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28 / 01 / 2016 | 458 vues
René Guyader / Membre
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Suicide au Bureau Véritas : si j’avais su, si etc.

« Triste nouvelle ». C’est avec ce titre et un communiqué un peu laconique que la directrice de la région Bourgogne-Picardie-Champagne-Ardenne a prévenu son personnel de la mort de l’un de ses salariés. Cette information est parvenue au CHSCT avec un complément selon lequel il semblait qu’il s’agissait du suicide d’un inspecteur âgé de près de 56 ans, spécialiste en prévention incendie.

Les renseignements pris au cours d’un déplacement à Auxerre confirment effectivement cette supposition. Les membres du CHSCT constatent sur place la détresse de l’entourage professionnel de la victime. Il nous a été dit qu’ils avaient eu conscience des problèmes psychologiques de cet inspecteur qui ne les avait rejoints que depuis quelques semaines. Nous avons entendu les aides matérielles qu’ils avaient apportées ainsi que le soutien moral qu’ils s’étaient efforcés de lui prodiguer. Hélas, nous avons aussi beaucoup entendu de « si j’avais su, si etc. ». Les pauvres faisaient peine à voir et à entendre.

Commission d'enquête

La commission d’enquête a essayé de leur faire comprendre qu’ils avaient agi avec la meilleure volonté, avec leur cœur et qu’ils l’avaient fait avec bienveillance. Nous avons aussi dit et répété qu'en pareille situation, on n’arrivait pas toujours à un résultat positif ; que même les psychologues ne réussissait pas toujours. Nous avons vu des larmes couler sur des visages ravagés… Nous-mêmes, membres du CHSCT, avons eu des difficultés car les élus ne sont pas formés pour réagir à ce genre de situation. Tout au plus faisons-nous appel à notre capacité d’écoute et à notre empathie et montrons-nous la plus grande compassion.

Au cours des entretiens menés avec tout le personnel présent ce jour-là, direction, hiérarchie, itinérants et sédentaires nous ont confié que les problèmes qui affectaient notre inspecteur étaient présents avant son arrivée en Bourgogne et qu’ils n’étaient pas que d’origine personnelle (un divorce).

Décision a donc été prise de poursuivre l’enquête dans la région où notre inspecteur avait été en poste pendant 18 ans : Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon.

En difficulté depuis 2011

Le déplacement à Toulouse a été riche d’enseignements. Le salarié, handicapé par des problèmes de dos (résultant d’un accident) souffrait de mal-être depuis au moins 2011. Il avait alerté sa hiérarchie et appelé au secours à de nombreuses reprises. Il avait aussi sollicité la médecine du travail et les représentants du personnel. Il avait évoqué pêle-mêle sa surcharge de travail, ses nombreux déplacements et ses difficultés à maitriser les outils informatiques qui lui étaient imposés sans réelle formation.

Nos investigations ont mis en lumière beaucoup de documents écrits, des courriels échangés, des certificats médicaux et surtout des déclarations de temps de travail et de déplacements, tellement chargées que nous nous sommes demandé comment il avait pu « tenir ».             

En effet, notre inspecteur avait une charge de travail affolante et ses semaines étaient en moyenne de près de 45 heures en 2013 et plus de 50 heures en 2014. À ces heures, il fallait encore ajouter son temps de transport pour effectuer de 900 à 1 800 km par semaine en voiture, des déplacements à Nîmes et Alès depuis Toulouse, une mission à Rouffiac et une autre à Béziers le même jour. Nous avons de plus noté des journées du samedi en clientèle ou sur la route et des rapports réalisés le dimanche. Tout ceci après la mise en place d’une organisation optimisée et gérée par une administrative (qu’est-ce que ça devait être avant ?) pour améliorer les « performances » de cet inspecteur et l’accompagner suite à une dépression en 2012.

La hiérarchie nous a dit ne pas avoir eu connaissance de la situation… Aux difficultés liées à la charge de travail physique, il faut ajouter la charge psychologique, des relations parfois difficiles avec les clients, des problèmes liés à l’utilisation d’un logiciel « métier » capricieux.

L'inspecteur n’a bénéficié de formations « informatiques » que tardivement (2013).

Pas étonnant que sa vie familiale en ait été gravement affectée jusqu’au divorce et à la séparation d'avec son fils.

S’il avait changé de région, c’était pour repartir à zéro, avait-il confié à son arrivée en Bourgogne. Peut-être était-il trop pressé ? La première désillusion a été la goutte d’eau…

Autre accident malheureux

Ce suicide n’est en réalité pas le premier au Bureau Véritas ; il y a eu un précédent en Bretagne.                                                                                  

Dans ce cas, c’était un inspecteur de l’agroalimentaire qui s’était défenestré à son domicile. La hiérarchie avait évoqué un accident malheureux. Les enfants de la victime ont relaté les déboires professionnels de cet inspecteur. Ils ont vécu la perte totale de l’estime de lui-même qu’il avait subi et la déchéance qui avait suivi. Là encore, les outils informatiques avaient  eu un effet désastreux et leur père d’ordinaire si joyeux, s’était peu à peu muré dans le silence. Lui, le chef de famille, était trop gêné d’avoir besoin de ses enfants quotidiennement pour réussir à faire face aux contraintes des rapports informatisés. Il a mis fin à ses jours deux semaines avant le mariage de sa fille. Fort heureusement, ces situations désespérées restent exceptionnelles. Il n’en va pas de même dans les cas de stress aggravé et les dépressions. Nous avons connaissance de nombreuses personnes en difficulté mais nous ne sommes hélas informés que tardivement ou pas du tout ; il est alors difficile de mener des actions efficaces. À ce jour, il n’y a toujours pas d’accord sur le « stress » de signé au Bureau Véritas et la situation vis-à-vis des risques psycho-sociaux est inquiétante.

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