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13 / 06 / 2013 | 313 vues
Denis Garnier / Membre
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Qualité du travail ou procédure dégradée à l’hôpital ? Une question de volonté politique

Le chômage explose, la précarité se développe (1), les traumatismes du travail condamnent la santé de ceux qui travaillent et le pouvoir s'amuse tel César devant les esclaves des arènes de Rome.

L'assertion de certitudes unilatérales imposées par les libéraux du monde entier prive les services publics des ressources nécessaires pour répondre aux besoins du plus grand nombre. C'est dans ce cadre que le gouvernement et le MEDEF veulent relancer le dialogue social en portant dans l'arène du débat public la qualité de vie au travail.

Un préalable s'impose. Avant de parler de qualité de vie au travail, peut-on aborder la qualité du travail ? Partant de ce que nous connaissons le mieux, comment peut-on entreprendre la qualité du travail à l'hôpital public ?

La non-qualité : un choix politique

Le manque d’effectif est la première source de dégradation des conditions de travail (et donc la cause essentielle de la multiplication des risques, qu’ils soient psychosociaux, d’accidents ou de maladies ordinaires ou professionnelles). Si l’on ajoute à cela le management approximatif, le manque de matériel, les locaux inadaptés, l’absence de discussion sur le travail, on peut aisément comprendre l’évolution inquiétante de l’absentéisme.

Selon une étude à paraître [2], entre 2008 et 2011, le nombre d’emplois perdus à l’hôpital, du simple fait de l’augmentation de l’absentéisme, s'établit à plus de 11 000 !

Cela revient à dire que si le Ministère de la Santé (via ses agences régionale de santé) voulait remettre la qualité du travail au cœur de ses préoccupations, il permettrait à 11 000 agents de revenir sur leur poste de travail plutôt que de les condamner à rester chez eux malades. Pour cela, si le gouvernement veut véritablement parler de qualité de vie au travail, il faut qu'il l'organise. Nous l'y invitons par ce qui suit.

Gérer c'est prévoir. L'organisation du travail c'est prévoir aussi...

Il appartient à l'employeur d'organiser le travail. C'est son obligation. Pour cela, à l'hôpital, il dispose de cadres de proximité, de cadres supérieurs, d'un directeur des soins et d'un DRH, sans parler de son autorité. Avant de mettre ses décisions en application, pour prendre en compte l'avis de ceux qui sont au cœur du travail réel, il devrait les soumettre au personnel pour avis, dans le cadre des instances prévues à cet effet que sont les comités techniques d'établissement (CTE) et les comités d'hygiène de sécurité et des conditions de travail.(CHSCT).

Les représentants du personnel pourraient ainsi vérifier d’une part si le directeur respecte les dispositions réglementaires, en particulier celles du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 et, d’autre part, si ces organisations ne portent pas atteinte à la santé et la sécurité des agents.

Premier élément : respecter les règles

Ainsi, par respect de ceux qui travaillent, l'organisation du travail des fonctionnaires hospitaliers doit se conformer aux obligations ci-après définies (article 13 du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002).

Dans chaque établissement, un tableau de service arrêté par le chef d'établissement précise les horaires de chaque agent pour chaque mois.

Le tableau de service doit être porté à la connaissance de chaque agent quinze jours au moins avant son application. Il doit pouvoir être consulté à tout moment par les agents.

Toute modification dans la répartition des heures de travail donne lieu, 48 heures avant sa mise en vigueur et sauf contrainte impérative de fonctionnement du service, à une rectification du tableau de service établi et à une information immédiate des agents concernés par cette modification.

Autres obligations (article 6 du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002)

  • La durée hebdomadaire de travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut excéder 48 heures au cours d'une période de 7 jours.
  • Les agents bénéficient d'un repos quotidien de 12 heures consécutives minimum et d'un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives minimum.
  • Le nombre de jours de repos est fixé à 4 jours pour 2 semaines, deux d'entre eux, au moins, devant être consécutifs, dont un dimanche.
  • En cas de travail continu, la durée quotidienne de travail ne peut excéder 9 heures pour les équipes de jour, 10 heures pour les équipes de nuit. Toutefois, lorsque les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence, le chef d'établissement peut, après avis du comité technique d'établissement, déroger à la durée quotidienne du travail fixée pour les agents en travail continu, sans que l'amplitude de la journée de travail ne puisse dépasser 12 heures.

Le décor est posé. L'organisation du travail est fixée par le directeur en application de dispositions réglementaires qu'il se doit de respecter.

Deuxième élément : les bonnes conditions du travail

Au-delà des locaux, des éléments matériels, de l’ambiance physique et des relations sociales indispensables au bon travail, il est un élément essentiel qui est celui des moyens humains nécessaires pour le réaliser. Les effectifs.

Mais pour mesurer ce besoin, deux éléments sont indispensables. L’évaluation de la charge de travail et la durée du travail effectif de chaque agent.

  • Évaluation de la charge du travail réel

Ce devrait être un débat au sein de chaque équipe. Tous les observateurs qui préconisent des solutions pour enrayer les traumatismes du travail engendrés par les risques psychosociaux disent qu’il faut créer des espaces pour discuter du travail. Cette proposition est reprise par tous les employeurs. Ils ont raison. Les agents avec leur cadre de proximité devraient, d’un commun accord, évaluer la charge de travail et définir les moyens quotidiens pour le réaliser.

C’est ainsi qu’ils pourront déterminer le temps nécessaire pour réaliser l’ensemble des tâches qui leurs sont commandées, bien sûr dans le respect des règles professionnelles et de « bien-traitance » des personnes dont ils doivent s’occuper. Ces éléments devraient ensuite être transmis aux strates supérieures de l’organisation du travail afin de déterminer les effectifs nécessaires. Mais combien d'établissement ou de services pratiquent ainsi ?

La durée de travail effectif de chaque agent est l’autre déterminant des bonnes conditions de réalisation du travail.

  • La durée individuelle de travail effectif

Il y a le décret précité qui détermine la durée annuelle maximale, les réductions possibles et les règles applicables mais il y a aussi des droits qui éloignent les agents du travail. Les congés pour raisons de santé, le congé maternité, paternité, le droit à la formation professionnelle, les réunions, le droit syndical etc. Tout ceci est retranscrit dans le bilan social ou, pour le moins, comptabilisé par les bureaux du personnel. Tous motifs confondus (hors temps de réunion qu’il conviendrait de déduire de ce résultat), les agents sont absents en moyenne 28 jours par an, ce qui porte le nombre de jours de présence à leur poste de travail à une moyenne de 170 jours par an [3].

La qualité du travail ou la procédure dégradée ?

Une fois que la charge du travail est discutée par les équipes, que la durée individuelle quotidienne de travail est constatée, il n’y a plus qu’à effectuer une règle de trois pour évaluer les effectifs nécessaires à la réalisation des charges de travail.

Ainsi, pour une organisation du travail réel, qui prend en compte les aspects réglementaires et le temps de présence effectif des agents à leur poste de travail, il est établit, pour les services ouverts 365 jours par an, un besoin de deux agents par poste de jour et de trois agents par poste de nuit [4].

Ce niveau d’emploi est l’élément incontournable pour réaliser le travail dans de bonnes conditions. Ainsi, si la charge de travail évaluée par une équipe détermine qu’il faut 3 agents le matin, deux l’après midi et deux la nuit, il faudra mettre à la disposition du travail 16 agents [(3x2) + (2x2) + (2x3)].

En-deçà, les agents en service seront confrontés à des modifications inopinées des horaires de travail, des jours de repos déplacés, des heures supplémentaires, des congés annuels repoussés, un travail dégradé où il faudra trier les tâches à effectuer, une qualité dégradée et donc, une démotivation, une augmentation des absences au travail, une précarisation de l’emploi par l’apport d’intérimaire ou de CDD etc.

La qualité du travail : un vrai choix politique.

Alors, qu'attendez-vous ?

[1] Denis Garnier, Libérez-vous de l'économie contre le travail, éditions le Manuscrit, 2011.
[2] Étude réalisée par le blog FO-santé et portant sur 275 000 agents à partir du bilan social des années 2008 à 2011. À paraître en juin 2013.
[3] Ce nombre de jours évolue en fonction de la durée quotidienne du travail. En amplitude de 12 heures, le nombre de jours de présence effective au poste de travail est de 115 jours pour les agents de jour et de 104 jours pour les agents de nuit. En heures, cette durée est comprise entre 1 380 heures pour le personnel de jour à 1 250 heures pour le personnel de nuit.
[4] Un poste de jour de 7h30 par jour sur 365 jours représente 2 737 h 30 de travail. Un agent est présent en moyenne 1 380 heures : 2 737 / 1 380 = 1,98 agents.
Un poste de nuit de 10 heures sur 365 jours représente 3 650 heures de travail. Un agent de nuit est présent 1 250 heures en moyenne. 3 650 / 1250 = 2,92 agents.

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Les sources de non-qualité de vie au travail (à l’hôpital comme ailleurs) sont maintenant bien connues. Vous en citez quelques-unes et vous avez raison : nous sommes en présence d’une non-volonté politique de lutter contre la centaine de stresseurs qui font la souffrance au travail ! On a là une négligence d’autant plus coupable que des solutions existent, par exemple celle proposé par Encadrer une équipe publié à la Chronique Sociale en 2012. Dans ces conditions la question devient, « Qui à intérêt à ce que rien de change ? ». Bien à vous.