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19 / 09 / 2017 | 2 vues
Denis Garnier / Membre
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Pour la création d’un réseau de santé publique à la santé au travail

Plus de la moitié des actifs (12 millions [i]) sont à l’écart de plan d’actions de prévention. L’observation des risques, comme les actions qui doivent en découler, sont majoritairement ignorées, empêchées ou muselées. La protection de la santé et de la sécurité des travailleurs est émiettée dans de multiples structures animées par différents acteurs éloignés de l’entreprise mais qui, séparément, affichent le même objectif.

Comme « on ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l'ont engendré » (Albert Einstein), et « comme il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action » (Henri Bergson), il est temps de traiter de la complexité de cet enjeu autrement.

Il faut rester à l’écoute des lanceurs d’alertes

Dans l’entreprise privée comme dans le secteur public, là où il y a plus de 50 travailleurs, la santé sécurité au travail et la prévention des risques au travail pouvaient compter sur un CHSCT, certes imparfait, mais qui avait le titre de « comité » avec une personnalité morale reconnue. Par voie d’ordonnance il est aujourd’hui réduit à une simple « commission » dont les moyens et les prérogatives sont en cours de finition. Comme le disait Georges Clemenceau, « lorsque je veux enterrer un problème, je crée une commission ». 

Soit, ce sera une commission que nous continuerons d’appeler CHSCT.

Au Québec, par exemple, un comité de santé et sécurité au travail existe dans toutes les entreprises de plus de 20 travailleurs.Pour apprécier les écarts entre le travail prescrit et le travail réel, le CHSCT et l’employeur ont besoin de « sentinelles », de lanceurs d’alertes et d’une interface entre ceux qui décident et ceux qui exécutent. Yves Clot parle de « référents du travail » [ii] pour qu’une « coopération conflictuelle » alimente le débat sur les éléments qui empêchent de bien faire le travail. Au Québec, par exemple, un comité de santé et sécurité au travail existe dans toutes les entreprises de plus de 20 travailleurs. Il désigne parmi les salariés le « représentant à la prévention ».

La réalité du travail, ses exigences de qualité, ses imprévus, son environnement, ses difficultés et son évolution sont le quotidien de ceux qui l’effectuent. Il faut les écouter et les entendre. La proximité des relations entre les salariés et leurs représentants, la confiance entre ces représentants et leurs employeurs sont les premières bases de toute production de qualité, y compris dans le domaine de la santé au travail. Le CHSCT aurait dû s’intégrer dans un ensemble cohérent, ce que la réforme du code du travail n’a pas abordé.

Des plans de prévention pour quelques-uns

Si la proximité et la confiance sont les bases d’une protection efficace, elles ne sauraient suffire à la qualité des réponses qui demandent des compétences. Les risques professionnels sont multiples et font appel à des compétences diverses et complémentaires. Ils s’observent de manières différentes lorsqu’ils se trouvent dans des milieux aussi différents que des établissements industriels, commerciaux, administratifs, dans des infrastructures routières, portuaires ou dans des moyens de transport et des chantiers. La diversité des situations de travail mérite des approches au plus près du risque, c’est-à-dire au plus près de ceux qui peuvent en subir les conséquences. Or, le travailleur qui est soumis au risque connaîtra une protection qui sera souvent proportionnelle à la taille ou à l’image de son entreprise : relativement efficace dans les grandes et quasi inexistante dans les petites et très petites. Selon l’INSEE, 4,5 millions de salariés travaillent dans les 243 grandes entreprises qui comptent plus de 5 000 salariés. À l’opposé, comme indiqué en introduction, ils sont aussi 4,5 millions dans les entreprises de moins de 11 salariés. À tous ceux-là, il convient d’ajouter les 6 millions d’agents inscrits à Pôle Emploi, ainsi que les 1,5 millions d’emplois occupés dans le secteur des services à la personne ou auto entrepreneurs.

Compte tenu des moyens de ces petites structures, on pourrait en conclure que ces travailleurs ne sont pas concernés par un plan d’actions de prévention, planifié, financé, évalué et qu’il ne faut pas confondre avec un plan de prévention sans action, qui prend la poussière avec son document unique.

C’est ainsi que 12 millions d’actifs ne sont pas intégrés dans la santé au travail qu’il ne faut pas confondre avec la médecine du travail de nos parents [iii].

L’observation des risques empêchée

L’organisation de la prévention repose essentiellement sur cinq phases qui ne peuvent être dissociées : l’observation des situations de travail, qui est la plus importante, l’analyse de tous les risques dans une vision globale, la réalisation d’un programme annuel de prévention, la réalisation d’un plan d’actions de prévention à court, moyen et long termes, l’évaluation quantitative et qualitative des résultats.

Le droit actuel rend l’observation quasi impuissante face à l’autorité d’un donneur d’ordres.Ces cinq phases permettent à l’employeur non seulement de répondre à ses obligations de protection de la santé physique et psychique des travailleurs, mais aussi d’améliorer les conditions de travail et donc l’efficacité de l’entreprise par une approche globale et des décisions adaptées.

Aujourd’hui, au niveau de l’entreprise, ce ne sont pas les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) qui peuvent faire preuve de l’autorité nécessaire pour imposer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs à l’employeur réticent, auquel ils sont subordonnés.  Seul le médecin du travail a légalement le droit d’affirmer le bon sens. Mais lorsque ce dernier est trop incisif, le droit est balayé pour « libérer l’entreprise » de toute contrainte. Le droit actuel rend l’observation quasi impuissante face à l’autorité d’un donneur d’ordre. Seules, peut-être, les interventions des experts permettent une observation fine du travail et des relations de travail via les demandes d’expertises formulées par les CHSCT. Mais pour quelle efficacité ? Et compte tenu des réformes à venir, pour combien de temps ? Avec quels moyens ?

Pistes de réflexion

Affirmer le rôle de l’État

Si dans l’entreprise de 50 salariés et plus, un CHSCT amorce la prévention, avec les difficultés et la relativité qui découlent des éléments ci-dessus, il faut bien reconnaître qu’ailleurs il n’existe rien de tel. Il en sera ainsi tant que la prévention des risques professionnels, la santé sécurité au travail et la qualité de vie au travail ne dépendront que de la seule volonté de l’employeur et ce quelle que soit la taille de l’entreprise. Tout le monde reconnaît la responsabilité du donneur d’ordres en matière de protection de la santé physique et psychique des salariés.

« Un actif est plus productif en bonne santé que malade » [iv]. Un entrepreneur, même motivé, ne peut avoir à lui seul les compétences médicales, ergonomiques, mécaniques, chimiques, biologiques, radiologiques et psychologiques. Pour être le plus juste possible, il en est de même de tout expert : juriste, médecin, toxicologue, ergonome, psychologue, qualiticien, RH, ingénieur etc. La complexité des situations de travail demande en effet beaucoup d’humilité et « des regards croisés ». Certains le font. D’autres majoritaires, s’expriment à travers un MEDEF qui est loin de représenter le patronat dans sa diversité. Ils estiment que la protection des travailleurs est une atteinte à la liberté d’entreprendre. Des dispositions de la dernière réforme de la médecine du travail, la fusion des instances représentatives du personnel avec la disparition du CHSCT en constituent des illustrations. Il faut bien admettre aujourd’hui que la mainmise du MEDEF sur les entrepreneurs français ne permet pas d’impulser la prévention des risques professionnels, comme ont pu le faire les employeurs québecois avec la création d’une mutuelle de prévention [v].

C’est pourquoi il conviendrait de confier tout ou une partie de la protection de la santé et de la sécurité de ces actifs à des acteurs compétents. Les actifs étant une majorité de la population, la question de la santé au travail devient un sujet de santé publique pour lequel l’État doit intervenir. Comme en atteste le dernier plan santé au travail 2016-2020, il doit agir en conséquence avec l’objectif d’améliorer les constats et donc les réponses.

Libérer l’entreprise

Nous avons souligné qu’en termes de prévention des risques professionnels, tout dépend en grande partie de la bonne volonté de l’employeur. La multitude d’acteurs en dehors de l’entreprise peut contraster avec la solitude des quelques acteurs qui s’ébattent au sein des entreprises en passant souvent sous les fourches caudines de leurs employeurs. Nous pouvons noter la solitude de l’employeur qui doit décider seul n’ayant pas l’information du travail réel. Pourtant, c’est bien au plus près des travailleurs que les actions doivent être portées. Lorsqu’il y a carence de l’employeur, une autre réponse doit s’organiser.

Au-delà des fiches, des recueils d’informations, là où c’est rendu possible, les informations collectées devraient être traitées par des professionnels de la question qui ne sont pas des subordonnés de l’employeur, un peu à l’image des services de santé au travail interentreprises (SSTI) pour traiter les questions de santé au travail. La question de l’externalisation de la santé au travail doit se poser. D’ailleurs, concernant la création du document unique, les entreprises rémunèrent le plus souvent des intervenants extérieurs. Autant formaliser la chose. Si l’on observe les difficultés qu’il y a pour mettre en œuvre le suivi post-professionnel pour des populations à risques, citons les victimes de l’amiante par exemple, on peut imaginer un service de santé au travail accessible au plus grand nombre et qui n’est pas enfermé dans le cadre de l’entreprise.

La prévention doit envahir le monde du travail, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. Le rapport de l’IGAS de 2013 démontre combien les interactions entre santé et travail sont importantes [vi]. Les cloisons doivent tomber, les passerelles s’établir, les portes s’ouvrir, même s’il conviendrait d’en forcer quelques-unes.

Peut-on imaginer une entreprise confier la rédaction, la mise à jour du document unique et le plan d’action de prévention à un service territorial de prévention et de santé sécurité au travail ? Peut-on imaginer ce service territorial maître d’œuvre de la santé sécurité du travail par l’organisation de la prévention et la mise en œuvre des actions de prévention négociées avec l’employeur, non sur l’opportunité mais sur l’échéancier ? Un service territorial ouvert aux TPE, aux chômeurs, aux travailleurs non-salariés, voire aux retraités afin de réaliser leur suivi post-professionnel ? Comme un SSTI aux missions étendues à la prévention ?  Le réseau de santé publique en santé au travail [vii] du Québec, pourrait largement inspirer cette réflexion.

Il faut effectivement aider ou contraindre l’employeur à remplir ses obligations selon son propre engagement.  Ainsi pourrait naître un réseau territorial de santé publique en santé au travail. Une révolution pacifique pour muter la contrainte du contrôle vers le soutien aux performances de l’entreprise par la santé au travail.

Rassembler ce qui est épars

Mais, si l’action au plus près des travailleurs paraît essentielle, l’observation et le traitement de ces observations sont tout aussi indispensables sur les plans régional et national pour dynamiser et orienter les politiques publiques de santé au travail.

« La santé sécurité au travail », « la prévention des risques professionnels », « l’amélioration des conditions de travail », « la qualité de vie au travail », « la santé publique », sont « instrumentées » par des organismes qui semblent se marcher un peu sur les pieds. Citons les plus importants :

  • la Sécurité sociale avec la direction des risques professionnels (DRP-CNAM-TS) avec l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), et les Caisses d’assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) ;
  • la Mutualité sociale agricole (MSA) ;
  • la Direction générale du travail (DGT), avec le Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ;
  • le réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) et veille sanitaire ;
  • la Haute autorité de santé (HAS) ;
  • l’Institut de veille sanitaire (INVS), les groupes d’alerte en santé travail (GAST) ;
  • l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ;
  • l'Agence nationale d’amélioration des conditions de travail et ses agences régionales (ANACT-ARACT) ;
  • l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) ;
  • le Fonds national de prévention (FNP) de la CNRACL (fonction publique territoriale et hospitalière)...
Tous ces organismes et structures et bien d’autres encore, participent aux traitements ou aux analyses, du travail et de ses traumatismes. Ils partagent le même objectif mais ne s’inscrivent pas dans une dynamique d’ensemble ordonnée. Si l’on ajoute à cela les plans de santé au travail, les accords nationaux interprofessionnels (ANI) et les accords dans la fonction publique de cette dernière décennie (2009-2013), la panoplie peut paraître complète. Le harcèlement, la violence, le stress au travail, la qualité de vie au travail, la santé et la sécurité au travail compte parmi les accords qui ont eu le plus de retentissement médiatique mais pour quels résultats ?

Selon l’INVS, « les signalements d’événements de santé inhabituels en milieu professionnel qui parviennent à Santé Publique France sont de plus en plus fréquents et leur traitement est souvent complexe » [viii]. Afin de pouvoir y répondre de manière concertée, unique et rapide, l’INVS a mis en place et dévelopé un dispositif régionalisé, les GAST.

En conclusion

Oui, la santé au travail doit s’inscrire comme un domaine de la santé publique mais ce n’est pas la multiplication des organismes qui améliorera la santé au travail. La territorialisation de la santé au travail et son ouverture vers des populations qui ne sont pas concernées aujourd’hui pourraient constituer une première réponse, à la fois ambitieuse et réaliste.

La conjugaison de la plupart des acteurs cités ci-dessus dans une même entité permettrait la démultiplication des capacités d’intervention au plus près du travail. Cette idée n’est pas nouvelle puisque inscrite dans l’action 1.6 du plan de santé au travail 2016-2020 en ces termes : « mutualiser les actions, outils et bonnes pratiques développés par l’ANACT, les DIRECCTE dans le cadre des plan régionaux de santé au travail (PRST) dans des branches ciblées, la CNAMTS dans le cadre de TMS pros, la MSA et l’OPPBTP ».

Il est donc temps de créer un réseau de santé publique à la santé au travail, sectorisé par milliers de personnes concernées. Il fera naître une nouvelle approche de la santé au travail au service de tous les actifs et de toutes les entreprises. Une révolution pacifique pour muter la contrainte du contrôle vers le soutien à la qualité du travail et aux performances des organisations par la santé au travail rénovée.

[i] 4,5 millions de salariés dans les entreprises de moins de 11 salariés (électeurs TPE 2016)
1,5 million de travailleurs non-salariés, services aux particuliers, auto entrepreneurs.
6 millions de chômeurs inscrits à Pôle emploi.
[ii]  Yves Clot et Michel Gollac, Le travail peut-il devenir supportable ? Armand Colin, 2014.
[iii] La démarche de santé au travail est interdisciplinaire, associant employés et employeurs, dans le but de créer un lieu de travail favorable à la santé pour les travailleurs, à la productivité pour l’employeur et à lutter contre la « discrimination » salariale selon l’état de santé.
[iv] Association internationale de sécurité sociale - XXIème congrès mondial sur la sécurité et la santé au travail, à Singapour le 4 septembre. Campagne zéro accident du travail.
[v] Une mutuelle de prévention au Québec est un regroupement d’employeurs pour favoriser la prévention. Ils choisissent de s'engager dans une démarche afin de favoriser la prévention des lésions professionnelles, la réadaptation et le retour en emploi des travailleurs victimes d'accidents, en vue de bénéficier d’une tarification relative à la santé et à la sécurité du travail qui reflète leurs efforts. L’adhésion est facultative et la cotisation s’ajoute à celle qui est versée par l’employeur à la commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), l’équivalent des cotisations pour accidents du travail en France.  Pour plus d’informations :
http://www.csst.qc.ca/prevention/mutuelles_prevention/Pages/regroupement_employeurs_prevention.aspx
[vi]  IGAS – « Interactions entre santé et travail », juin 2013, 2013-069R.
[vii] « Réseau de santé publique en santé au travail ».
[viii] « Alertes en santé travail » publié le 8 mars 2016 par Santé Publique France (regroupement de l’INVS, de l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (l’INPES) et l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (l’EPRUS)).

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