de travail contrastées ne deviennent délétères. Ne nous y trompons pas, une partie des employeurs est attachée à cet équilibre qui préserve aussi de nombreuses dérives et de l’émergence d’une trop grande violence au sein des collectifs du travail.

  • Ainsi, la direction des ressources humaines du groupe Orange (ex-France Telecom), bien placée pour connaître l’importance de cette instance de régulation, a déclaré dans son discours lors des vœux début janvier devant l’ensemble des représentants du personnel qu’elle n’approuvait pas le projet de fusion des CE et CHSCT.

Bien entendu, la base syndicale est très attachée à cette instance. Dans leur immense majorité, les secrétaires des CHSCT, quand ils sont informés, sont sidérés lorsqu’ils découvrent le projet que dépose sur la table de négociation le MEDEF ; d’ailleurs, aucun n’envisage sérieusement que leur organisation puisse signer cette amputation. Les responsables syndicaux dans les fédérations ou les unions départementales sont eux aussi (tous syndicats confondus) dans l’attente d’une issue par le haut que serait la sanctuarisation de toutes les prérogatives du CHSCT.

Cette sortie par le haut est-elle possible ? Quelles sont les questions que pose en cela la création de la commission HSCT au sein du conseil d’entreprise qui, d’après les négociateurs les plus offensifs, prendrait la relève du CHCST ?

Combien de personnes jusqu’alors massivement investies dans les CHSCT se trouveront sans mandat ?

C’est l’un des plus graves risques de cette réforme. Il y  a environ 26 000 CHSCT actifs en France. Par un rapide calcul, on comprend que plus de 100 000 élus verraient directement leur mandat s’arrêter avec la réforme. D’où la question : est-il crédible de moderniser le dialogue social en amputant une telle cohorte d’élus actifs et investis au quotidien ? Maitre Gaillard, spécialiste en droit social, estime que si le projet du MEDEF allait au bout, 60 % de l’ensemble des mandats tomberaient (voir article dans Miroir Social) avec l’instauration de l’instance unique et le relèvement des seuils. Une question annexe se pose : le syndicalisme déjà exsangue peut-il se permettre une telle saignée ? Une telle désorganisation ? Ce d’autant que le renouvellement syndical passe souvent par le CHSCT.

  • Autre question essentielle, la réglementation actuelle protège pendant 6 mois après la fin de leur mandat, les personnes qui se sont investies dans les instances de représentation du personnel. L’achèvement du mandat est soit désiré, soit programmé au cours du renouvellement électoral, en tous les cas, anticipé par les intéressés. Ces derniers (qui se sont parfois beaucoup investis pour préserver des risques professionnels leurs collègues) se trouveront le cas échéant exposés.

Quel filet de prévention dans les firmes entre 50 et 500 salariés ?

La commission serait obligatoire seulement à partir de 500 salariés c’est-à-dire simplement au sein des grandes entreprises. Actuellement, le CHSCT est de droit dans toutes les entreprises à partir de 50  salariés. Si demain il convient de signer un accord pour obtenir ladite commission, il s’agira d’un vrai désastre en termes de prévention car pour signer un accord, il faut être deux. Il n’est pas certain qu’une partie du patronat voudra spontanément « se prendre la tête avec cette question », le filet de prévention serait alors inexistant dans les firmes entre 50 et 500 salariés.

Fin de la spécialisation

Le CHSCT a deux grandes vertus : la proximité des salariés et l’action sur le terrain pour mener diverses enquêtes etc. Qu’en sera-t-il demain avec des membres de la commission si cette dernière voyait le jour, ceux-ci ne seraient plus spécialisés et n’auraient plus de temps car occupés par de multiples taches ?

  • Qui plus est, en cas d’entreprises multi-sites, comment s’articulerait l’action de ladite commission sur les divers emplacements ?

Quelle capacité juridique ?

Le CHSCT a la possibilité d’ester en justice. En sera-t-il de même demain si la commission voit le jour ? Cette question est essentielle car l’entité autonome et spécialisée a permis depuis trente ans, le développement d’une jurisprudence riche en matière de prévention et qui serait alors sacrifiée. Par ailleurs, une commission qui aurait perdu au passage cette dimension  juridique ne serait plus qu’une coquille vide, elle serait sans pouvoir réel d’influence voire de contrainte donc elle ne pèserait plus rien.

Les conséquences de la codésignation et du co-financement ?

La commission HSCT ne pourrait plus recourir à des experts indépendants et agréés par le ministère du Travail, comme c’est le cas dans le cadre de la réglementation actuelle. Le recours à expert serait l’objet d’une codécision employeur (élus et d’un co-financement dont une partie non négligeable de 20 % sur le budget de fonctionnement du nouveau conseil d’entreprise). Plusieurs questions se posent. Peut-on subordonner le recours à un expert pour risque grave à une question de disponibilité de budget ? Imaginons qu’un élu décide de ne « pas investir » pour traiter un risque grave présent pourtant dans l’entreprise, en confiant au besoin une mission à un tiers préventeur. Le risque non traité débouche alors sur un préjudice humain ou matériel. Dans ce cadre, quelle serait alors sa responsabilité juridique voire pénale et morale ? Quelle serait celle de la direction ? Dans ce cadre de responsabilité partagée en raison de l’investissement commun, comment serait appréciée l’obligation de résultat en matière de santé et de sécurité au travail qui incombe aux dirigeants ? Plus généralement, comment dans ces conditions envisager la prévention qui exige toujours une très  grande réactivité pour éviter d’importants et coûteux préjudices ?

  • Peut-on demander à un dirigeant « maltraitant » (et il y en reste quelques-uns) ou à un dirigeant trop pressé de voir aboutir ses réformes, de s’embarrasser d’une quelconque discussion et de participer à la désignation  d’un expert d’un commun accord ? Si la direction ne veut pas d’expert, il n’y en aura pas. Si elle l’accepte, elle imposera quelqu’un de son choix de manière unilatérale.  Il n’y a plus d’équilibre. Qui plus est, quelle sera la latitude d’un expert pour mettre en question un projet « mal ficelé, voire dangereux » et ils sont pléthore, s’il dépend pour sa mission de la décision de l’employeur ? La codécision signifie la perte d’indépendance de l’expert, ce qui n’est pas réjouissant pour les directions car l’expert, par son travail, éclaire des points qui remontent du terrain. Sur les apports de l‘expertise, je renvoie à l’étude réalisée sous la responsabilité du sociologue Henri Vacquin par l’équipe Technologia et qui montre comment, le cas échéant, elle pourrait être encore améliorée au profit des entreprises et des salariés.     

Pour finir, étant donné les enjeux, il pourrait être formidable pour une fois, plutôt que de décider en conclave fermé, de lancer une enquête auprès des milliers d’élus concernés directement par la question. À n’en pas douter, cette enquête démontrerait le passionnant attachement des représentants du personnel à cette instance.

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