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18 / 10 / 2018 | 6 vues
Jean Louis Cabrespines / Membre
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Que devient l’ESS ?

L’économie sociale et solidaire (ESS) a-t-elle peur ?

Une telle question peut paraître incongrue mais semble à l’ordre du jour tant nous entendons le silence angoissant qui pèse sur les acteurs qui composent cette ESS. Quand nous disons ESS, nous pensons à toutes ces entreprises qui œuvrent sur le territoire et au niveau national, ayant choisi l’un ou l’autre des statuts inhérents à ce secteur, les nouvelles entreprises entrées depuis la loi de 2014 ou encore ces collectivités ayant choisi d’accompagner les politiques de développement local avec les acteurs de l’ESS.

L’ESS semble tétanisée, en attente de ce qui se passera face à un haut-commissaire qui n’a que le « French impact » à la bouche, reniant à travers ce programme ce que sont les principes et les valeurs de l’ESS et un gouvernement qui ne reconnaît l’ESS que pour valoriser sa propre action mais qui prend peu en considération les entreprises elles-mêmes.

Les propos optimistes de certains acteurs ne font que masquer la réalité ; l’examen attentif des propositions faites dans le PLF 2019 montre que, derrière une augmentation du budget, se cache une réaffectation de certaines lignes et la suppression de certains axes de développement.

Parallèlement, des rencontres se déroulent mais restent encore très méconnues.

Dans l’ESS, aurions-nous fait nôtre la maxime : « pour vivre heureux, vivons cachés » ?Pendant ce temps, face à l’immobilisme des grandes représentations nationales, certains se disent ou se font reconnaître comme représentants de l’ESS en France et ailleurs. Chacun s’en émeut, personne ne le dit ! On recycle ceux qui ont conduit l’ESS dans des chemins de traverse pour leur demander d’animer le territoire, alors que leurs pratiques anciennes ont montré les limites de leur connaissance et de leur action.

Mais est-ce cela, l’ESS ? Est-ce un secteur qui délaisse ses fondamentaux parce que certains ont décrété que « l’ESS, c’est ce que je décide » ?

Bien sûr, acteurs de l’ESS, nous ne pouvons que nous réjouir de voir notre conception du développement économique capillariser dans l’économie traditionnelle. Donner la parole aux salariés dans des entreprises à capitaux est une avancée certaine mais c’est aussi un miroir aux alouettes car les actionnaires auront toujours le pouvoir et agiront contre les demandes de ces salariés.

Nous sommes loin du principe « une personne, une voix » ! « En même temps », on favorise l’émergence de petites entreprises.

Cela pourrait avoir une conséquence très favorable sur le développement économique territorial car des réponses locales seront apportées mais ce n’est pas suffisant ; c’est fragilisant pour l’économie. Il n’est pas question de dire que le « small is beautiful » mais force est de reconnaitre que l’ESS se développe sur le territoire avec ces petites structures, et tout ce que cela comporte de risques de dérives par rapport au sens de ce qu’est l’ESS. Elles sont plus malléables, auront une vie (survie ?) courte, les maintenant dans un état de dépendance, avec, à terme, le risque de la récupération par les moyennes ou grandes entreprises.

C’est l’essence même de ce qu’est l’entreprise qui est interrogé. La place privilégiée est réservée aux starts-ups et aux petites structures qui entrent bien dans ce cadre, avec une vision de l’entrepreneur individuel (ou collectif) qui aurait l’idée du siècle permettant de développer de nouveaux concepts.

Plus que jamais, l’ESS est de plus en plus l’affaire des acteurs du territoire. Les « petites structures » font vivre l’ESS, qui la développent et lui donnent ses lettres de noblesse. Les grandes structures sont de plus en plus dans la préservation de ce qu’elles ont construit au fil des décennies ou dans un immobilisme réciproque pour éviter qu’il y ait prééminence de l’un par rapport à l’autre.

Pourtant, l’ambiguïté est grande, en ces périodes de déstabilisation, entre un budget qui peut paraître comme un trompe-l’œil, des informations inquiétantes sur la disparition d’associations en 2017 et une représentation de plus en plus incompréhensible (au GSEF à Bilbao en 2018, seuls le Haut-Commissaire et le RTES sont intervenus en séances plénières, au titre des représentations nationales de la France, alors que le thème : « économie sociale et villes-valeurs et compétitivité pour un développement local inclusif et durable » concerne tant de structures de l’ESS à part entière).

Un budget en trompe-l’œil ?

Le piège se referme sur les acteurs de l’ESS qui ont permis que cette économie devienne une part conséquente du développement économique, à la fois sur le type d’entreprises soutenues, sur les conditions de ce soutien et sur les montants déclarés en direction de l’ESS.

Ainsi, nous voyons une augmentation significative du budget dont il n'est pas certain que le collectif de l'ESS puisse bénéficier. Il conviendra d'être attentif à la programmation réelle du programme 159, action 14 qui « finance le soutien et le développement de l’économie sociale et solidaire, dans le cadre d’un « pacte de croissance », véritable feuille de route de l’ESS et de l’innovation sociale pour les cinq prochaines années, qui permettra de porter au plus haut niveau les priorités du gouvernement en la matière ».

Dans le PLF 2018 l'ESS bénéficiait de 6,65 millions d'euros en autorisation d’engagement (AE) et le dispositif local d’accompagnement (DLA) de 8,6 millions d'euros en AE. Il faut rappeler que l'enveloppe DLA avant la cession par la DGEFP (la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle ) était de 10,4 millions d'euros, soit 15,25 en AE. L'augmentation annoncée est donc de 4, 75 millions d'euros. C’est exactement ce que dit le dossier de presse du Ministère de la Transition écologique et solidaire.

Sur ce surplus, trois questions se posent.

  • Un réajustement des crédits du DLA à l'étiage des crédits utilisés sous tutelle DGEFP est-il prévu ? Il y a une demande en ce sens d'autant que les crédits complémentaires en provenance de la CDC seraient aussi à la baisse.
  • Le budget prévu pour les acteurs de l'ESS s'est traduit par une baisse, voire la suppression de subventions. Faut-Il attendre une révision de cette politique avec cet accroissement des crédits ?
  • Les financements du « French impact » se font au détriment du soutien antérieurement apporté à d'autres politiques plus structurantes pour le territoire comme les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) en privilégiant une réussite individuelle. Quelle part de cette augmentation des crédits permettra la relance de projets structurants?
Enfin, sur le milliard de financement annoncé lors du lancement du « French impact » auprès des financeurs privés, combien et comment ont-ils été utilisés ? Tout cela ne deviendra effectif que quand nous le verrons dans le pacte de croissance attendu.

Des associations qui disparaissent

Alors que dans son rapport « pour une politique de vie associative ambitieuse et le développement d’une société de l’engagement », le mouvement associatif indique dans son « axe 2 - bâtir une politique de développement, de soutien et de reconnaissance de la vie associative » que « le fait associatif est partout plébiscité par les citoyens. Il constitue souvent le fil invisible qui tient la Nation. Il est aujourd’hui temps de le reconnaitre », nous constatons que le lien est de plus en plus ténu et qu’il commence à se rompre.

Si ce rapport donne des pistes tout à fait intéressantes et un certain nombre de préconisations en direction du Premier Ministre, il faut constater que celui de Recherches et Solidarité (R&S) est beaucoup plus inquiétant : 25.000 associations disparues en 2017 (sur 1,3 million).

En l'occurrence, on peut bien sûr voir le verre à moitié plein ou à moitié vide.

En effet, les mesures prises par le gouvernement dans la cessation des contrats aidés ont fragilisé les structures les plus en difficulté. Sans risque d’erreur, on peut penser que celles qui ont disparu sont les plus précaires. Mais la question qui se pose alors est de savoir si ce sont celles qui étaient les moins utiles en matière de lien social. Pas sûr...

En revanche, celles qui avaient financièrement plus de capacité de mobilisation de financement ou qui ont prélevé sur leurs ressources se maintiennent bien entendu, donnant l’impression que les choses ne vont pas si mal. Il sera intéressant de vérifier ce qu’il en est sur la prochaine livraison de Recherches & Solidarité en 2019 sur les chiffres de 2018. De même sur les emplois, il y a des changements, notamment parce que certains des contrats associatifs étaient liés à leur statut particulier. Ce sont sans doute majoritairement les associations qui en usaient qui ont disparu.

De ce fait, comme le souligne R&S, « en dépit de la suppression de nombreux contrats aidés, les effectifs salariés se sont maintenus dans les associations et ils représentent toujours près d’un emploi privé sur dix. Les tendances observées dans le secteur privé se vérifient aussi dans les associations. Les contrats de travail dits « longs » (plus d’un mois) ont augmenté tout au long de l’année 2017 et au cours du premier semestre 2018. Parmi eux, la proportion des CDI est passée de 24 % début 2017 à 29 % début 2018 ».

Le rapport souligne que : « (les) responsables (d’associations) sont plus nombreux à se montrer inquiets au sujet des finances de leur association (46 %, contre 41 % en 2017). Sur le plan de l’emploi (sources ACOSS-URSSAF et MSA), le secteur associatif marque le pas, après quatre années de croissance (2012-2016) dans un contexte morose. Une légère régression en 2017 tranche avec une évolution plus favorable de l’ensemble du secteur privé (+ 0,9 %). Deux secteurs souffrent davantage : la culture et l’aide à domicile ».

De tout cela, nous pouvons conclure que, dans l’ESS comme dans l’autre économie, la résistance aux contingences économiques ne peut se faire que par des structures d’une certaine taille ou par l’acceptation de la précarisation des petites structures.

Nous le disions en début de cet article, sur le territoire, ce sont les petites structures de l’ESS qui répondent aux besoins de la population, animent le développement local avec les collectivités locales et apportent une innovation pertinente mais ce sont celles qui sont fragilisées par les politiques publiques.

Alors quelle solution et quelle orientation, quand on voit tous les dispositifs privilégier les plus grosses structures ?

Comment construire des actions s’inscrivant sur les plus petites parties du territoire alors que les lieux de décision sont éloignés ?

« Plus de 60 % des responsables associatifs ont des projets ou envisagent des activités nouvelles pour cette année qui s’ouvre (2018-2019). Le nombre de créations reste à un niveau élevé, supérieur à 70 000, entre septembre 2017 et août 2018, signe que le contexte ne décourage pas les porteurs d’initiatives », indique enfin R&S mais en auront-ils les moyens ?

Le mouvement associatif propose un début de réponse dans sa note faisant le bilan, un an après, de l’effet sur les associations du gel des contrats aidés : « 3 chiffres pour résumer ce bilan :
  • 1,3 milliard de conséquences budgétaires pour les associations,
  • 60 000 emplois aidés menacés en 2018,
  • et + 15 % d’associations employeuses ayant disparu.
Dès janvier 2018, à la suite du rapport Borello, les parcours emploi-compétences (CUI-PEC) ont remplacé les anciens contrats aidés (CUI-CAE). Depuis janvier, la mobilisation de ces nouveaux contrats par les associations est à la traîne : 40.451 embauches en CUI-PEC en mai 2018, soit 20 % de l’enveloppe consommée contre une enveloppe consommée à 40 % environ l’année précédente à la même période avec les anciens contrats aidés. Le phénomène habituel de montée en puissance progressive d’un nouveau dispositif ne se produit pas pour les CUI-PEC, pour plusieurs raisons :
  • un taux moindre de prise en charge par l’État,
  • l’obligation renforcée de formation mais sans financement,
  • la non-adaptation de ces contrats pour un certain nombre de publics,
  • des arrêtés préfectoraux plus restrictifs que le cadre national,
  • de fait, un accès limité à certaines associations ayant les moyens humains et financiers de financer le reste à charge de ces contrats.
En conséquence, le mouvement associatif demande une vraie politique de soutien à l’emploi associatif :
  • parce que notre valeur ajoutée pour la société est le projet associatif ;
  • parce que le secteur associatif contribue à l’économie française et fait partie de notre modèle social et démocratique ;
  • parce que cinq rapports parlementaires, commandés par le gouvernement ou issus de concertation convergent vers un soutien direct aux emplois associatifs au regard de leur utilité sociale.
Cette politique de soutien à l’emploi associatif doit se matérialiser dès le projet de loi de finances 2019 via l’instauration d’une ligne budgétaire permettant d’appuyer les projets associatifs via le financement de 38.000 emplois socialement utiles ».

Une représentation minimale au GSEF (Forum mondial de l'économie sociale)

La lecture de la Dépêche prospective et sociale donne de l’espoir sur le développement de l’ESS dans le monde à partir des résolutions finales du GSEF 2018 : « Nous, représentants d'organisations d'économie sociale, de gouvernements locaux et régionaux, de réseaux et d'autres partenaires, nous engageons à :
  • poursuivre la co-construction et le co-développement de politiques publiques et affirmer le rôle central que joue chacun d'entre nous pour surmonter les principaux défis auxquels nos villes et communautés sont confrontées ;
  • prioriser et poursuivre nos efforts pour soutenir et financer les processus et les forums qui rassemblent et coordonnent les contributions de la société civile ;
  • reconnaître et soutenir la recherche qui identifie les besoins et l'expertise des entités de l'économie sociale et mesure leur effet, dans le but d'améliorer les connaissances des acteurs à tous les niveaux et de favoriser la diffusion des meilleures pratiques ;
  • plaider pour que les États membres demandent une résolution de l'ONU sur l'économie sociale [et solidaire] ;
  • collaborer davantage au développement des liens entre les territoires urbains et ruraux et œuvrer à une plus grande cohérence des politiques à tous les niveaux de gouvernement, local, régional, national et international ;
  • mobiliser des financements éthiques, alternatifs et solidaires ainsi que l'épargne locale pour soutenir le développement ultérieur de l'économie sociale ;
  • améliorer les pratiques environnementales pour les rendre plus transparentes dans les circuits de production-consommation afin de générer une transition juste et écologique nécessaire.
Nous nous efforçons de parvenir à ces résolutions en tirant parti des rôles, des responsabilités et des forces de chacun d'entre nous (entités d'économie sociale, gouvernements, universités, instituts de recherche, Nations-Unies et autres organisations internationales) et en collaborant à un niveau permettant d'assurer un développement local inclusif, résilient, équitable et durable ».

Mais qu’en est-il en France ? Cette déclaration, probablement signée par la France, aura-t-elle un quelconque effet sur notre politique en faveur du développement de l’ESS ?

Il reste à véritablement concrétiser ces orientations qui vont dans le bon sens.

Chaque acteur public, privé, associatif, mutualiste ou coopératif et toute autre entreprise reconnue comme faisant partie de l’ESS devraient s’y employer mais sommes-nous prêts à nous y atteler tous ensemble ?
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