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03 / 07 / 2012 | 53 vues
Sylvain Thibon / Membre
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Vivendi : le conglomérat, un monstre à abattre ?

Le départ du patron de Vivendi, Jean-Bernard Levy provoque de multiples réactions des acteurs économiques et des marchés financiers.

Dans le même temps, 15 000 salariés en France, 58 000 dans le monde attendent maintenant des décisions qui pourraient changer leur destin professionnel...

Aujourd’hui, ces salariés sont inquiets. Ils risquent en effet de faire les frais d’une politique aventureuse qui au lieu de renforcer les fondamentaux de nos entreprises, pourraient les affaiblir.

Maroc Telecom vient de clore un plan de départs volontaires pour 500 salariés. Il se murmure que SFR pourrait proposer à 1 000 salariés de quitter l’entreprise, UMG se sépare aussi de nombreux salariés… Mais une implosion du groupe Vivendi pourrait se traduire par une hémorragie de salariés dans tous les secteurs du groupe, un véritable traumatisme social.

Avant de tenter d’entrer dans le fond de cette affaire, nous voulons tout d’abord reconnaître en Jean-Bernard Levy un patron disponible pour le dialogue social. Un dialogue qu’il a toujours accepté de mener dans les différentes instances sociales du groupe, comité de groupe, instance de dialogue européenne…

Jena-Bernard Levy n’a pas démérité, il a redressé le groupe. Malgré des divergences bien naturelles avec les partenaires sociaux, il n’a jamais refusé d’engager le débat d’idées, ou la confrontation sur des sujets sociaux et organisationnels. Espérons qu’il en sera de même dans le proche avenir.


Mais que reprochent donc les marchés financiers à Vivendi ?

Que ce groupe international, premier sur beaucoup de ses marchés dans le monde, serait un conglomérat informe et illisible. Cette illisibilité serait responsable de la décote boursière de l’action et donc du courroux des actionnaires qui pour certains espèrent toujours retrouver un jour le paradis perdu, lorsque l’action avoisinait les150 €.

Il faudrait donc dépecer le groupe pour retrouver une lisibilité favorable au cours de l’action. Mais rien n’est moins sûr...

  • Le « conglomérat », un monstre à abattre ?

Quand on regarde de près de grandes entreprises internationales, beaucoup d’entre-elles ne sont pourtant que des conglomérats aux activités parfois bien disparates et hétéroclites.

Quelques exemples

Hitachi
Fabricant de semi-conducteurs, mais présent dans la construction navale, fabrique aussi des écrans LCD, des disques durs, des appareils électroménagers, des équipements pour les centrales nucléaires, ainsi que des pelleteuses. C’est cette société qui conçoit le train à grande vitesse japonais le shinkansen… Vous en voulez encore ? La même société fabrique des climatiseurs et des pompes à chaleur, des échographes, des scanners…

Yamaha

Construit et distribue des motos, des vélos, des motoneiges, des moteurs de hors-bord, et bien sur des instruments de musique, de la hi-fi… De plus, Yamaha a ouvert des écoles de musique dans le monde entier qui reçoivent 710 000 élèves.

Samsung
Fabricant de télés, de téléphones, d’appareils-photos, de caméras, d’imprimantes, de réfrigérateurs, de micro-ondes, d’aspirateurs, de climatiseurs, d’ordinateurs portables… Samsung est aussi présent dans la construction navale, le bâtiment, le génie civil… Mais c’est en Corée.

Plus près de chez nous, Bouygues
Présent bien sûr dans le BTP, son activité historique, mais aussi la distribution de l’eau, les plateformes pétrolières, Bouygues contrôle la société Alstom et est présent dans la télévision avec TF1, LCI, TFC, TV Breizh, la chaîne Histoire. Sans oublier Bouygues Telecom, 3ème opérateur national du mobile.

Et Bolloré

Que l’on dit prêt à monter au management de Vivendi ou de Canal+. Ce groupe est d’abord présent dans les transports, la logistique, la distribution d’énergie (le fioul domestique), l’industrie, mais aussi la fabrication de terminaux de billetterie, de contrôle et de lecture pour les réseaux de transports ou encore les télécoms. Il est aussi leader dans le film d’emballage et fabricant de batteries. Il exploite le cinéma Mac Mahon à Paris, possède 10 % du capital de Gaumont, 18% d’Euros médias groupe, tout en prenant sa part du service parisien Auto Lib.


Faudrait-il démanteler tous ces groupes pour un meilleur rendement de leurs capitaux ?

Pour Vivendi, ce choix pourrait se révéler comme une équation de court terme.

La preuve : la simple annonce de l’éviction de Jean-Bernard Levy de son poste de patron a fait immédiatement grimper l’action de 4,5 %. Les analystes des marchés financiers seraient-ils aussi stupides au point de préférer un groupe sans pilote ? Encore un bel exemple des aberrations des traders qui massacrent une valeur parce qu’elle fonctionne et donne des dividendes tous les ans. Cette année, le rendement est de 7 %. C’est bien, mais c’est encore trop peu.

Faut-il s’incliner devant le diktat des marchés financiers ?

  • Séparer les médias des télécoms est le scénario privilégié pour mieux valoriser les actifs.

La mise en œuvre d'une telle option est toutefois complexe politiquement, fiscalement et financièrement. Car démembrer le groupe nécessiterait de réaffecter à chaque filiale sa propre dette, sa trésorerie et son déficit. Un véritable casse-tête, qui pourrait, au final, amoindrir la création de valeur tant recherchée pour chaque entreprise de Vivendi. Cette hypothèse serait donc hasardeuse.


Pourquoi démanteler ?

  • La diversification des activités permet justement d’avoir toujours 2 jambes pour tenir quand l'un des marchés est au point bas. Canal+ a été sauvé grâce à la recapitalisation opérée en 2002 par Vivendi pour un montant de 3 milliards d’euros. Sans l’actionnaire, Canal+ n’aurait pas survécu, tout du moins dans sa forme actuelle. Si les activités médias venaient à être séparées des activités télécom, la question portant sur cette recapitalisation pourrait se poser. Vivendi ferait ainsi un joli « cadeau » au futur repreneur…


Vivendi, un conglomérat d'entreprises rentables

Démanteler pour des intérêts particuliers ou des partages de pouvoirs ? Rien n’est à exclure, y compris l’approche bling-bling.

Autre reproche, le rachat très chèrement acquis des 44 % que possédait Vodafone dans SFR. Oui, ces 8 milliards d’euros auraient pu servir l’investissement durable plutôt que les intérêts de Vodafone.

Toutefois, la perte de valeur supposée est surtout le fait de l’arrivée du 4ème opérateur sur le marché français. L’aberration économique, le gâchis social que produit cette arrivée réalisée dans des conditions discutables commencent à inquiéter au-delà des cercles économiques. SFR en paie le prix fort. Mais un peu de retenue. Si SFR voit ses marges se réduire, elles restent encore de très bons niveaux. Rappelons que SFR ce n’est pas seulement le mobile mais aussi le fixe. Splitter SFR et Canal+ soit disant pour absence de synergies, c’est avoir une vision purement et exclusivement financière de nos entreprises.

Que demander aux actionnaires ?
Ne faut-il pas revenir au vrai but de la bourse qui est de mettre en liens des porteurs de projets avec des investisseurs « industriels » en échange d’un dividende ?

Sommes-nous des industriels ou des financiers ? Une entreprise, c’est une aventure sur un métier qui a besoin d’assises financières solides et des salariés investis. Sans les salariés, vous ne ferez rien, ou alors en moins bien.

Les synergies potentielles entre filiales du groupe deviendraient impossibles alors que certaines sont aujourd’hui envisageables, dans les technologies, dans le commerce, dans le marketing. Ces filiales qui trouvent en l’actionnaire une stabilité rassurante.

Démanteler un groupe international de cette envergure peut légitimement inquiéter. Le remède pourrait être pire que le mal. Le « court-termisne » des marchés financiers pourrait affaiblir l’un des fleurons de notre industrie française alors que les mutations technologiques en cours imposent au contraire de construire des groupes solidement arrimés. Sans oublier les 60 000 emplois directs et les centaines de milliers indirects. Sans occulter le soutien à l’industrie du divertissement et de la création en France et en Europe.

Les enjeux de cette affaire vont rapidement dépasser le simple terrain économique pour atteindre celui du social et du politique. Des terrains où nous serons présents s’il le faut.

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