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01 / 08 / 2011 | 3 vues
Didier Cozin / Membre
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Peut-on jouer à quitte ou double avec le droit à la formation (DIF) ?

Alors que la plupart des lois sociales et accords entre  partenaires sociaux conclus depuis 20 ans tentent  d’établir de bonnes pratiques dans le monde du travail (emploi des seniors, droit à la formation, développement des compétences ou sécurisation des parcours), le DIF illustre parfaitement les blocages et refus du changement auquel est confronté notre pays.

La problématique du droit à la formation (un nouveau droit de l’homme ?) n’est pas celle de la pertinence de se former ou non au sein de la société de la connaissance mais bien de savoir combien de temps les entreprises pourront maintenir des modèles anciens et dépassés de formation (le plan et une formation mal répartie) sans connaître une implosion sociale ou une dégradation de leurs résultats économiques.

Après avoir donné des sueurs froides aux entreprises dès 2004 (le monde de décembre 2004 : les DRH ont le blues de la réforme de la formation professionnelle), le DIF interpelle désormais (à défaut d’effrayer) tous les acteurs de la formation professionnelle en France. Pourquoi n’ont-ils rien entrepris depuis sept ans ? Pourquoi s’être payé de mots en septembre 2003, puis avoir repoussé aux calendes grecques l’indispensable généralisation du DIF ?

La Cour des Comptes estimait en 2009 que la formation professionnelle « réussissait » la performance d’être tout à la fois inadaptée aux besoins des entreprises et peu utile aux salariés. Qui profite réellement de cette quadragénaire formation professionnelle qui ne veut pas devenir formation tout au long de la vie ?

Les acteurs sociaux et la formation

  • Les entreprises

En France, selon une étude conjointe Dares-Cereq-Insee menée en 2010, 10,5 % des entreprises ont une réelle politique de développement des compétences. Dans l’indifférence ou l’incrédulité, 90 % des entreprises ont laissé végéter le DIF depuis 2004. À raison de 200 millions d’heures annuelles et de six années de capitalisation, les salariés en CDI ont pour la plupart dès lors atteint le maximum des 120 heures de leur compteur.

Pour une PME de 50 salariés par exemple, 6 000 heures auront été cumulées (avec un coût moyen de 40 euros par heure). La dette DIF de cette entreprise est donc d’environ 250 000 euros.
Le DIF concerne environ 400 000 salariés par an pour un coût de 300 millions (en 2009, la Cour des Comptes avait estimé le risque maximum DIF  à 77 milliards d’euros, soit 5 000 euros par salarié). Avec un DIF réclamé par 50 % des salariés, il faudra dégager de 4 à 6 milliards d’euros tous les ans. Le plan de formation pourrait devenir une peau de chagrin dans les prochaines années.

  • Les OPCA

Bien imprudemment (mais en phase avec un monde professionnel attentiste et pusillanime), certains OPCA ont joué la montre et laissé le dispositif filer sans mettre en garde les entreprises et leur faire entendre que le DIF sera au final à leur charge (le DIF n’est pourtant pas une option du contrat de travail ou un dispositif inaccessible). Au lieu d’œuvrer à  son déploiement, de nombreux OPCA ont contribué à cette faible appropriation du droit à la formation.

  • Les organisations syndicales

Les partenaires sociaux sont tout à la fois les inventeurs du DIF (à la suite de leur accord unanime en 2003) mais également les conservateurs d’un système paritaire dont ils tirent une grande part de leurs subsides. Transformer totalement la formation professionnelle entraînerait tout cet univers vers l’inconnu. Les syndicats revendiquent donc le DIF pour les salariés au niveau confédéral mais sur le terrain dans les sociétés ces mêmes syndicats sont neutres ou peu volontaristes. Pourtant, le DIF représente une chance pour un nouveau syndicalisme de services, censé sortir notre pays de sa culture du stérile et dépassé affrontement social,

  • Les organismes de formation

Préférant eux aussi jouer la sécurité et le récurrent plan (le ranplanplan plan) ils n’ont pas pu, su ou voulu prendre le risque de la réforme. Après quelques timides tentatives en 2004-2005, ils ont surtout conforté l’immobilisme et les tergiversations de leurs clients (Le DIF serait un échec, selon la déclaration péremptoire du patron du premier organisme de formation français). Certains organismes conseillent encore de déployer le DIF à dose homéopathique, mesurant tout le potentiel de déstabilisation de leur propre organisation.

  • Les pouvoirs publics

Réformer la formation, qu’elle soit initiale (car la formation professionnelle ne peut se déployer sans une solide éducation nationale) ou tout au long de la vie, semble hors de portée d’un État  passé de l’omnipotence à l’impotence et transformé en un banal guichet payeur par les entreprises comme par les citoyens.

Sept ans après son invention, le DIF reste donc tout à la fois un vœu pieux (rendre la formation équitable), une absolue nécessité (la formation est évidemment une obligation nationale) mais aussi le révélateur de nos blocages.

Quand une erreur est commise par une organisation (entreprise ou pays), il n’y a que deux alternatives : faire amende honorable ou s’enferrer dans son erreur en espérant qu’elle ne sera pas découverte de si tôt (c’est le syndrome du vase cassé qui reste caché aux parents).

Il y a pourant urgence et si nous changeons effectivement de monde (passer d’un monde en expansion à un univers limité représente un effort comparable à celui des hommes abordant le néolithique ou la révolution industrielle, selon Elie Cohen), nos successifs coups de « barbouille » n’y suffiront pas. Il sagit désormais ni plus ni moins que d’abandonner des schémas sociaux, professionnels et éducatifs bâtis aux XIXème et XXème siècles pour adopter les modèles apprenants et humanistes vitaux dans la société de la connaissance et de l’information.

Le DIF n’est pas un gadget mais l'une des clefs de l’entrée de notre pays dans le XXIème siècle professionnel.

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